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Chapitre I : La Douleur Neuropathique

2. Physiologie de la douleur

2.3. Système nerveux nociceptif supra-spinal

2.3.1. La « pain matrix »

L’imagerie fonctionnelle du cerveau humain a montré que les stimuli nociceptifs activent conjointement un large réseau de structures corticales et sous-corticales incluant des régions sensorielles, limbiques et associatives, constituant ce qu’on appelle la « pain matrix » (Garcia-Larrea and Magnin, 2008; Mouraux et al., 2011, Figure 7). Les régions communément activées par ces stimuli sont les aires somatosensorielles primaires (S1) et secondaires (S2), l’insula, le cortex cingulaire antérieur (ACC), le cortex préfrontal (PFC), le thalamus et le cervelet (Apkarian et al., 2005; Bushnell et al., 2013). D’autres régions ont également été identifiées anatomiquement et par enregistrements électrophysiologiques comme recevant des afférences nociceptives, confirmées par imagerie fonctionnelle : le noyau accumbens (NAc) et l’amygdale recevant des afférences via le tractus spino-parabrachial, ainsi que la PAG recevant des afférences via le tractus spino-mésencéphalique, ou encore le locus coerulus (Lc) et la région rostro-ventrale du bulbe rachidien (RVM, Basbaum and Fields, 1984; Helmstetter et al., 1998; Apkarian et al., 2011). Ces régions encodent les différentes dimensions douloureuses.

Ainsi, les aires corticales somatosensorielles S1 et S2 recevant des afférences des noyaux thalamiques VPM et VPL encodent les aspects sensoriels-discriminatifs de la douleur tels que sa localisation ou sa durée (Kenshalo et al., 1988; Treede et al., 1999). L’ACC et l’insula recevant des afférences des noyaux thalamiques intralaminaires encoderaient les aspects émotionnels et motivationnels de la douleur (Sellmeijer et al., 2018; Treede et al., 1999). L’insula semble cependant également impliquée dans la perception sensorielle-discriminative de la douleur. Des substrats des voies sensorielles-discriminatives et affectives-motivationnelles de la perception douloureuse aiguë ont ainsi été décrits aux niveaux périphérique, spinal et supra-spinal. Cependant, la voie cognitive-évaluative est encore indéterminée.

Il est à noter que les réseaux de la « pain matrix » ne sont pas exclusivement dédiés au traitement des informations douloureuses puisqu’ils peuvent être activés par d’autres stimuli, somatosensoriels, auditifs ou visuels, en l’absence de stimuli nociceptifs (Mouraux et al., 2011). Certains auteurs considèrent donc que la notion de « pain matrix » correspondrait plutôt à des profils complexes d’activation neuronale au sein de ces réseaux, pouvant ainsi

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constituer un marqueur objectif de perception douloureuse. Il n’existe cependant pas de consensus sur la définition de la « pain matrix », ce qui témoigne de l’état précoce de nos connaissances sur la nociception, notamment au niveau supra-spinal (Garcia-Larrea and Bastuji, 2018; Garcia-Larrea and Peyron, 2013; Legrain et al., 2011). De plus, certaines structures impliquées dans la nociception ne font pas partie des voies décrites.

Parmi celles-ci, le Noyau Prétectal Antérieur (APN) a été étudié dans les années 80. Son implication dans la nociception a été établi, bien que son rôle exact soit encore indéfini (cf Chapitre III). Pourtant, cette structure n’est jamais mentionnée dans la description de la «pain matrix» et très rarement dans les études récentes sur la nociception. Ceci provient probablement du fait que l’activité de l’APN chez l’Humain est totalement inconnue. Des travaux réalisés chez le rat suggèrent que les effets analgésiques de la stimulation de l’APN reposeraient, au moins en partie, sur des projections descendantes impactant l’intégration spinale des stimuli nociceptifs. En effet, les structures supra-spinales permettent non seulement l’intégration des stimuli nociceptifs pour générer la perception douloureuse mais activent également des mécanismes descendants de modulation de la nociception.

Figure 7 | Schéma non exhaustif des structures cérébrales recevant les afférences nociceptives spinales (d’après Bushnell et al., 2013). Les informations nociceptives en provenance du tractus spino-thalamique (voie sensorielle-discriminative) atteignent le thalamus et projettent vers les

aires corticales

somatosensorielles primaire (S1) et secondaire (S2). Les informations nociceptives issues de la voie affective-motivationnelle de la douleur atteignent des structures du tronc cérébral, telles que le PB et la PAG, ainsi que l’amygdale (AMY) et les ganglions de la base (BG). Les aires corticales insulaire, cingulaire antérieure (ACC) et préfrontale (PFC) reçoivent ensuite des afférences de ces différentes aires cérébrales et sont communément associées aux aspects émotionnels et affectifs de la sensation douloureuse.

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35 2.3.2. Contrôle descendant de la douleur

La transmission nociceptive est modulée par des fibres descendantes issues de différentes régions de la « pain matrix » décrites ci-dessus, et qui exercent une influence sur la transmission nociceptive à tous les niveaux de la circuiterie spinale : au niveau des terminaisons centrales des fibres afférentes primaires, sur les neurones de projection ou encore sur les interneurones excitateurs et inhibiteurs. Ces contrôles descendants reposent sur la sécrétion de différents neurotransmetteurs et neuromodulateurs. En fonction des neuromodulateurs et des récepteurs sur lesquels ils agissent, ils sont susceptibles de faciliter ou d’inhiber la transmission de l’information nociceptive. La multiplicité des neuromodulateurs, récepteurs et des lieux d’action offre une large possibilité de mécanismes de contrôle descendant (Millan, 2002). Les structures les plus étudiées dans ce contexte seront ici succinctement présentées.

Il a été montré que lors de stimulations nociceptives, la stimulation électrique ou chimique de la PAG et de la RVM a un effet analgésique (SPA : Stimulation Produced Analgesia), qui se produit via l’activation du funiculus dorso-latéral (DLF, Helmstetter et al., 1998; Prado and Roberts, 1985; Reynolds, 1969). Or, les neurones sérotoninergiques de la RVM activés par les stimuli nociceptifs sont capables d’activer les récepteurs sérotoninergiques spinaux, aboutissant à une inhibition descendante (Dogrul et al., 2009). La RVM contient également des neurones GABAergiques envoyant une projection disynaptique sur les neurones sensoriels primaires via des neurones spinaux à enképhaline. Cette voie faciliterait la douleur mécanique aiguë (François et al., 2017). Cette structure est également sous le contrôle de la transmission opioïde issue de la PAG (Bajic and Proudfit, 1999; Helmstetter et al., 1998). Par ailleurs, une autre structure, le Lc, participe au contrôle descendant via des projections noradrénergiques et GABAergiques vers la moëlle et les noyaux trigéminaux (Winkler et al., 2006). L’activation de ces projections par les voies ascendantes jouerait de deux manières, en diminuant la transmission excitatrice des fibres afférentes primaires au niveau pré-synaptique, ainsi que l’excitabilité des neurones spinaux au niveau post-synaptique. Ces deux mécanismes s’effectueraient via l’activation de récepteurs α2-adrénergiques (Sonohata et al., 2003). De plus, leur action sur les interneurones inhibiteurs spinaux via les récepteurs α1-adrénergiques potentialiserait l’inhibition de ce réseau (Baba et al., 2000b, 2000a). Ce circuit PAG-RVM-Lc a, en temps normal, pour effet net une inhibition. Ce contrôle descendant, activé par les stimuli nociceptifs inhibe la transmission nociceptive : « la douleur inhibe la douleur » (Bannister and Dickenson, 2017).

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L’APN fait également partie des structures dont la stimulation électrique ou chimique produit une analgésie (Prado, 1989; Prado and Roberts, 1985). Cet effet serait également médié par une modulation descendante, inhibant les neurones spinaux à champs récepteurs multiples des couches profondes, et excitant les neurones de projection des couches superficielles, bien que l’APN ne soit pas communément mentionnée parmi les structures du contrôle descendant de la nociception (Rees and Roberts, 1989; Rees et al., 1995, cf Chapitre III - 2.3.2.).

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