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ALBAN THOMAS, Inra et TSE

Le financement des infrastructures de mobilisation des ressources en eau par une tarification adaptée fait l’objet d’un débat renouvelé, notamment en période de pénurie temporaire ou chronique, et en raison, dans certains contextes, de la progression du coût d’accès à la ressource.

Le modèle économique de récupération des coûts n’est pas généralisé à toutes les régions du monde, et il existe encore une tradition de subventionnement important des services de l’eau dans plusieurs pays en développement ou en transition. L’argument principal en faveur d’une récupération complète des coûts de mobilisation et de mise à disposition de la ressource est celui de la continuité de la qualité du service : il convient d’éviter le cercle vicieux d’un sous-investissement chronique dans les infrastructures des services d’eau qui entraînerait une baisse de la qualité du service et par conséquent une diminution de la contribution des usagers et au final, une baisse des ressources financières disponibles pour l’investissement.

Dans cette perspective, le rôle du tarif de l’eau est principalement d’assurer le remboursement des coûts du service, mais pas uniquement. Il agit en effet comme un signal sur la rareté de la ressource, et permet selon les cas de mieux discriminer entre les différents usages.

La tarification progressive

Le tarif le plus simple de gestion volumétrique (assise sur l’observation de la consommation effective) combine un tarif proportionnel au volume consommé, avec une part « fixe » mais différenciée selon le type d’usager (résidentiel, commercial, industriel, irriguant, etc.). En juxtaposant les tranches de consommation associées à des tarifs différents, on aboutit à un tarif plus complexe, qui peut être progressif ou dégressif, auquel s’ajoute encore une partie fixe (censée compenser les coûts fixes). Afin d’éclairer le débat autour de la tarification progressive, il est important de rappeler certaines caractéristiques fondamentales du secteur de l’eau, qui le distinguent d’autres services et de biens fournis en réseau.

Tout d’abord, l’eau est un bien pondéreux associé à des contraintes strictes en matière de qualité sanitaire, ce qui implique une production et une distribution sur un périmètre géographique limité. Les coûts de production sont de plus caractérisés par la prépondérance des coûts fixes par rapport à un coût marginal faible et pas toujours croissant. Cette situation de monopole local dans la fourniture du service est généralement admise et justifie la gestion publique ou la délégation à un opérateur privé par un contrat avec la collectivité territoriale.

Ensuite, les usages de l’eau sont très hétérogènes dans le temps et dans l’espace, ainsi qu’en fonction des usagers. La valeur marginale de l’eau est ainsi supérieure pour un usage résidentiel et très faible pour l’irrigation (ce qui justifie d’ailleurs que l’agriculture soit le premier secteur touché par les restrictions d’usage en période de sécheresse). Le coût d’acheminement d’une eau de qualité est l’un des facteurs distinguant ce secteur d’autres industries de réseau (gaz, électricité, communications), même si le mode de tarification peut être similaire.

La tarification progressive de l’eau permet de discriminer, non seulement entre les catégories d’usagers, mais encore de servir d’outil incitatif en récompenser les usages « normaux » tout en pénalisant les usages « excessifs ». A cet égard, la sensibilité des ménages au prix de l’eau est maintenant bien documentée, notamment à long-terme.

Le point fondamental est ensuite de bien définir ce que l’on entend par usage « normal » : dans le cas de l’irrigation via des réseaux collectifs sous pression, il existe des exemples de tarifs progressifs contenant une première tranche de consommation calculée en fonction d’un rendement agronomique moyen, et une seconde tranche avec un prix marginal croissant dès que la consommation d’eau à l’hectare augmente au-delà.

Dans le cas de la consommation résidentielle, de tels systèmes sont mis en place avec une tranche correspondant à une moyenne de consommation annuelle de l’ordre de 120 m3 par foyer et par an. Il convient de noter que, si les performances de la tarification progressive ont été beaucoup étudiées. D’un point de vue strictement économique, quand il n’y a pas à prendre en compte l’impact sur la ressource (valeur de rente), elle est remise en cause par certains économistes lui préférant une tarification proportionnelle avec ou sans ajustement a posteriori. Les arguments sous-jacents sont : l’unicité souhaitable du prix « marginal » pour que l’allocation de l’eau entre les différents consommateurs soit efficace ; et l’importance des distorsions sur les tranches les plus élevées du barème pour compenser les moindres recettes sur les premières tranches.

La tarification sociale

La tarification sociale de l’eau est souvent confondue avec la tarification progressive de la ressource, ou encore considérée comme la seule application possible d’un instrument économique de redistribution.

Le problème est en réalité plus général, celui d’assurer un accès moins coûteux aux ressources en eau, avec le même niveau de service, à des populations pour lesquelles la part budgétaire de l’eau est importante et risque de mettre en péril la fourniture d’un bien considéré comme essentiel.

Au-delà de la question du consensus nécessaire autour de la solidarité entre usagers, il faut noter qu’il existe cependant plusieurs modes de prise en charge du coût de la ressource par la collectivité. Tout d’abord, dans les cas où les infrastructures de réseau sont nouvelles ou devant être renouvelées, une possibilité est de prendre en charge le coût fixe d’accès au réseau (cas de la Côte d’Ivoire). Ensuite, la collectivité peut financer une partie des factures par un système de compensation a posteriori (cas des fonds de solidarité en France). Enfin, un mode de tarification allégeant la facture d’eau des ménages les plus défavorisés peut être mis en place.

Il paraît évident à beaucoup que ce type de tarification sociale coïncide nécessairement avec une tarification progressive, la consommation globale d’un ménage devant augmenter avec le niveau de revenu. Cependant, cette relation est moins évidente en pratique, pour la consommation résidentielle, car la structure du foyer (nombre de personnes, d’enfants en bas âge), son équipement (présence de jardins et piscines, nombre de points d’eau) et la nature de l’habitation (habitat social collectif, logements individuels) influencent en pratique la relation entre revenu et consommation d’eau.

L’exemple des Flandres belges et de l’échec de la réforme de la tarification sociale de l’eau illustre bien l’importance de disposer au préalable d’une analyse socioéconomique précise de cette relation. L’aspect le plus important est bien en réalité celui du ciblage des populations, notamment en présence d’ inobservabilité de la consommation individuelle au niveau du ménage.

Des expériences comme celle de Tanger (utilisation d’un zonage par quartier) ou de la Côte d’Ivoire (identification par le nombre de points d’eau du foyer) sont des exemples de l’utilisation de critères techniques a priori corrélés avec le niveau de revenu.

Notons enfin que les conclusions ou recommandations formulées dans le cas des réseaux d’électricité ne sont pas transposables en tant que telles au cas de l’eau. En effet, alors que les possibilités de substitution entre énergies doivent être prises en compte dans le cas par exemple de l’électricité ou du gaz naturel, l’eau n’a pas de substitut parfait pour la majorité des usages. De plus, la relation entre la composition du foyer et la consommation est différente dans les deux cas, avec un rôle de la nature des équipements du foyer également à distinguer.

La multiplication des exemples de communes ayant mis en place des tarifications sociales de l’eau permet d’avoir déjà un certain retour d’expérience, avec plusieurs exemples de réussite combinant diminution des charges pour les ménages défavorisés et diminution de la consommation globale d’eau.

En conclusion, les objectifs multidimensionnels de la tarification doivent être correctement pesés et analysés empiriquement avant toute réforme, sous peine d’aboutir à un système peu lisible, et donc peu incitatif.