• Aucun résultat trouvé

D. Bawassan explique avec des gestes que les lames sont trop proches les unes des autres;

II. Synthèse sonore

"Pour bien comprendre le sens et la portée de notre adaptation au milieu physique, il a fallu précisément que l'informatique soit en mesure d'en disloquer les données naturelles, de contrarier le fonctionnement normal de la perception, de provoquer des déséquilibres, de perturber ses mécanismes de régulation ou d'intégration en lui proposant des informations paradoxales ou discordantes. L'ordinateur peut porter les conditions d'une expérimentation au-delà du normal, atteindre par l'artifice technique ce qui est inaccessible pour la sensorialité, susciter ce qui précisément ne se produit jamais dans la nature. (Dufourt 1990 : 330) La technique de synthèse que nous avons appliquée est celle de la modulation de fréquence, inventée par John Chowning et en étroite collaboration avec l'I.R.C.A.M., où se sont développées, au même moment, de nombreuses recherches expérimentales sur les représentations mentales du timbre.

En principe, dans la synthèse en modulation de fréquence, un même schéma algorithmique peut mener à tous les résultats sonores et, inversement, un même résultat sonore peut être atteint quelque soit l'algorithme choisi au départ. Cependant, selon l'algorithme choisi, la paramétrisation des générateurs de fréquence sera plus ou moins délicate à effectuer : fréquences et intensités de modulations, courbes temporelles d'intensités et de fréquences, sur-modulations peuvent s'avérer autant de contraintes lorsque la configuration de modulation — l'algorithme de synthèse — ne permet pas de concilier les performances et la sensibilité du synthétiseur avec le résultat acoustique escompté. Il existe donc, dans ce processus de synthèse, une notion d'efficacité de l'algorithme choisi en fonction du timbre recherché. Lorsque cette règle d'efficacité est satisfaite, il apparaît la possibilité d'attribuer à chaque partie de l'algorithme une fonction, ou un champs de fonctions déterminées. La synthèse ne s'effectue alors plus par un empilement de données acoustiques indépendantes (comme la synthèse additive) ou par la modification des mêmes données, tout aussi indépendantes (synthèse soustractive, par forme d'onde). Bien au contraire, le procédé devient une synthèse organique qui rend étroitement dépendants chacun des éléments d'un algorithme devenant déterministe.

La question était, pour un son de xylophone, de savoir quelle configuration de modulation choisir selon le timbre que l'on veut créer. Mais aussi, le modèle de timbre obtenu par synthèse devait être accepté comme un son de xylophone, et, en tant que modèle de recherche, devait :

- ne pas présenter un spectre trop complexe, dont on ne pourrait dès lors plus repérer les éléments pertinents;

- être la base de développements ultérieurs possibles, en fonction des réactions des musiciens et des nouvelles options de la problématique;

- permettre le contrôle de chacun de ses paramètres, et des incidences de ses composantes sur la perception de la hauteur.

Des lames et des calebasses

En déterminant la configuration des six générateurs de fréquence, un cadre fixe était établi, dans lequel un certain nombre de paramètres constants donnent un profil "xylophonesque" au sons qui en résultent. Nous avons établi un parallèle entre ce cadre de synthèse entièrement constitué par la forme de l'algorithme des générateurs, et l'organologie des xylophones : nous avons attribué aux différentes parties de l'algorithme de synthèse les principaux composants organologiques du xylophone, à savoir la lame et le résonateur. Ainsi, trois générateurs mis en série (chaîne de modulation 1) étaient capable de simuler un spectre riche correspondant à un son de lame de bois — seule — (comparable au timbre d'un woodblock), et trois autres générateurs (chaîne 2) simulaient le comportement du résonateur et le renforcement des zones spectrales harmoniques qui s'ensuivent :

19 5

Chaque chaîne de trois générateurs simule le com- portement de chaque lame et résonateur. Résonateur Lame Son de synthèse de xylophone Générateurs de fréquence

Ces deux cascades de générateurs sont tout à fait indépendantes. D'une part il est possible de faire varier le spectre de la lame, tout en gardant le même profil d'attaque et, d'autre part, la fréquence, la durée et la forme de la résonance pouvait être changée sans modifier le spectre transitoire. Aussi l'indépendance de la résonance permettait de créer des sons inharmoniques avec une fréquence fondamentale déterminée.

Les timbres de synthèse de la série 2 (Xylo 2a à 2i) et 4 (Xylo 4.1 à 4.5) utilisés lors des expérimentations ont été conçus selon ce même principe (les paramètres de synthèses figurent en Annexe 5). L'inharmonicité des timbres Xylo 2a est crée en réglant la fréquence de générateur "porteur" selon le rapport voulu : un rapport entier donne un timbre harmonique, et les écart successifs de ce rapport rend le timbre progressivement inharmonique, en sur-haussant les composantes (Xylo 2f à Xylo 2i), ou en les sur-baissant (Xylo 2b à Xylo 2e).

Les sonagrammes suivant permettent de comparer le timbre d'un xylophone original et le timbre de synthèse Xylo 2 :

Sonagrammes des timbres du synthétiseur "Xylo 2e" (A), et de la première lame du xylophone manza enregistré en 1986 par Vincent Dehoux (B), à partir duquel a été effectuée la synthèse. La lecture des harmoniques devra tenir compte des hauteurs absolues : (A) et (B) sont presque à la même hauteur.

19 7

On notera les différences que présentent les sonagrammes (B) et (C), de deux lames de xylophones différents mais de même facture, tout deux manza, et joués par le même musicien (Bawassan). Le timbre de synthèse (A) est aussi proche de l'un ou l'autre de ces xylophones.

Sonagrammes du même timbre Xylo 2e du synthétiseur (A) et de la quatrième lame d'un autre xylophone manza enregistré par nous en 1989 (xylophone M89-2), (B). Une tierce environ sépare ces deux sons.

Les timbres Xylo 4 utilisés chez les Manza lors d'une expérimentation sur l'inharmonicité ont une structure spectrales identique à celle des timbres Xylo 2, mais l'intensité des harmoniques a été renforcée. De plus, au lieu de sur-hausser ou sur- baisser dans le même sens les composantes harmoniques pour créer l'inharmonicité, nous avons parfois (Xylo 4.4 et 4.5) réparti les composantes fréquentielles de façon plus hiératique autour d'une grille harmonique. Les trois premiers timbres ont donc leurs harmoniques systématiquement surbaissés, et les deux autres tantôt baissés, tantôt haussées : f2 / f1 f3 / f1 f4 / f1 XYLO 4.1 1.99 2.98 3.96 XYLO 4.2 1.97 2.94 3.93 XYLO 4.3 1.95 2.92 3.90 XYLO 4.4 1.92 3.04 3.84 XYLO 4.5 1.88 3.16 3.84

Plus rugueux, les deux derniers timbres posent le plus de difficultés dans la perception des hauteurs.

La "chauve-souris"

A ce stade de l'élaboration des timbres expérimentaux, il restait à prendre en compte un élément constitutif des xylophones centrafricains qui, bien caché au fond des résonateurs, est parvenu souvent à déjouer toute logique : il s'agît du mirliton, petite membrane vibrante faite d'aile de chauve-souris ou de cocon d'araignée apposée sur un orifice aménagé sur chaque résonateur des xylophones.

Le fait est que les xylophones à partir desquels nous avons effectué la synthèse, le mirliton n'entrait pas totalement en vibration. Nous avons donc simulé la fonction organologique du mirliton, souvent considéré comme bruiteur, en ajoutant un bruit blanc d'intensité moyenne sur quelques 10 ms, créé grâce à une forte sur-modulation d'une des chaînes de générateurs.

Au cours des synthèses successives, notre but est devenu de reproduire de façon réaliste le son du mirliton. Le timbre Xylo 4 est une étape de cette recherche, et a été synthétisé en mars 1989 chez les Manza, afin de vérifier la pertinence de l'opposition harmonicité/inharmonicité du timbre. Nous avons vu (cf. 2.1.1.2.) qu'une telle opposition n'était pas pertinente chez les Manza, infirmant ainsi les hypothèses émises lors de l'analyse acoustique des timbres originaux.

Les remarques ensuite des Manza et surtout la synthèse effectuée en 1989 avec Wazunam a permis de révéler que la fonction précise du mirliton, sur ces

19 9

xylophones, et de créer une forte modulation harmonique dans le timbre des xylophones (3.1.).

Dès lors, nous nous sommes attacher ensuite à préparer un nouveau timbre de synthèse, en conservant toujours le même algorithme de synthèse que celui du timbre Xylo 2, avons pris en compte les remarques et observations faites sur le terrain. Nous avons ébauché un premier timbre, que nous avons terminé avec l'assistance précieuse du facteur de xylophone gbaya Wazunam. C'est à ce musicien que revenait la tâche de régler l'intensité de la modulation harmonique de chacune des douze lames du xylophone synthétisé. Comme l'atteste le sonagramme suivant, le timbre obtenu pour l'ensemble des lames, sauf la plus aiguë, est très proche de celui d'un xylophone sur lequel les mirlitons sont parfaitement réglés. Or, la fragilité de cette fine membrane est souvent sujette à divers aléas, ce qui fait que les mirlitons ne sont pas toujours en état : de ce fait, les contrastes d'inharmonicité sont involontaires.

Par une démarche de reconstruction sur le synthétiseur avec Wazunam, nous avons aboutit à l'élaboration d'un modèle de timbre idéal cf. sonagramme ci- dessous), dont la conformité a par ailleurs été révélée dans la précision avec laquelle le musicien gbaya a ensuite accordé le synthétiseur, et tout particulièrement des intervalles équidistants, avec ce nouveau timbre Wazunam 5 : la structure harmonique et renforcée du timbre de synthèse, ou celui d'un xylophone original avec mirliton, permet sans aucun doute une meilleure réalisation et reconnaissance de l'intervalle équidistant.

Sonagrammes du son de synthèse effectué avec le musicien gbaya (à gauche), et son original d'un xylophone où le mirliton est mis en vibration (à droite).

20 1