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Le 2 juillet 1882, A lb e rt B arbey (1850-1926) — d o n t le n o m est lié au massif d u M o n t-B la n c grâce à l’éd itio n de la carte q u ’il en dressa avec Louis K u r z en 1894, et à un couloir glacé de l’A iguille-d’A rg en - tière baptisé c o u lo ir B arbey — re­ joignait à C h a m p e x son guide F r a n ­ çois Biselx. A la cabane d ’O r n y , il engageait H e n r i C o p t p o u r les ac­ c o m p a g n e r à la c o n d itio n « q u ’il ne reculât pas à la p re m iè re difficulté et q u ’il ne poussât pas à l’excès la g rande p ru d e n c e q u ’il f a u t lui re ­ c o n n a ître en lui faisant c o m p r e n d r e que là o ù je p o u rra is passer, il le p o u r r a it égalem ent ».

Le lendem ain, à 4 h. 45, les trois hom m es, p a rv e n u s au m ilieu du pla­ teau d u T rie n t, e x a m in e n t les Ai- guilles-Dorées à la jumelle, c h e r­ c h a n t u n e voie d ’accès m eilleure que celles qui, p a r t a n t de l’est et de l’ouest, d u r o c h e r des Plines et de la fe n ê tre de Saleinaz, a v aien t dé­ b o u ch é sur des « parois in fra n c h is­ sables ». M algré les objections, rai­ d eu r et avalanches, d u p r u d e n t H e n r i C o p t, B arbey décide d ’a tta ­ q u er le g ra n d c o u lo ir de glace et de neige qui c o u p e la m o n ta g n e dans

to u te sa h a u te u r. « Si vous croyez la chose possible, m onsieur, eh bien ! en ro u te , d it Biselx, il nous fa u t du m oins essayer, nous m a rc h e ro n s p r u d e m m e n t, et nous irons ju sq u ’où nous p o u rro n s . »

Sur les prem iers deux cents m è ­ tres, m algré l’inclinaison, t o u t va bien, mais la co uche de neige s’a m in ­ cit b ie n tô t et la glace q u i affleure les oblige à tailler u n escalier dans l’axe de la plus gran d e pente. La glace vive m e n a ç a n t de les c o n ­ tra in d r e à la re tra ite , la cordée réus­ sit à s’éc h a p p e r vers les ro ch ers de gauche après av o ir difficilem ent fra n c h i quelques granits p a rfa ite ­ m e n t polis et reco u v e rts d ’une m in ­ ce co uche de verglas. D e là, après deux heures d ’u n trav ail assidu, « à fo rce de g y m n a stiq u e et de tensions de co rd e », s’élevant t a n t ô t dans les escarpem ents ro c h e u x , t a n t ô t re ­ p r e n a n t le g ra n d couloir, les trois hom m es, « au g ra n d c o n te n te m e n t de C o p t », d é b o u c h e n t sur u n p r e ­ m ie r col aussitôt et d é fin itiv e m e n t baptisé col C o p t.

U n p e u plus h a u t, en raison de la p e n te et des dangers de coulée que p ré se n ta it la neige ram ollie p a r

le soleil, Biselx décide de s’élever ju sq u ’au pied de la p o in te p ar le v ersa n t sud, ro ch eu x . R e sta it le s o m m e t lui-m êm e. U n e p rem iè re te n ta tiv e , p a r u ne « affreuse ch e­ m inée to u te rem plie de neige et de verglas », échoue à quelques m ètres du b u t. Force ‘leur est de redescen­ d re et de t e n te r leur chance dans une im m ense fissure. A u b o u t d ’u n m o m e n t, Biselx crie à ses c o m p a ­ gnons : « Si nous réussissons à t o u r ­ n er ce ro ch er, je vous garantis le succès ». Ce r o c h e r su rp lo m b a it le glacier et le « passage éta it si é tr o it et s u r to u t si bas que nous fûm es obligés de r a m p e r c o m m e des r e p ­ tiles ». E n c o re v in g t pas, et les airs r e te n tir e n t des cris de « vive Biselx, vive C o p t, vive nous, vive la patrie, vive le C lu b alpin » !

Le so m m e t vierge, baptisé séance t e n a n te Tête-Biselx, d ’u ne altitu d e in férieu re de d o u ze m ètre s à sa v o i­ sine, l’A iguille-de-la-V arappe, jugée ce jo u r-là inaccessible mais vaincue u n an plus t a r d p a r u n e cordée c o n d u ite p a r G asp ard C o q u o z , de Salvan, est le plus im p o s a n t d u m as­ sif. E n so u v en ir de l’alpiniste-écri- vain E m ile Javelle, o n a d o n n é son

n o m à la plus célèbre des Aiguilles- D orées qui se dresse à l’est de la Tête-Biselx.

A près av o ir érigé une p y ra m id e , m a rq u é au m in iu m leurs n o m s et la date, et mis leurs cartes dans la tra d itio n n e lle bouteille, les alpinis­ tes s’engagent dans la descente. S’a n ­ c r a n t t o u r à t o u r sur u n piolet, n ’a v a n ç a n t q u ’u n seul à la fois, ils re jo ig n ire n t le glacier d u T r ie n t en cinq heures et q u a rt.

U n b ra c o n n ie r chasseur de Sem- b r a n c h e r affirm a p e u après à A lb e rt B arbey q u ’il éta it arriv é au s o m m e t des Aiguilles-D orées en p o u r s u iv a n t u n cham ois, ce qui lui p a r u t relever de la galéjade. D ans l’après-m idi, v o u la n t regagner la plaine p a r le col des Ecandies et La F orclaz, les trois c o m p a g n o n s in a u g u r è r e n t une voie nouvelle, dev en u e classique, celle du c o u lo ir qui, depuis la fe n ê tre du C h am o is, am ène au col des Ecandies en é v ita n t de passer p a r les séracs du glacier d u T rie n t, plus inabordables d ’année en année.

E t A lb e rt B arbey achève son ré ­ cit : « D e La Fo rclaz à M a rtig n y , pluie b a tta n te , nous étions trem p és c o m m e des rats. » A n d r é G uex.

Le «grét»

OU

lérot

Le 3 janvier de cette nouvelle année, Richard de Chandolin en apportant le courrier m ’annonce une bonne nouvelle : « Il y a quelque chose qui pourrait t ’intéresser dans la cave de Prosper Salamin et de son beau-frère à Saint-Luc : un « grét » dort au fond d’un tonneau ! Si tu veux le voir, va frapper à la porte de Prosper en fin de journée, il aura grand plaisir à te m ontrer la petite bête ! »

Diable ! la nouvelle ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd... Voilà des années que je n’ai plus eu la bonne fortune d ’observer le charmant ron­ geur en état d’hibernation. Ce n ’est pas si facile ! En général, le grét — de son nom français, le lérot — hi­ verne dans les arbres creux ou les trous de murs ou de rochers. On en trouve parfois jusqu’à dix ensemble, pelotonnés sur eux-mêmes, les pau­ pières collées par un mucus spécial. Le sommeil du lérot n ’est sans doute pas aussi profond que celui du loir, son proche parent de plaine, mais il passe néanmoins la plus grande partie de l’hiver dans une léthargie voisine de celle des marmottes. D ’ordinaire, il ne se réveille q u ’en avril ou en mai en montagne, utilisant lentement les réserves de graisse qu’il accumule en automne.

De la taille d ’un jeune rat, le grét possède une .queue assez longue et son extrémité paraît plumeuse et touffue. Au surplus, il sera impossible de le confondre avec les autres rongeurs de nos régions grâce à la raie noire qui p art de son museau et s’étire en englo­ bant l’œil jusqu’à l’arrière de l’oreille qui est grande et très mobile.

D urant la belle saison, les lérots mènent en général une vie arboricole et cavernicole, grimpant avec une agi­ lité surprenante sur les arbres, ni­ chant dans les vieux nids d’écureuils ou d’oiseaux qu’ils complètent par un dôme de mousse, n’y laissant qu’une entrée latérale tout en rembourrant l’intérieur avec des plumes ou de la mousse. L’espèce est d’ailleurs vorace, recherche les insectes, les graines, les noisettes et les œufs des passereaux.

Mais revenons à notre histoire ! Fort impatient de voir le rongeur endormi au fond de son tonneau, je me rends dès la nuit tombante à Saint-Luc, frappe à la porte de Pros­ per Salamin et suis reçu par sa char­ mante épouse qui est déjà au courant de l’affaire et m ’apprend avec un

large sourire que son mari ne va pas tarder à rentrer. Bon ! J’ai le temps qu’il faut pour prendre un verre à « La Fougère » et bavarder un peu avec le patron et l’ami O thm ar, ins­ tallé au bar. O thm ar qui est au cou­ rant — décidément l’histoire a déjà fait le tour du village ! — m ’explique que le tonneau sert de bouteiller et que le grét ne peut guère en ressortir.

Rassuré par ses propos, je me rends une nouvelle fois chez Prosper qui vient de rentrer du télésiège et me guide incontinent vers la fameuse cave en contrebas -du village. Nous voilà donc déambulant tant bien que mal le long du petit sentier neigeux et cahoteux .qui mène à la demeure du grét ! Deux immenses clefs grincent dans les serrures et nous pénétrons comme des voleurs dans le « saint des saints », c’est-à-dire l’ancienne cave de l’ancien président de Saint-Luc.

Tout a été refait à neuf à l’intérieur, Prosper allume d’abord une grosse bougie rouge, puis la lampe à gaz et se dirige sans plus attendre vers l’un des trois tonneaux alignés au fond du sanctuaire : « C ’est dans celui-ci ! », fait-il en désignant du doigt le mysté­ rieux tonnelet. D ’emblée, je constate que le trou de la bonde dans le haut du fût est resté libre et lui fais part de ma remarque. Mais Prosper est

L e s t r a c e s d u l é r o t s u r l a n e i g e f r a î c h e e n m a i

T

-optimiste et ouvre sans tarder le to n ­ neau par le devant. Vite la lampe de poche, la bougie, nous éclairons l’in­ térieur garni de bouteilles pleines sur trois étages. Dans le bas du fût, près du panneau qui sert de porte, le seul petit espace resté libre et parfaitement sec a servi de dortoir au grét : il était là hier, hélas ! il n ’y est plus ! Nous avons beau tâter les douves de la main, rien et rien encore ! Plus de grét ! Evaporé, subtilisé !

Prosper alors : « Ce n ’est pas pos­ sible, il doit bien être quelque part là-dedans, il n’a pu s’échapper, hier encore il remuait à peine lorsque je l’ai m ontré aux copains ! » A quoi je lui réponds que le lérot a bien pu se réveiller to u t à fait et s’en aller par où il était venu, c’est-à-dire par le trou de la bonde. Mais Prosper n ’en dé­ m ord pas : « N o n ! non ! il est cer­ tainement là, mais il a dû se retirer vers le fond du tonneau, derrière les bouteilles ! » Je demeure sceptique et cependant il faut en avoir le cœur net.

Prosper, en montagnard tenace, s’est déjà mis à la besogne. Il me tend une à une les bouteilles du fond, tandis que je les aligne sur la grosse table de bois bru t qui occupe une partie de la cave... Au bout d’une vingtaine de minutes, nous avons extirpé du tonneau les cent cinquante bouteilles et litres qu’il contenait ! Arrive la minute de vérité : Prosper éclaire une dernière fois l’intérieur du fût, tel un nouveau Diogène, cherchant non pas un homme cette fois, mais un grét ! Puis nous tâtons des mains chaque coin et recoin du tonneau, l’étage du haut et l’étage du bas... Peine perdue ! Le grét a dû se réveiller la nuit der­ nière et s’échapper par la bonde.

Mais où peut-il donc bien être, le rusé compère ? S’est-il sauvé à l’exté­ rieur par l’un des soupiraux ? A-t-il cherché refuge derrière les planches qui abritent la bonbonne à gaz ? Là aussi nos recherches demeurent vai­ nes ! De guerre lasse et quelque peu dépités, nous replaçons les bouteilles à l’intérieur du tonnelet mais, arrivés à la dernière, Prosper me fait signe de la main. Il cherche un tire-bouchon, remplit les verres... Voici l’autre mi­ nute de vérité : nous nous regardons en éclatant de rire : « A la santé du grét ! »

Sacrée petite bête, va ! Elle nous a eus jusqu’au trognon ! En voilà une histoire ! »

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