• Aucun résultat trouvé

3. L ES CONCEPTIONS DE LA RELATION CHEZ LES ACTEURS DU TRAVAIL SOCIAL

1.1 La médiation: un concept polysémique

Le développement de modes alternatifs de règlement de litiges depuis le début des années 1980 (Guillaume-Hofnung, 2007; Six, 1990) a contribué à l’émergence du concept de médiation au sein de plusieurs secteurs de l’activité humaine (Balmer et Hébert, 2009) (public, privé, communautaire, etc.). C’est ainsi que les travaux sur la médiation ont connu un accroissement exponentiel (Lenoir, 2014) et que des disciplines et des professions se sont approprié la notion, à des degrés divers, et l’ont investie de sens en fonction d’objectifs spécifiques.

La médiation peut se référer dès lors à de multiples significations (Guillaume-Hofnung, 2007; Ion, 2006), s’imprégnant selon les situations de visées de reproduction, d’adaptation, d’inculcation, de conformisation (Lenoir, 2014). La médiation peut désigner par exemple

tantôt une activité spécifique, un “mode non décisionnel” de traitement des conflits entre particuliers […]; et tantôt, de façon extrêmement vague, elle vient nommer toute pratique de mise en relation, et son acception devient alors quasiment infinie. (Ion, 2006, p. 127)

La diversité des significations accordées à la médiation peut en outre s’insérer au travers d’approches de la médiation (Faget, 2006). Parmi celles-ci, l’approche nominaliste renvoie à l’ensemble des pratiques de médiation qui se revendiquent comme telles. L’approche substantialiste se définit pour sa part par l’atteinte d’objectifs précis, tandis que l’approche normative souligne la posture du tiers dans la médiation. Le mot médiation s’emploie tout autant pour l’identification «de pratiques, de techniques, des modèles, de concepts, de paradigmes» (Balmer et Hébert, 2009, p. 21) que pour évoquer l’idée d’intermédiaire, de moyen ou de soutien (Ibid.).

Quelles que soient ces multiples significations, un dénominateur commun permet de les associer sur la base d’objectifs transformationnels précis. Il se dégage en effet que la médiation vise, dans tous les cas, l’atteinte d’une forme de changement, que ce dernier s’apparente à une résolution de conflits ou encore au rétablissement d’un lien entre des personnes ou des institutions. Or, la poursuite de finalités déterminées a priori renvoie d’abord et avant tout à une conception instrumentale de la médiation (Lenoir, 2014). L’idée de négociation et le recours à des techniques diverses pour atteindre des objectifs précis, que ceux-ci se réfèrent à un « moyen de résolution de conflits entre parties […], à un mode de régulation sociale […], à un moyen dans le domaine de l’action sociale (syndicats) » (Ibid., p. 58-59) ou encore à un « moyen de gestion des systèmes de transactions » (Ibid.), sont étroitement associés à cette perspective de la médiation.

Le travail social n’est pas exempt d’une telle polysémie quant au concept de médiation. Tel que démontré supra, la médiation en travail social peut tout autant faire référence aux compétences de médiateur du TS, à un modèle d’intervention ou à un type de pratique relatif à un certain profil d’usagers (Mantle, 2002). Qu’elle soit utilisée par des TS œuvrant dans des contextes variés (législatif, juridique, pénal, communautaire, institutionnel, etc.) et intervenant auprès de clientèles tout aussi diversifiées (couple, famille, collectivité, groupes sociaux, institutions, etc.), ses finalités demeurent relativement similaires. Il s’agit de parvenir à une entente permettant la résolution d’un litige ou de restaurer un lien qui s’était rompu entre deux parties. Tel que mentionné plus haut, il s’avère que la tendance actuelle en travail social est de concevoir la médiation et les compétences qui lui sont associées à ces finalités précises, que Lenoir (2014) inscrit dans un registre instrumental. Dans cette perspective, la médiation constitue un moyen, un soutien, un outil au service de l’atteinte de buts définis a priori.

Au-delà de ces finalités instrumentales, la médiation peut pourtant être considérée comme une composante essentielle de toute intervention sociale. Plutôt que d’être comprise comme l’une des pratiques du travail social, elle possède le statut de fondement pour toute pratique à la frontière de l’espace privé et de l’espace social et ayant une finalité sociale de transformation (Chouinard et al., 2009). S’inscrivant dès lors dans une approche historico-philosophique selon laquelle la médiation « est conçue sur la base de la dynamique des êtres humains dans leurs rapports sociaux et [...] a pour objet la réalisation de leur humanité en société » (Lenoir, 2014, p. 62), la médiation ne peut ainsi être pensée hors de l’espace social au sein duquel se construisent et évoluent les humains à travers la recherche d’émancipation sociale. Le fait de concevoir ainsi l’humain au cœur de pratiques sociales et investi de visées émancipatoires rejoint directement les fondements de toute intervention sociale et socio-éducative. Dans la mesure où l’action de l’enseignant, de l’infirmière, du psychologue, du TS, s’intéresse, à des degrés divers, à la construction de rapports

plus affranchis au monde, qu’ils soient appréhendés à travers de rapports au savoir, de rapports à la santé, de rapports à la psyché ou de rapports aux normes sociales, la médiation constitue le cœur de toute intervention de nature sociale et éducative et fait de tout professionnel un médiateur.

C’est dans l’optique d’élucider cette seconde conception que seront présentées les principales théories de la médiation sur lesquelles s’appuie la trame conceptuelle adoptée dans le cadre de cette recherche. À la suite de cet exposé, un modèle théorique permettant d’articuler et de réfléchir les médiations spécifiques du travail social sera détaillé. Ce dernier jette un éclairage nouveau sur l’action professionnelle du travail social et permet de donner sens au caractère multifinalisé et complexe de cette pratique qui a tant de mal à se définir (Couturier et Legault, 2002). Il sera alors possible de saisir dans toute son importance le rôle déterminant du TS dans le processus de mise à distance et de transformation du rapport qu’un usager entretient avec le monde, rapport marqué par une disqualification sociale.

1.2 D’une conception instrumentale vers une conception dialectique de la