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La richesse modale dévoilée précédemment ouvre autant de portes à l'expérimentation harmonique. D'inspiration classique occidentale ainsi que médiévale, mon harmonie est pleinement

fonctionnelle au sens bien précis que j'ai expliqué en 3.1.2, qui a mon sens d'un pan-diatonisme total dans lequel, pour chaque structure harmonique donnée, il ne serait pas pertinent d'identifier une fondamentale d'accord, qui corresponde par ailleurs à un degré du mode54. Ma musique, au contraire,

utilise de manière prédominante des structures d'accords à la fondamentale claire, peu importe le renversement. Voici lesdites structures de base, ici à 4 sons, qui sont très largement basées sur les accords classiques et en systématisant l'utilisant de quelques-uns moins utilisés mais pas inconnus:

• Les accords augmentés 1 3 #5 7, 1 3 #5 b7

• Les accords majeurs / dominantes 1 3 5 7, 1 3 5 b7

• Les accords majeurs / dominantes diminués 1 3 b5 7, 1 3 b5 b7

• Les accords mineurs 1 b3 5 7, 1 b3 5 b7

• Les accords diminués 1 b3 b5 7, 1 b3 b5 b7, 1 b3 b5 bb7

• Les accords en quarte et quinte, 1 4 b7 b3, 1 5 2 6

Les notes ajoutées à cela apparaissent comme des extensions et je préfère de loin omettre la 3rce et garder la 5te, à l'opposé de la musique ''de Bach à Wagner''.

Sur le plan des fonctions harmoniques, je souhaite élargir la conception classique des fonctions pour donner une autonomie initiale à tous les degrés, avec à davantage de structures d'accords, notamment le fait qu'il puisse exister plusieurs structures d'accords possibles pour un même degrés. Par exemple, dans le mode [1 #2 3 #4 5 #6 7] :

• Le degré I, particulière prolifique, peut être

◦ 1 #2 #4 #6, ou par enharmonie pour mieux voir la structure d'accord, 1 b3 b5 b7

◦ 1 #2 #4 7, ou 1 b3 b5 7, et ainsi de suite,

◦ 1 #2 5 #6

◦ 1 #2 5 7

◦ 1 3 #4 #6

◦ 1 3 #4 7

54 Bien que ce concept n'était probablement pas existant au Moyen-Âge, une analyse des polyphonies de l'époque, comme la Messe de Machaut, révèle quand même des cadres ''fonctionnels'', avec des polarisations sur la tonique, sur certains autres degrés, des harmonies privilégiées pour polariser, etc. On n'est pas dans un pan-diatonisme total où toutes les structures d'accords sont permises. Mais je suis conscient que c'est une affaire de point de vue plus que de démarche compositionnelle.

◦ 1 3 5 #6

◦ 1 3 5 7

• Ainsi de suite avec les autres degrés #II, III, #IV, V, #VI, VII.

Pour ce qui est des progressions harmoniques, je conçois par que dépendamment du mode ou de tout autre contexte musical et compositionnel, les degrés II, III, IV, VI ou VII pourraient très bien agir comme accords à fonction cadentielle, à l'image du V en musique classique et de tous ses dérivés. Cela dit, cela ne veut pas dire que les accords ne se stabilisent pas au gré de la composition, dans un certain discours harmonique cohérent, dans lequel la convergence vers la fonction de premier degré est récurrent, comme pour le discours tonal classique mais avec des mécanismes différents. Pour ne donner qu'un exemple tout simple d'une progression harmonique diatonique, voyons la figure 83. Je ne note ici que le degré de l'accord, le renversement et la nature apparaîtront clair avec la partition à l'appui. Noter que tout le passage est en mode Sol [1 2 b3 4 5 b7], avec bref mais stratégique ajout de 6, à l'avant dernière cadence à l'accord de IV.

Figure 83 (''Révolutions en forme de rivère'', mes. 107 à 116, Audio à 4:24)

V bIII V bIII V bIII V IV I V I

V II bVII V IV I bVII bIII bVII I en mode Sol

On voit que malgré l'importance du degré V, c'est le degré bVIII qui a le dernier mot lors de la dernière cadence de l'oeuvre. Cette conception a des répercussions sur les possibilités théoriques au niveau des polarisations secondaires. Toutes les fonctions pourraient potentiellement servir à effectuer une polarisation secondaire sur n'importe quel degré du mode. Cela permets de moduler, de polariser, en gardant une structure interne toujours cohérente au mode de base. C'est ainsi qu'est née la progression des mesures 60 à 64 de ''L'Étang au Pied...''. En mode de Do dorien, elle est une progression II de II, II, bIII, II, I. Ce n'est donc pas du Do majeur ni du Mi phrygien que le Mi min7 sur le premier temps provient, mais d'une polarisation en mode dorien, II de II. Voir la figure 84.

Figure 84 (L'Étang au Pied de la Falaise'', mes. 60 à 64, Audio à 3:32)

II de II II bIII II I bIII IV II de II II bIII II I bIII IV

Une foule d'autres mécanismes harmoniques modaux plus complexes pourraient être utilisés, toujours pour conserver une couleur propre au mode, mais allant chercher des notes hors-gamme. L'exemple ici montrait une polarisation qui utilise une gamme secondaire pour polariser sur la gamme principale. Cette conscientisation m'amène à imaginer quatre cas de figures possibles pour effectuer des polarisations secondaires. Voir le tableau ci-dessous qui indique la gamme d'appartenance de l'accord polarisant et celle de l'accord polarisé. Par gamme principale j'entends la gamme de départ et d'arrivée du passage, dont la tonique sera clairement entendue à un moment ou un autre. Par gamme secondaire j'entends la gamme utilisé pour sortir de la gamme principale, dont on pourrait entendre ou pas la

tonique, ce n'est pas d'importance.

Accord polarisant Accord polarisé Gamme principale Gamme principale Gamme principale Gamme secondaire Gamme secondaire Gamme principale Gamme secondaire Gamme secondaire

Toutes les pièces que je présente ici respectent les modes que j'ai choisi pour l'oeuvre, avec des mécanismes modulant totalement conscientisés. On ne retrouve donc presque de chromatisme libre, complètement déconnecté d'un mode ou d'un mécanisme harmonique d'origine modale, mode par ailleurs toujours conscientisé avant utilisation.55