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COMMENT MAXIMISER LES BENEFICES COLLECTIFS DE CES INFRASTRUCTURES COMPLEXES

RENAUD CRASSOUS, EdF et CEDD

Depuis quelques années, l’hydroélectricité a suscité en France et en Europe un intense débat, centré autour de la mise en concurrence des concessions hydroélectriques. La loi du 16 octobre 1919 stipule en effet que dès que l’on dépasse 4.5 MW, l’utilisation de la force motrice de l’eau nécessite une concession de l’état, ce qui concerne de fait la grande majorité des aménagements en France (tandis que les aménagements de plus petite puissance nécessitent une simple autorisation).

Pour la commission Européenne, la mise en concurrence de ces concessions découle logiquement de la libéralisation du marché de l’électricité entamée depuis bientôt 20 ans. En France, pour l’Etat, les collectivités locales et les industriels concernés, c’est en fait un débat beaucoup plus vaste, dont la progression assez lente montre que ces aménagements ne sont pas de simples moyens de production d’énergie mais des infrastructures à part entière. Dit autrement, les bénéfices tirés de ces installations, que la puissance publique est appelée à maximiser, sont loin de se réduire à la compétitivité du coût de production ou à l’ampleur des impôts prélevés sur ces concessions, mais englobent aussi de nombreuses autres dimensions (tourisme, gestion des crues, gestion des débits, impact sur la biodiversité, transport sédimentaire, sûreté hydraulique, emploi en milieu rural, etc.). Plus précisément, les aménagements hydroélectriques, en particulier sur les grands et moyens cours d’eau équipés de multiples installations successives, présentent au moins trois caractéristiques qui les placent dans la catégorie des infrastructures :

- Une durée de vie très longue, notamment pour les ouvrages de génie civil (barrages, digues, canaux) ;

- Un lien fort avec les activités du territoire : tant du fait de la mise en eau, qui peut immerger

des vallées aménagées mais aussi dans certains cas contribuer à rendre un fleuve navigable, qu’au cours de la vie de l’aménagement, avec les activités concernées par le plan d’eau (tourisme notamment), la réserve d’eau (par ex. eau potable et/ou irrigation), la gestion différente des débits à l’aval (navigation, pêche, activités sport nature), ou encore via la fiscalité locale ;

- Des enjeux environnementaux importants : notamment sur le transport sédimentaire, la biodiversité du cours d’eau et de ses abords, la qualité de l’eau ;

- Des enjeux de sécurité des biens et des personnes et du système électrique : sécurité

hydraulique avec une contribution à la gestion des crues et sécurité électrique avec une part importante de la production de pointe et un rôle majeur dans le secours du système électrique en France et en Europe (services système voire renvoi de tension).

L’enjeu de la régulation publique est alors particulièrement fort, avec plusieurs dimensions :

- Une part importante des services rendus et des externalités générés par un aménagement ou

une série d’aménagements hydroélectrique(s), renvoient à des missions de service public, et donc à une forme de contractualisation avec l’Etat et/ou les collectivités locales ;

- Les différents services rendus et externalités sont interdépendants, si bien que l’optimisation

d’un aménagement ou une série d’aménagements n’est jamais univoque ; elle nécessite de rechercher le meilleur compromis entre les différentes dimensions (impacts économiques directs, prélèvements fiscaux, emploi local, impacts environnementaux, etc.) et les différents échelons géographiques (enjeux locaux, territoriaux, régionaux, nationaux voire européens), avec des externalités très difficiles à internaliser ;

- Ce « compromis d’exploitation » est rarement définitif, soit parce que les attentes des Parties Prenantes sont susceptibles d’évoluer, soit parce que l’innovation permettra de faire évoluer ce compris de manière « Pareto-optimale » (par exemple grâce à des ouvrages de franchissement plus efficaces et moins chers pour les poissons migrateurs, une modernisation

des équipements de production électrique, etc.). Le pilotage de la puissance publique doit accompagner ces évolutions – en garantissant un encadrement équitable des gains et des pertes des différentes Parties Prenantes – et encourager l’innovation en offrant des perspectives de rétribution des efforts des innovateurs ;

- Enfin, la gestion industrielle et le maintien du patrimoine de l’aménagement lui-même

(ouvrages de génie civil, équipements mécaniques et électrotechniques, contrôle-commande, etc.) sur une infrastructure à très longue durée de vie, requièrent que la puissance publique puisse exercer une vigilance continue sur l’état d’entretien et de fonctionnalité des installations (cf. la loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006 et le décret du 11/12/2007 pour les fonctions de sûreté) et qu’elle puisse garantir que les acteurs industriels qui auront la gestion de ces infrastructures – qu’ils soient eux-mêmes publics ou privés – sont compétents pour gérer le compromis d’exploitation qui a été décidé et fiables dans la durée.

Pour rendre opérationnel le pilotage complexe par la puissance publique de telles infrastructures, il existe de multiples leviers, par exemple :

- Le contrat de service public qui fixe les objectifs et les modalités d’exécution à l’opérateur

industriel, et qui peut permettre d’inclure les attentes des différentes Parties Prenantes . Dans le cadre des concessions défini par la loi de 1919, c’est le rôle notamment du cahier des charges de concession, et d’abord des nombreuses réglementations qui s’appliquent à tout aménagement hydroélectrique (code du travail, code de l’énergie, code de l’environnement, etc.) ;

- La fiscalité : souvent examinée seulement sous l’angle du financement public, elle pourrait

être un vecteur puissant d’incitation à la performance sur les différents services attendus et à l’innovation dans les différentes dimensions du contrat ;

- Des choix de politique industrielle et de gouvernance susceptibles de générer des économies

d’échelle et de l’innovation industrielle (choix des opérateurs, durée des contrats, périmètre des contrats, outils de financement, etc.) ;

- Des partenariats nationaux / régionaux / locaux : sur le suivi du compromis d’exploitation, sur

le développement économique territorial, sur les modalités saisonnières d’exploitation, sur les conflits d’usage, etc.

En France, la quasi-totalité des infrastructures hydroélectriques sont existantes et déjà anciennes, un certain nombre d’entre elles peuvent être modernisées et devenir plus performantes pour l’intérêt général. Le choix et l’évolution du « policy mix » hydroélectrique est donc un défi et en même temps une réelle opportunité pour susciter cette modernisation, continuer à garantir une gestion d’actifs optimisée sur le long terme et suivre l’évolution des attentes territoriales.