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III. PROBLÉMATIQUE ET APPROCHE THÉORIQUE

III.2. Approche théorique

III.2.3. Système techno-économique

Reprenant l'approche de l'école française de préhistoire, on considérera l'étude de la technologie comme un élément clé pour aborder des questions scientifiques de l’anthropologie et l’archéologie, sciences qui par définition étudient la diversité humaine (sensu Kottak, C. 2012 entre autres). Le terme de technologie se réfère spécifiquement à une approche conceptuelle de la culture matérielle basée sur l'étude raisonnée des techniques, y compris des gestes, fondée sur la recherche anthropologique française, héritière de Mauss et Leroi-Gourhan, qui cherchait à connaître l'homme par le biais de son comportement technique, social et symbolique. L'une des contributions les plus fortes de cette école de pensée a été la notion de chaîne opératoire qui consiste à suivre pas à pas les trajectoires de transformation technologique en partant de la matière première brute pour aboutir à un produit fini, puis à son abandon. Ce processus permet de suivre les opérations effectuées, les moyens d'action et les connaissances mobilisées. Dans le cas de la technologie lithique et osseuse, l’approche des chaînes opératoires prend en compte tous les

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régionale exemplifiée par l’étude technologique de M. Christensen sur l’exploitation des matières dures animales chez les nomades marins de Fuego-

Patagonia (Christensen 2015; Inizan et al. 1995; Lemonnier 1983; Pigeot

1987; Pigeot 1991a; Pigeot 1991b; Pigeot 2004; Pigeot 2011; Schlanger 2004; Schlanger 2005).

Cette impulsion donnée en Préhistoire vient de l'école française d'ethnologie, qui a développé depuis une cinquantaine d’années l'étude des cultures matérielles, avec H. Balfet, R. Cresswell et bien d’autres. Ce mouvement fut concrétisé avec la revue Techniques et Culture. Dans une perspective systémique, la technologie culturelle s’est ainsi définie comme une branche de l'ethnologie étudiant les systèmes technologiques comme faisant partie intégrante d'un système plus vaste composé d’autres phénomènes sociaux et culturels. Au sens large, la technologie englobe toutes les questions relatives à l'action de l’homme sur la matière et distingue trois types de phénomènes: les objets (les instruments qui sont les moyens d'action de l’homme sur la matière), les processus (chaînes opératoires qui regroupent les séquences de gestes) et les savoirs (utilisables ou non par les acteurs). De la même façon, la culture matérielle serait représentée par des faits techniques qui impliquent une action physique sur la matière mais qui sont aussi des produits sociaux. Ils concernent donc les acteurs, les lieux et les phases d'activités techniques, à la fois. Ainsi un trait technique peut avoir pour fonction de produire une modification de la matière et, en même temps, il peut évoquer quelque chose pour quelqu'un (Lemonnier 1983; Lemonnier 1991).

Le cadre des conceptualisations théoriques décrites sur le système techno-économique, nous a amené à rechercher les données archéologiques concernant la disponibilité d'informations sur la localisation de matières premières-clés, telle que l'obsidienne verte. Ces connaissances peuvent conduire à plusieurs questions : où, quand, comment et auprès de qui peuvent s’obtenir ces roches exogènes ? En outre, les méthodes de débitage élaborées en Patagonie et Terre de Feu sont-elles une question ouverte qui pointe vers une même approche, celle des connaissances technologiques mises en œuvre ? Qui, où, quand et pourquoi cela peut-il déclencher un processus d'innovation technologique ? Comment les connaissances pour produire certains types de supports peuvent-elles être acquises, diffusées, stockées et mobilisées ? On peut même s’interroger sur les contextes environnementaux, sociaux, économiques et/ou techniques qui pourraient avoir fondé le succès des innovations.

En termes d'adaptation et d'évolution, ces aspects cognitifs sont remarquables, et, de plus, récupérables à partir des données archéologiques. Comme le soulignent Borrero et al. (2011: 263), les groupes de chasseurs- cueilleurs surveillent constamment les modifications de leurs ressources et des personnes. Dans ce contexte, l'existence de groupes ethniques mixtes ou d'autres types d’unités culturelles (subsistance, tradition, phase, complexe, etc.) facilite le partage de ces connaissances par des individus et/ou groupes qui ont accès à différents ensembles de ressources. En outre, la question de l'interaction culturelle (archéologique) peut être considérée globalement comme une stratégie d'adaptation sociale. Les groupes humains de Patagonie et de Terre de Feu ont développé des processus dynamiques d'interaction sociale qui leur ont assuré des connaissances, qui pourraient donc être la clé de leur adaptation et de leur évolution. En reprenant la dichotomie entre

chasseurs terrestres et marins, on serait conduit à discuter de la pertinence de l’application de ce modèle à l'époque préhistorique, par opposition au schéma de groupes humains organisés en formations sociales ouvertes, interagissant à différents niveaux dans les réseaux d'information. C’est-à-dire, les extrémités du modèle ethnographique pourraient être l’exception et non pas la règle. Dans ce sens les dynamiques d’interaction seraient mieux comprises comme stratégies d’adaptation mises en jeu de façon permanente et comme caractéristique socio-culturelle, plus pertinente que la recherche pour définir les frontières des unités du type ethnique, culturel, etc. (Borrero, Martin, et Barberena 2011; Whallon 2011).

Enfin, les sujets abordés sont aussi liés aux concepts de peuplement et de colonisation, en particulier au modèle d’occupation d’un espace donné, proposé par Luis Borrero (Borrero 1989a; Borrero 1989b). En grande partie, ces travaux représentent le point de départ de notre recherche sur les processus techniques et les dynamiques culturelles de part et d’autre du détroit de Magellan, dans le cadre du peuplement de Patagonie et Terre de Feu durant l'Holocène.