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Chapitre III : Le Noyau Prétectal Antérieur

3. Rôle de l’APN dans la somesthésie et l’antinociception

3.3. Rôle de l’APN dans la douleur chronique

3.3.1. Modèles de douleur chronique et persistante

Certaines études ont tenté de déterminer si le contrôle descendant exercé par l’APN dans le cadre d’une douleur aiguë était également impliqué dans des contextes de douleur persistante ou chronique. L’implication de l’APN dans le contrôle de la douleur persistante a été étudiée chez le rat avec des modèles de douleur incisionnelle, considéré comme un modèle de douleur persistante où une lésion est effectuée dans la voûte plantaire, ainsi que dans le modèle de douleur inflammatoire induite par le carraghénane, considéré comme un modèle de douleur subaiguë, intermédiaire entre la douleur aiguë et chronique. De même, dans le modèle de douleur incisionnelle, la lésion électrolytique ou le blocage par la lidocaïne de l’APN contralatéral à la lésion induit une augmentation de l’allodynie mécanique (Villarreal et al., 2003, 2004a). Le modèle d’hyperalgie inflammatoire induite par le carraghénane a également montré une augmentation de l’hyperalgie suite à l’injection de lidocaïne dans l’APN contralatéral (Villarreal et al., 2003). Ces études sur un rôle de l’APN dans la douleur chronique et persistante sont bien moins nombreuses que celles concernant la douleur aiguë, mais elles convergent toutes vers l’hypothèse selon laquelle l’APN réduirait la sévérité des réponses comportementales aux lésions persistantes.

3.3.2. Mécanismes et voies de l’anti-hyperalgie chronique médiée par l’APN

En termes de mécanismes, dans le modèle d’hyperalgie inflammatoire induite par le carraghénane, le marquage c-Fos augmente significativement dans l’APN contralatéral principalement, ainsi que dans une moindre mesure dans l’APN ipsilatéral (Villarreal et al., 2003). L’APN semble donc intégrer les signaux de douleur persistante et chronique de manière bilatérale. Cette étude montre également que l’injection de bupivacaïne dans l’APN contralatéral y diminue le nombre de cellules c-Fos+. Cet effet est par ailleurs accompagné d’une diminution de l’immunoréactivité c-Fos dans les couches superficielles de la moëlle épinière ipsilatérale, et une augmentation dans les couches profondes ipsilatérales. Les auteurs postulent donc qu’une entrée nociceptive activerait l’APN contralatéral déclenchant un mécanisme descendant d’activation des neurones des couches superficielles et d’inhibition des neurones des couches profondes dans la moëlle épinière. Cette hypothèse corrobore celle avancée pour le mécanisme d’antinociception évoqué par l’APN dans le cadre d’une douleur aiguë. Une étude pionnière réalisée dans le contexte d’une douleur chronique suggérait déjà

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que dans le cadre de lésions prolongées, la décharge des neurones spinaux superficiels serait maintenue par la stimulation et par une facilitation via l’APN, et qu’une inhibition descendante soutenue réduirait les réponses aux lésions prolongées (Rees et al., 1995).

Par ailleurs, l’effet pro-hyperalgique de la lésion de l’APN dans le modèle de douleur incisionnelle serait médié en partie par des voies descendantes via le PPTg contralatéral et le GiA (Villarreal et al., 2004b). Ces structures ont également été mises en évidence dans l’antinociception descendante par l’APN lors de douleurs aigües. De plus, l’injection d’antagonistes opioïdes (naloxone) et sérotoninergiques (méthysergide) dans l’APN augmente l’allodynie dans le modèle de douleur incisionnelle (Villarreal and Prado, 2007). Or les voies opioïdes et sérotoninergiques ont également été indiquées comme médiatrices de l’antinociception par l’APN en douleur aigüe. Cette étude emploie l’injection de nombreux autres agonistes et antagonistes et avance l’hypothèse selon laquelle les signaux nociceptifs seraient relayés jusqu’à l’APN ventral par des voies cholinergiques et sérotoninergiques, permettant l’activation des mécanismes de contrôle descendants. La voie sérotoninergique serait contrôlée par des voies GABAergiques intrinsèques de l’APN ou projetant sur l’APN, modulées négativement par les terminaisons nerveuses opioïdes (Villarreal and Prado, 2007). Ces observations suggèrent que l’APN est un siège d’intégration des signaux nociceptifs non seulement aigus mais aussi persistants ou chroniques et qu’elle activerait des voies antinociceptives descendantes dans ces deux contextes. Par ailleurs, la stimulation de l’APN dorsal induirait une meilleure antinociception dans le modèle de douleur aiguë de Tail-flick, tandis que l’APN ventral aurait un effet antinociceptif plus efficace dans le modèle de douleur incicionnelle (Villarreal et al., 2004a). Il est donc possible que l’intégration des signaux nociceptifs aigus ou persistants s’effectue dans différentes régions de l’APN. Les mécanismes descendants activés seraient cependant fortement similaires.

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E

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OYAU

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RETECTAL

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NTERIEUR

87 3.3.3. Douleur neuropathique

L’APN exerce un contrôle descendant sur la perception de la douleur aiguë et dans certains modèles de douleur chronique. Mais le rôle de l’APN dans la douleur neuropathique est peu connu. Ainsi, une première étude a montré que dans le modèle de déafférentiation des racines dorsales, la lésion préventive de l'APN augmente le comportement d'autotomie de façon prolongée (jusqu’à 3 semaines, Rees et al., 1995). L’APN semble donc réduire les effets débilitants d'une lésion prolongée. Une étude plus récente par marquage cFos a montré l’activation de tout l’APN peu après une constriction chronique du nerf (CCI : Chronic Constriction Injury, Rossaneis and Prado, 2015). Cette étude montre également que la lésion excitotoxique de l’APN ventral par le NMDA ou son inhibition par la lidocaïne peu avant la CCI favorise l’hypersensibilité tactile (Rossaneis and Prado, 2015; Rossaneis et al., 2015). Ce phénomène n’impliquerait que l’APN ventral, corroborant les résultats observés lors des lésions locales de l’APN en douleur aiguë et persistante (Rossaneis and Prado, 2015; Villarreal et al., 2004a). De façon intéressante, une lésion réalisée plus précocement, avant la CCI, n’est pas pro-hyperalgique. De plus, lorsque la lésion de l’APN est réalisée après la CCI, aucun effet n’est observé. Ces résultats suggèrent que l’APN ventral aurait donc un rôle dans la mise en place de la neuropathie, notamment dans son initiation plutôt que son maintien. Par ailleurs, l’intensification de l’hypersensibilité tactile observée en phase initiale après la CCI suite à l’injection des antagonistes naloxone et de méthysergide confirme l’implication des voies opioïdes et sérotoninergiques, respectivement, dans le contexte d’une neuropathie. L’APN est donc impliqué non seulement dans l’intégration des signaux nociceptifs aigus, persistants et chroniques, mais également dans le modèle neuropathique de CCI. Cependant, dans les modèles persistants et chroniques, la lésion de l’APN est effectuée de manière préventive et l’effet nociceptif observé est prolongé (Rees et al., 1995), tandis que dans le modèle neuropathique étudié, la lésion préventive de l’APN n’est efficace qu’en phase initiale de la neuropathie tandis qu’une lésion ultérieure n’a aucun effet (Rossaneis et al., 2015). Par ailleurs, il semblerait que les régions ventrale et dorsale de l’APN soient recrutées de façon différentielle dans les contextes aigus et chroniques, tout en impliquant des voies de neuromodulation similaires. En conclusion, l’implication de l’APN dans l’intégration et le contrôle de la douleur aigüe semble clairement établie. Pourtant, cette structure n’est jamais mentionnée parmi les centres supra-spinaux de la douleur. Par ailleurs, le rôle de l’APN dans le contexte de la douleur chronique reste encore à être précisé, et de nombreuses questions subsistent concernant son implication dans la neuropathie.

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ROBLEMATIQUE

91 Comme vu précédemment, la douleur est un signal d’alarme essentiel à l’intégrité physique individuelle. Son évolution vers un état de douleur chronique la rend purement délétère. Aujourd’hui, peu de molécules sont efficaces dans le traitement des douleurs chroniques ou neuropathiques. Par ailleurs, les voies de la douleur, aiguë ou chronique, semblent ne pas être totalement élucidées. Si certains mécanismes de développement de la neuropathie ont récemment été identifiés, essentiellement au niveau périphérique et spinal, sa physiopathologie reste encore mal définie, notamment au niveau supra-spinal. Ceci témoigne de la nécessité d’approfondir l’état des recherches sur la douleur neuropathique, dans l’optique d’obtenir de nouvelles cibles thérapeutiques potentielles. Les dérégulations des canaux ioniques semblent fondamentales dans cette pathologie. Parmi eux, le canal calcique Cav3.2 a une implication nettement établie au niveau périphérique et spinal. Cependant, sa localisation et son rôle au niveau supra-spinal n’ont pas encore été spécifiquement étudiés. Par ailleurs, si les rôles des autres isoformes de canaux T, Cav3.1 et Cav3.3 ont été établis, entre autres dans la décharge des neurones thalamiques et les oscillations thalamocorticales, le rôle général de l’isoforme Cav3.2 exprimée dans le cerveau est encore inconnu. Grâce à un modèle murin développé et validé par nos collaborateurs aux niveaux périphérique et spinal, nous avons investigué l’implication des canaux Cav3.2 exprimés au niveau supra-spinal dans la douleur neuropathique.

Nos premières expériences de localisation du canal par immunohistochimie ont montré que le canal Cav3.2 est exprimé dans des régions discrètes du cerveau, dont beaucoup font partie de la «pain matrix». Une forte expression a notamment été remarquée dans le Noyau Prétectal Antérieur (APN). De manière intéressante, ce noyau ne fait pas partie des structures supra-spinales classiquement désignées dans le traitement nociceptif. Or son rôle dans la perception douloureuse a été clairement établi.

C’est pourquoi nous avons choisi d’étudier le rôle du canal Cav3.2 exprimé dans l’APN, dans le développement de la neuropathie. Pour ce faire, nous avons d’abord observé plus précisément l’expression du canal Cav3.2-GFP dans l’APN chez les souris KI-Cav3.2-eGFPflox. Puis nous avons eu recours à des injections virales locales de la Cre par stéréotaxie chez ces souris et réalisé des tests comportementaux de sensibilité pour déterminer l’impact de cette délétion locale, dans des conditions de perception somatosensorielle basale ou neuropathique. Enfin, pour mieux comprendre les effets observés, nous avons effectué une caractérisation anatomique, moléculaire et électrophysiologique in vitro des neurones Cav3.2-GFP-positifs de l’APN ..

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ATERIEL

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