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Encore plus vite : la tˆ ache de choix saccadique

1.4 Dynamique de la perception

1.4.2 Encore plus vite : la tˆ ache de choix saccadique

Nous avons donc vu que la d´etection d’objet dans une sc`ene complexe pouvait ˆetre beaucoup plus rapide que ce que la plupart des mod`eles peuvent pr´edire, avec des temps de r´eaction tr`es courts qui semblent ˆetre support´es par une activit´e diff´erentielle dans les aires temporales 150 ms apr`es l’affichage des stimuli. En 2006, une ´etude a ´et´e encore plus loin dans la recherche des toutes premi`eres r´eponses s´electives possibles. Profitant de la possibilit´e de traiter deux images en parall`ele (Rousselet et al., 2002), Holle Kirchner et Simon Thorpe ont mis au point un nouveau protocole se basant sur une nouvelle modalit´e de r´eponse : les saccades oculaires (Kirchner et Thorpe, 2006). C’est ce protocole qui aura servi de base `a l’ensemble des r´esultats collect´es au cours de cette th`ese. Il se d´eroulait de la fa¸con suivante (Figure 1.12) :

– Affichage d’une croix de fixation pendant 800 `a 1600 ms (pseudo-al´eatoire `a chaque essai).

– Intervalle de 200 ms (commun´ement appel´e gap et connu pour acc´el´erer l’initia- tion des saccades oculaires (Fischer et Weber, 1993).

– Affichage de 2 images (une cible et un distracteur) sur la droite et la gauche de l’´ecran pendant 20 ms (Kirchner et Thorpe,2006), puis 400 ms par la suite1. – Pause inter-essai de 1 seconde.

Dans cette exp´erience de discrimination animal/non-animal, et grˆace `a ce protocole, les sujets produisaient des r´eponses encore bien plus rapides que ce qui avait ´et´e enregis- tr´e auparavant. Et de fa¸con extrˆemement surprenante, les premi`eres r´eponses s´electives (le temps de r´eaction minimum) apparaissaient mˆeme avant l’activit´e diff´erentielle `a 150 ms, cens´ee ˆetre le support `a la d´ecision pour les r´eponses de cat´egorisation rapide. Les sujets les plus rapides avaient ainsi des r´eponses s´electives d`es 120/130 ms. Si l’on 1. En effet, l’affichage de 20 ms, h´erit´e du protocole go/no-go, ´etait initialement pr´evu pour ´eviter que les sujets aient le temps d’explorer la sc`ene. Avec le protocole de choix saccadique, nous enregis- trons justement les mouvements oculaires, cet affichage limit´e ´etait donc obsol`ete. De plus, comme l’ont montr´e des ´etudes pr´eliminaires, ainsi que le premier article de cette th`ese (voir section 2.2), un affichage plus long tend `a raccourcir les temps de r´eaction.

Figure 1.12: Protocole de choix saccadique. D´eroulement d’un essai typique. (1) Af- fichage d’une croix de fixation pendant 800 `a 1600 ms (pseudo-al´eatoire `a chaque essai). (2) Intervalle de 200 ms (commun´ement appel´e gap et connu pour acc´el´erer l’initiation des saccades oculaires (Fischer et Weber, 1993). (3) Affichage de 2 images (une cible et un dis- tracteur) sur la droite et la gauche de l’´ecran pendant 20 ms. (4) Pause de 1 sec en attendant de recommencer le prochain essai. Extrait deKirchner et Thorpe (2006).

consid`ere qu’environ 20/30 ms sont n´ecessaires depuis la prise de d´ecision jusqu’`a l’ini- tiation effective d’une saccade (Stanford et al., 2010), cela signifie que l’information ´

etait disponible seulement 100 ms environ apr`es l’affichage des images. De nombreuses analyses sur les statistiques des images ont ´et´e faites pour ´ecarter certaines explication bas-niveau comme des diff´erences de luminance, de contraste, d’´energie, etc. Pour ceci, les auteurs calculaient un grand nombre de statistiques pour chaque image, enlevaient ensuite des donn´ees les images ayant des valeurs extrˆemes sur ces caract´eristiques, et enfin refaisaient les mˆemes analyses pour voir si un changement ´etait notable. Ce ne fut pas le cas. Comment expliquer alors que l’information puisse ˆetre exploit´ee si vite par le syst`eme oculomoteur ? Deux hypoth`eses sont possibles. Une premi`ere possibilit´e est que l’information prenne un raccourci (peut-ˆetre mˆeme via des structures sous-corticales) pour atteindre directement les zones visuo-motrices (FEF ou LIP, voir section 1.6 pour plus de d´etail sur ces structures). Du fait de la complexit´e des sc`enes naturelles, les auteurs ont cependant privil´egi´e une autre alternative, consistant en une prise d’in- formations avant d’atteindre les aires habituellement consid´er´ees comme le si`ege de la reconnaissance d’objets. Ainsi, il se pourrait que les sujets d´etectent des traits simples caract´eristiques des animaux (par exemple ceux de V4), plutˆot que l’information de neurones de haut-niveau comme ceux d’IT. Ce mod`ele est d´etaill´e dans la Figure 1.13. Un support physiologique possible pour ces r´eponses ultra-rapides a ´et´e propos´e par la suite. Avec des enregistrements EEG intra-craniaux chez des patients ´epileptiques, les auteurs ont montr´e que le signal dans FEF pouvait devenir s´electif `a la cat´egorie d’image (non pas la cat´egorie entre images naturelles, mais entre une image en damier,

1.4 Dynamique de la perception 31 une image color´ee, une image naturelle) seulement 45-60 ms apr`es la pr´esentation des stimuli (Kirchner et al., 2009). Cette activation rapide pourrait se faire selon diff´erents chemins (sous-corticaux ou corticaux) mais semble ˆetre un support plausible pour les r´esultats observ´es dans une tˆache de choix saccadique.

Figure 1.13: Mod`ele hypoth´etique des activations c´er´ebrales de la voie ventrale lors de la tˆache de choix saccadique. Les estimations de latence donn´ees ici sont bas´ees sur des donn´ees ´electrophysiologiques chez le singe, il faut donc probablement ajouter quelques millisecondes pour faire l’´equivalence avec les humains. Le premier nombre pour chaque ´etape correspond aux latences des premi`eres r´eponses observ´ees, le second correspond `a une valeur moyenne. Les fl`eches provenant de AIT et PIT sont en pointill´es car l’existence de ces connections est hypoth´etique. Extrait de (Kirchner et Thorpe,2006).

Plusieurs autres ´etudes ont utilis´e ce protocole chez l’humain, mais aussi chez le primate (ceux-ci ´etant encore plus rapide, Girard et al., 2008). Il a aussi ´et´e d´emontr´e que les performances des sujets humains pour la discrimination animal-non-animal ´etait particuli`erement r´esistante `a la rotation (Guyonneau et al., 2006), ainsi qu’`a diverses d´egradations de la luminance des images (floutage, inversion, discr´etisation, Nandakumar et Malik,2009). Une autre ´etude a consist´e, toujours `a partir d’une tˆache animal/non-animal `a comparer les diff´erents protocoles (r´eponse manuelle : go/no-go, yes/no et choix entre les deux cˆot´es ; r´eponse saccadique : tˆache de choix saccadique Bacon-Mac´e et al.,2007). En utilisant un paradigme de masquage, les auteurs ont ainsi montr´e que la phase de traitement sensoriel pr´ecoce (SOA inf´erieur `a 40 ms) semblait ˆetre similaire entre les diff´erents protocoles.

Ce nouveau protocole ouvrait donc des perspectives tr`es int´eressantes, en offrant un acc`es `a une phase tr`es pr´ecoce des traitements visuels chez l’humain. Il a donc ´et´e

le point de d´epart de mon travail de th`ese, qui a consist´e `a ´etudier les m´ecanismes qu’il impliquait, tout en l’utilisant pour tester de nouvelles hypoth`eses sur ces traitements ultra-rapides. Cependant, avant de passer `a la partie exp´erimentale de cette th`ese, qui s’inscrit dans la continuit´e des travaux pr´esent´es dans cette section, nous allons d’abord nous int´eresser `a deux domaines qui deviennent fondamentaux lorsque l’on utilise ce protocole de choix forc´e saccadique : le guidage des mouvements oculaires et la prise de d´ecision saccadique.