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Le système lipase/colipase pancréatique

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1.2. La digestion des triglycérides

1.2.2. Le système lipase/colipase pancréatique

La digestion des lipides, qui a débuté dans l’estomac sous l’action de la lipase gastrique, se poursuit dans le duodénum sous l’action du système lipase/colipase pancréatique.

1.2.2.1. Localisation tissulaire et sécrétion de la lipase pancréatique

La lipase pancréatique est synthétisée par les cellules acineuses du pancréas exocrine, qui la stockent au niveau de leurs granules de zymogènes, et la sécrètent, sous forme directement active, par exocytose au niveau de leur membrane apicale (Miled et al., 2000). Ces mécanismes ne sont pas pleinement fonctionnels chez le nouveau-né, dont le pancréas est encore immature. Ainsi, le suc pancréatique contient des quantités négligeables de lipase au moins jusqu’à 30 jours après la naissance (Lebenthal et Lee, 1980), et l’enzyme, détectable chez le fœtus seulement à partir de la 21ème

semaine de gestation, n’apparaît que progressivement dans le pancréas, pour être présente dans tous les acini seulement quinze jours après la naissance (Carrere et al., 1992). Chez l’adulte, la concentration duodénale de lipase pancréatique est de 1 à 2.10-7

M. Dans les conditions physiologiques normales, la masse totale de lipase pancréatique sécrétée au cours d’un repas liquide varie d’environ 88 mg (Carrière et al., 1993) à 245-254 mg (Borovicka et al., 1997, Carrière et al., 2000), et représente environ 202,9 ± 96 mg au cours d’un repas solide (Carrière et al., 2000). La concentration duodénale de lipase pancréatique est plus importante au début de la digestion chez l’adulte. En effet, elle s’élève à 200 µg/mL pendant les 6 premiers 10ème

de la vidange gastrique, puis redescend à 50 µg/mL ensuite (Carrière et al., 1993). Chez le nouveau-né, en revanche, la concentration duodénale de lipase pancréatique diminue pendant la prise alimentaire, en particulier pendant la première heure, où l’activité lipase mesurée sur tributyrine à partir du contenu duodénal peut être jusqu’à 27 fois moins importante que chez l’adulte (Fredrikzon et Olivecrona, 1978). La sécrétion enzymatique du suc pancréatique est stimulée par la cholécystokinine (Fried et al., 1991), et, dans une moindre mesure, par la

gastrine (Granger et al., 1985). Sa sécrétion hydrominérale est activée par la sécrétine (Granger et al., 1985) et le peptide intestinal vasoactif (VIP).

1.2.2.2. Caractéristiques biochimiques du système lipase/colipase pancréatique

La lipase pancréatique (EC 3.1.1.3) catalyse l’hydrolyse des triglycérides et des diglycérides en acides gras libres et monoglycérides, spécifiquement au niveau des liaisons ester externes (Brockerhoff, 1970, Yang et al., 1990), et son action permet de dégrader 40 à 50 % des triglycérides ingérés (Carrière et al., 1993, Armand et al., 1996a). Elle peut cliver des acides gras de longueur de chaîne très variable. L’hydrolyse est plus rapide pour les acides gras à chaîne courte et moyenne (Brockerhoff, 1970), et réduite envers les liaisons esters impliquant des acides gras polyinsaturés à chaîne longue (Hernell et al., 1993). Parmi les acides gras à chaîne longue (C14 à C22), le taux d’hydrolyse peut varier d’un facteur 6 (Yang et al., 1990). Dans l’hypothèse où la lipase pancréatique serait sécrétée en large excès, ces différences de taux seraient insignifiantes, et tous les acides gras à chaîne longue seraient efficacement libérés par l’action de la lipase pancréatique (Lowe, 2002). Cependant, l’idée généralement admise dans la littérature que le pancréas sécrèterait plus de lipase que nécessaire est actuellement discutée (Carrière et al., 2005). L’activité de la lipase pancréatique est estimée à 150-300 unités par millilitre de suc pancréatique sur substrat à chaîne longue (Carey et al., 1983), et augmente de façon variable pendant le début de la digestion. Sur tributyrine, les travaux de Carrière et collaborateurs indiquent une activité de 1600 U/mL pendant les deux premiers tiers de la vidange gastrique (repas liquide), puis de 400 U/mL pendant le dernier tiers (Carrière et al., 1993), et les travaux d’Armand et collaborateurs décrivent une activité plus élevée de 4000 U/mL deux heures après l’ingestion d’une émulsion entérale, pour une valeur à jeun de 250 U/mL (Armand et al., 1999). In vitro, les activités spécifiques optimales obtenues avec 4 mM de taurodésoxycholate et un excès de colipase sont de 8000 à 12000 U/mg à pH 8,00 sur tributyrine (Carrière et al., 1993, Carrière

et al., 2000, Miled et al., 2000) , 6000 U/mg à pH 7,80 sur tricapryline (Miled et al., 2000) et

4600 U/mg à pH 8,00 sur Intralipid™ (Miled et al., 2000). Lorsqu’on se rapproche des conditions physiologiques en utilisant un repas standardisé comme substrat (cf. Tableau 1), l’activité spécifique de la lipase pancréatique est beaucoup plus faible : 47 U/mg (repas liquide) et 12 U/mg (repas solide) avec du suc, et 43 U/mg (repas liquide) et 15 U/mg (repas solide) avec de la lipase purifiée (Carrière et al., 2000). La lipase pancréatique est plus active sur substrat émulsifié, d’où la notion d’ « activation interfaciale » (Sarda et Desnuelle, 1958).

Son action dépend fortement de la présence des sels biliaires, retrouvés dans la lumière intestinale soit sous forme de micelles, pour ceux dont la concentration est supérieure à leur concentration micellaire critique (5 mM pour le taurocholate, 2 mM pour taurodésoxycholate, 3 mM pour le taurochénodésoxycholate et 4 mM pour le glycocholate, Wickham et al., 1998), soit sous forme de monomères. Sous forme de micelles, les sels biliaires favorisent l’activité enzymatique de la lipase pancréatique en stabilisant sa conformation active, mais inhibent son adsorption à l’interface lipidique en s’accumulant autour des globules (Verger, 1984). L’accumulation des micelles agit alors soit en limitant la surface d’interface disponible pour la lipase (Borgström et Erlanson, 1973), soit en augmentant la pression interfaciale au-delà de la zone des pressions compatibles avec l’adsorption de la lipase (23-30 dynes/cm) (Verger et

al., 1977), soit en créant une barrière de charges négatives repoussant la lipase de façon

électrostatique (Chapus et al., 1975). Sous forme de monomères, les sels biliaires pourraient également inhiber l’adsorption de la lipase pancréatique, en s’associant à une partie des molécules d’enzyme et en diminuant ainsi la quantité de lipase disponible pour s’adsorber à l’interface lipidique (Lairon et al., 1978, Wickham et al., 2002). L’inhibition de l’adsorption de la lipase pancréatique à l’interface lipidique par les sels biliaires est levée grâce à un partenaire protéique spécifique: la colipase. En effet, en présence d’un excès de colipase, il n’existe pas de corrélation entre la durée de la période de latence avant le début de la lipolyse, mesurée sur une émulsion d’huile d’olive, et la charge électrique à la surface des globules lipidiques en présence de sels biliaires (déterminée par la mesure du potentiel zêta) (Wickham

et al., 2002). La colipase est une petite protéine, d’environ 10 kDa et 95 acides aminés (Egloff et al., 1995). Elle est sécrétée en proportion équimolaire avec la lipase pancréatique (Carey et al., 1983), sous forme de procolipase, puis activée par clivage trypsique au niveau de la

liaison Arg 5-Gly 6. Elle appartient à la famille des molécules riches en résidus cystéines, puisqu’elle en contient 10, tous impliqués dans des ponts disulfures stabilisateurs (Egloff et

al., 1995). Sa structure à quatre « doigts » est très bien adaptée à sa fonction, puisque ses deux

« doigts » hydrophobes lui permettent de se fixer au substrat lipidique de la lipase (Egloff et

al., 1995), tandis que les deux autres, hydrophiles, lui permettent d’interagir au niveau de son

site de liaison Glu 64-Arg 65 avec les acides aminés Asn 366, Gln 369 et Lys 400 du domaine C-terminal de la lipase pancréatique (Crandall et Lowe, 2001, Lowe, 2002). Le pH optimum d’action de la lipase pancréatique, situé entre 7,00 et 9,00, est abaissé à 6,50 en présence de ce cofacteur (Borgström et Erlanson, 1971).

1.2.2.3. Structure et mécanisme catalytique du système lipase/colipase pancréatique

La lipase pancréatique humaine, cristallisée pour la première fois en 1990 (Winkler et

al.), est une glycoprotéine de 50 kDa, constituée d’une seule chaîne polypeptidique de 449

acides aminés. Elle présente un vaste domaine N-terminal (résidus 1 à 336), qui possède la structure α/β caractéristique des lipases (Ollis et al., 1992), et un domaine C-terminal (résidus 337 à 449) beaucoup plus petit constitué exclusivement de feuillets β (Lowe, 2002). Elle comporte 6 ponts disulfures, dont la disposition, non usuelle, lui confère une grande flexibilité, favorisant les modifications conformationnelles (Verger, 1984, Winkler et al., 1990). Elle possède également un site unique de N-glycosylation (Asn 166) (Hide et al., 1992) ; sa partie polysaccharidique représente seulement 2 % environ de la masse totale de la protéine (De Caro et al., 1977), et n’est pas indispensable à son activité (Verger, 1984). La lipase pancréatique appartient à la même famille que la lipoprotéine lipase et la lipase hépatique (Lohse et al., 1997a), avec lesquelles elle partage environ 35 % d’homologie (Hide

et al., 1992). On trouve notamment huit résidus de cystéine alignés à la même position dans la

séquence de ces trois lipases (Hide et al., 1992) et une localisation des principales structures et fonctions identiques (Wong et Schotz, 2002). Le gène codant pour la lipase pancréatique, PNLIP, est situé sur le chromosome 10 et comporte 13 exons répartis sur une longueur de 21,9 kb (Sims et al., 1993). Il partage des similarités structurales avec les gènes codant pour la lipoprotéine lipase (10 exons) et la lipase hépatique (9 exons). Ces trois gènes dérivent d’un gène ancestral commun. Cependant, la conservation plus forte de l’organisation des exons et des introns, et de certains sites (comme les deux sites de N-glycosylation différents de celui de la lipase pancréatique) entre la lipoprotéine lipase et la lipase hépatique suggère que ces deux lipases ont divergé plus récemment que la lipase pancréatique (Hide et al., 1992). Trois polymorphismes silencieux ont d’ores et déjà été identifiés sur le gène PNLIP : 96 A/C sur l’exon 3, 486 C/T sur l’exon 6 et 1359 C/T sur l’exon 13 (Hegele et al., 2001). Une étude très récente, menée sur deux cohortes allemandes, a permis de mettre en évidence un polymorphisme du gène codant pour la colipase pancréatique (109 Arg/Cys) impliqué dans la susceptibilité au diabète de type II (Lindner et al., 2005).

Le mécanisme catalytique du système lipase/colipase pancréatique est assez complexe. La triade catalytique, constituée des résidus sérine 153, aspartate 177 et histidine 263 (Winkler et al., 1990) et située dans le domaine N-terminal de la lipase pancréatique, est masquée par une boucle, appelée « couvercle », délimitée par le pont disulfure établi entre les

résidus cystéine 238 et 262. En effet, en association, par des liaisons de Van der Waals, avec les boucles voisines β5 (résidus 76 à 85) et β9 (résidus 204 à 224), elle recouvre le site catalytique et le rend inaccessible (Lowe, 2002). En présence du substrat de la lipase, le « couvercle » et la boucle β5 changent de conformation, ce qui démasque le site catalytique et permet la mise en place du trou oxyanion stabilisateur, formé par les résidus phénylalanine 78 et leucine 154 (Lowe, 2002). Le domaine C-terminal, de son côté, permet la fixation de la colipase (Miled et al., 2000, Lowe, 2002). Dans un premier temps, la lipase, la colipase et les micelles de sels biliaires se mélangent au niveau de l’ampoule de Vater (qui recueille simultanément les sécrétions pancréatique et biliaire), et forment un complexe ternaire (Figure 5) (Hermoso et al., 1997). Puis, dans un second temps, ce complexe s’adsorbe sur son substrat lipidique, au niveau duquel se produit l’activation interfaciale, c’est-à-dire le déplacement du « couvercle » et de la boucle β5 (Lowe, 2002).

Figure 5 : Représentation schématique du complexe ternaire lipase-colipase-micelle de sels biliaires (Hermoso et al., EMBO J, 1997, 16, 5531-5536).

Le « couvercle » ouvert et les « doigts » hydrophobes de la colipase délimitent alors un vaste plateau hydrophobe de plus de 50Å, capable d’interagir fortement avec l’interface lipidique (Miled et al., 2000). Des études récentes suggèrent, que le domaine C-terminal de la lipase pancréatique pourrait lui aussi participer à la liaison de l’enzyme à son substrat. En effet, il présente une boucle hydrophobe, baptisée boucle β5’ (résidus 405 à 414), dont la surface

n’est pas masquée par la colipase et se retrouve orientée dans le même plan que le couvercle ouvert, la boucle β9 et les “doigts” de la colipase (Chahinian et al., 2002).

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