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3.4 Influence modale du Maqam arabe

3.4.3 Le système ''tonal-modal'' du Maqam

L'autre composante fondamentale des Maqamat est qu'elles incluent un parcours modulant plus ou moins traditionnel, plus ou moins libre d'interprétation, mais dans tous les cas, on n'a pas affaire à

un système purement modal comme les Ragas, dans lequel on peut rester dans le même mode, le même Raga, pendant une demi-heure ou une heure de musique. Au contraire, ici, grâce à divers mécanismes, la musique se promène à travers différents tétracordes, différents Ajnas et Maqamat sur différentes toniques, modulant et ''tonulant'' fréquemment. Chaque Maqam n'existe qu'en relation constante à d'autres Maqamat, ce qui fait que chaque Maqam n'est pas équivalent dans sa conception traditionnelle. Certains seront entendus très fréquemments comme Maqam principal d'une pièce, par exemple, Bayyati, Rast ou Nahawand. D'autres peuvent être parfois des Maqamat principaux, mais sont plus souvent utilisés en cours de modulation, par exemple, le Maqam 'Iraq, souvent utilisé depuis le Maqam Huzam. D'autres finalement comme le Maqam Husayni, presque jamais utilisé comme Maqam principal d'une pièce même si ressemble beaucoup à Bayyati, mais qu'on entends presque toujours, justement, dans le développement et le cadencement du Maqam Bayyati. Voir la figure 26 pour une illustration des Maqamat mentionnés. (FARRAJ, 2001-2018)

Figure 26a – Maqam Bayyati

Figure 26b – Maqam Rast

Figure 26c – Maqam Nahawand

Figure 26d – Maqam 'Iraq

Figure 26f – Maqam Husayni

Il me semble que mieux que dans la musique de Ragas, les Maqamat sont identifiables à travers des structures abstraites à 7 ou 8 notes, comme tous mes modes inventés que j'ai présenté, probablement à cause du fait qu'ils sont tous et sans aucune exception construits à partir de Ajnas, fixes et prédéfinis, et que ces Ajnas sont en nombre très restreint. Nous aurions du mal, à la lecture des Ragas recensés par Bor, à identifier des tétracordes d'une telle régularité.

Cela dit, cela n'empêche pas les Maqamat, par la suite, d'être porteurs d'un complexe bagage traditionnel qui les place, comme les Ragas, sur un continuum entre mode et composition36. Mais ils

sont peut-être légèrement plus proches du pôle ''mode'' que les Ragas. Peut-être cette caractéristique rend-elle les Maqamat plus propices à la modulation, ce que les Ragas ne sont pas. Mais je ne spéculerai pas davantage dans cette direction.

Pour aller plus loin dans la compréhension de ce système, j'exposerai certains des mécanismes les plus habituels dans le Maqam Bayyati. Comme vu à la figure 26a, le Maqam Bayyati est construit comme suit:

• un tétracorde Bayyati sur Ré [1 b2 b3 4]

• et un tétracorde Nahawand [1 2 b3 4] sur Sol, ce qui donne les degrés [4 5 b6 b7].

De plus, sous la tonique de base, le 6ème degré est presque toujours Sib, tandis qu'au dessus il s'agit de Sib. Sa structure la plus basique peut donc être exprimée comme:

36 D'ailleurs il existe parfois plusieurs version d'un même Maqam, comme celui de la figure 26f, Maqam Husayni, qui se voit maintenant attribuer par Farraj un Sib en plus du Sib déjà présent, alors que la référence que j'avais en commençant mes recherches, et le répertoire qui était associé au Maqam Husayni, n'en faisait pas état. Les Maqamat individuels, s'ils sont présents dans de vastes aires d'influences, ne sont pas pour autant totalement standardisés dans le monde arabe.

• [b6 b7 1 b2 b3 4 5 b6 b7 1].

Puis, la composition et l'improvisation intiment un certain parcours mélodique, schématisé à la figure 27:

• Zone habituelle de départ: entre Fa et Sib de l'octave central,

• puis direction vers la tonique de base en utilisant une ou deux notes en-dessous.

• Quelques phrases présentent ensuite tout l’octave central, en prenant leur temps pour ajouter les notes peu à peu, l’improvisation ou la composition se dirigeant peu à peu vers l’octave supérieur.

• C'est alors que le Sib de l’octave central est remplacé par un Sib, donnant l’impression de l’octave supérieur comme étant la nouvelle tonique (on se rappelle le degré 6 avec quart de ton était sous la tonique, pas au dessus),

• ou alors donnant l'impression de Maqam Husayni [1 b2 b3 4 5 b6 b7], qui possède le b6 au- dessus de la tonique, si l'on s'attarde dans l'octave central.

• L’octave supérieur est par la suite exploré, avec plusieurs cadences sur cette nouvelle ''tonique supérieure'',

• jusqu’à ce que l’on redescende sur la tonique initiale, celle de l’octave central, en faisant réapparaître le Sib, et potentiellement au passage un Mib qui sera entendu au-dessus de la tonique supérieure, ce qui est d'ailleurs une brève référence au Maqam Kurd, pour accentuer l'effet de descente.

• Avant la cadence final, on a souvent un mouvement précadentiel en mettant un tétracorde Hijaz sur Sol, donnant ainsi le Maqam Bayyati Shuri [1 b2 b3 4 b5 6 b7].

• Finalement on résout sur la tonique avec le retour des notes d'origine du Maqam, incluant une dernière descente sous la tonique avec le 6ème degré comme Sib. (DANIELSON, 2002)

Figure 27 – parcours mélodique de Maqam Bayyati en Ré

Ceci n'est qu'un exemple, une foule d'autres mécanismes existent pour enrichir le Maqam, celui-ci comme les autres, mais cela donne une brève idée du caractère relationnel, non isolé, de chaque Maqam, et donne une perspective intéressante, celle d'un système ''tonal'', non pas harmonique comme à l'européenne, mais mélodique dans ses mécanismes et modal dans son matériau de polarisation. En plus de l'écoute musicale, parcourir des ressources telles que Oudipedia (PARFITT, 2001-2018) et Maqam Lessons (SHUMAYS, 2013) nous fait découvrir une langue musicale vivante aux accents riches, nuancés, parfois extrêmement subtils.