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3. L ES CONCEPTIONS DE LA RELATION CHEZ LES ACTEURS DU TRAVAIL SOCIAL

3.1 Les conceptions de la relation dans la documentation scientifique

3.1.4 Synthèse des travaux sur la relation en Europe francophone

Il se dégage de l’ensemble des travaux précédents une série de points communs qu’il est intéressant d’aborder ici. D’abord, il est à souligner qu’en comparaison avec le contexte anglophone, l’articulation des registres individuel et social de l’intervention sociale européenne ne semble pas susciter de malaise identitaire, du moins pas de façon aussi perceptible que de ce côté-ci de l’Atlantique. En réalité, la question du lien et de l’échange social est centrale dans l’ensemble des écrits, de sorte qu’une éventuelle référence à cette dimension dans l’intervention doit se concevoir plus aisément qu’une approche surtout centrée sur la dimension psychoaffective de l’usager.

Il n’empêche que la question de la psychoaffectivité se retrouve dans les travaux. En réalité, la psychoaffectivité ne semble pas tant se situer sur un registre émotif, comme c’est le cas en Amérique du Nord, que sur un registre d’expérimentation d’une forme de vie sociale négative ou d’une souffrance sociale. Le social se trouvant toujours à l’arrière-plan, il devient dès lors compréhensible que la centration sur la dimension individuelle de l’usager n’apparaisse pas être la cause d’un malaise chez les intervenants. La psychoaffectivité n’est pas considérée comme

l’unique pôle du travail du TS auprès des usagers, mais plutôt comme un facteur facilitant l’accès à la dimension sociale des problématiques qu’ils rencontrent. Le face-à-face (Giuliani, 2008), l’entretien individualisé (Garnier, 2000) et la proximité (Breviglieri, 2008; Ravon, 2002) favorisent le rapprochement et la compréhension de l’expérience sociale de l’usager. Cette attention portée aux biographies personnelles (Breviglieri, 2008) d’usagers fragilisés (Vrancken, 2010) et vulnérables (Laval et Ravon, 2005), se trouvant dans des situations sociales sans qualité (Giuliani, 2008) permet la construction d’un univers de sens commun au regard des problèmes à traiter et des actions à entreprendre qui servira, à terme, de levier vers un meilleur échange social.

La notion d’engagement se révèle très présente dans les travaux européens. La mobilisation de l’usager et de ses ressources dans la modification de sa situation sociale repose sur une entente conclue dans le cadre de la relation. Que ce soit sous forme de pacte (Giuliani, Ibid.), de contrat (Breviglieri, 2005; Vrancken, 2007), d’aide personnalisée (Laval et Ravon, 2005, Vrancken, 2010) ou toute autre forme d’accord entre le TS et l’usager, la relation permet l’engagement du sujet dans un projet. Le projet revêt une importance considérable dans la mesure où il agit comme médiateur entre les dimensions individuelle et sociale des situations des usagers. Parce qu’il est fondé sur les besoins, tels qu’identifiés par le TS et l’usager, il offre un espace de reconnaissance de l’usager en même temps qu’il assure sa réinsertion au cœur de l’échange social. Par l’implication de l’usager dans un projet, c’est l’articulation entre individu et social, visée par le travail social, qui est ainsi rendue possible.

La valeur du projet est d’autant plus grande dans les écrits que c’est ce dernier qui porte l’intention transformationniste du travail social. C’est en effet par lui que passe le changement souhaité, dont la restauration du lien social faisant souvent défaut chez l’usager. Pour l’atteinte de cette transformation, les actions du TS doivent

chercher à convaincre l’usager de la nécessité de s’investir dans un projet. Les stratégies de persuasion font appel aux compétences du TS. Maître de la relation, le TS doit contrôler les effets de l’interaction afin que l’usager consente à réaliser les pactes convenus (Giuliani, 2008).

Contrairement aux résultats de l’analyse de la documentation scientifique anglophone, il appert que la relation est envisagée, en contexte européen francophone, selon une perspective se rapprochant de la médiation. Malgré l’existence de différentes appellations: proximité, accompagnement, face-à-face, travail avec autrui, il se dégage de la documentation que la relation repose sur un socle de confiance entre le TS et l’usager. Créée au cours de rencontres individuelles, cette base de confiance devient un repère pour l’usager, favorise son engagement dans un projet et lui permet progressivement de réorganiser son rapport, jusqu’alors problématique, au monde. C’est dans cette optique de composer autrement avec des situations sociales problématiques que la relation en travail social peut être apparentée à un acte fondamental de médiation.

Une conception de la relation en termes de médiation peut également être décelée dans le fait que la relation se voit par certains (Garnier, 2000; Ravon, 2002) comme un espace privilégié d’expérimentation d’un échange social. Par l’instauration d’un lien de nature sociale entre le TS et l’usager, la transformation progressive de son rapport au monde peut s’accomplir. Lorsque la confiance de l’usager envers le TS s’accroît, c’est sa confiance dans l’institution publique qu’il incarne et, en fin de compte, sa confiance envers la société qui se modifie positivement (Breviglieri, 2005).

Si un malaise identitaire n’est pas ressorti clairement de l’analyse des textes précédents, il reste qu’une certaine difficulté à nommer les pratiques du travail social est exprimée. Les professionnels du social peineraient par exemple à définir la notion

d’accompagnement: cette dernière se concevrait surtout à partir d’un registre pragmatique (Bartholomé et Vrancken, 2005). L’apparition de la notion dans les milieux n’aurait par ailleurs pas été soutenue conceptuellement (Ibid.). Des bémols sont également soulevés quant aux modalités pratiques de la relation. Giuliani (2008) mentionne entre autres que, devant l’imprécision des prescriptions institutionnelles au regard de l’effectuation en temps réel de la relation d’accompagnement, c’est au professionnel que revient la responsabilité d’encadrer ses interventions. Les activités d’accompagnement n’auraient, pour ainsi dire, pas trouvé leur discours (Ibid.). Par ailleurs, la relation de proximité instaurée par le TS, parce qu’elle se voit rapprochée des compétences de familiarité avec l’usager, se retrouve mal estimée, voire déconsidérée (Breviglieri, 2005). Comme c’est le cas en contexte anglophone, il est permis de croire qu’une base conceptuelle peu développée au regard des pratiques du travail social en Europe francophone participe à la difficulté de les expliciter.

En terminant, devant le flou conceptuel qui plane sur la notion de relation en travail social dans la documentation scientifique, et particulièrement dans celle recensée en Amérique du Nord, il est légitime de s’interroger sur la façon dont est conçue cette dimension par les organismes chargés de réglementer la profession au Canada. Sur quelles bases s’appuieront leurs définitions de la relation? La partie qui suit s’intéressera à cette question et tentera d’identifier les conceptions de la relation au sein de l’Association canadienne de travail social et de l’Ordre des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec.

3.2 Conceptions de la relation au sein des organismes de réglementation de