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128 Chapitre VI : Conclusion

VI.1 Synthèse des résultats

L’objectif principal poursuivi par cette thèse fut de caractériser l’ensemble des gènes contenus dans les régions codantes d’un génome de parasite et de quantifier les patrons de régulation qui y sont associés au cours de l’infection afin d’identifier les mécanismes moléculaires potentiels par lesquels le parasite pourrait interagir avec son hôte pour compléter son cycle vital. Cet objectif s’inscrit dans une démarche plus globale et fondamentale d’acquisition de connaissances visant à comprendre comment la nature des interactions interspécifiques donne naissance au style de vie parasitique. Pour rencontrer l’objectif principal de la thèse, nous avons choisi d’exploiter un système modèle d’interaction hôte-parasite en se focalisant sur le développement du cestode Schistocephalus solidus dans son hôte intermédiaire (épinoche à trois épines) et son hôte aviaire final. Dans ce contexte, nous avons d’abord exploré la possibilité que le parasite puisse avoir recours à une stratégie de mimétisme moléculaire qui lui permettrait de perturber ou de modifier certaines voies physiologiques hôtes afin d’orchestrer les transitions développementales entre les hôtes. Nous avons ensuite séquencé et caractérisé l’ensemble des séquences codantes d’ADN chez le parasite (transcriptome) pour tenter de valider les candidats identifiés et approfondir l’analyse des mécanismes moléculaires. Cette ressource, jusqu’alors manquante dans les bases de données moléculaires, a été utilisée à titre de référence pour i) quantifier les patrons de régulation des gènes chez le parasite, ii) identifier les fonctions biologiques associées au développement du parasite et à son interaction potentielle avec ses hôtes, puis iii) confirmer si des molécules mimétiques candidates sont régulées de manière différentielle entre trois stades de vie successifs.

Comme nous l’avons vu au chapitre II, en dépit des nombreuses connaissances accumulées sur des centaines de systèmes hôte-parasite, les mécanismes qui permettent aux parasites d’être aussi efficaces dans leur mode de vie demeurent peu décrits dans la littérature scientifique. Tel que présenté et discuté dans ce chapitre, l’une des approches qui permet de mieux comprendre les interactions écologiques complexes qui s’exercent entre un parasite et son hôte consiste en la caractérisation de la diaphonie moléculaire (de l’anglais « molecular cross-talk ») qui prend forme entre les deux espèces. En d’autres mots, quelles molécules (hôtes et parasites) sont produites à quel moment durant l’infection et en quelle quantité ? À l’époque du début de cette thèse, seul un génome brut non annoté était disponible pour le

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parasite. Il était donc difficile d’établir le rôle joué par le parasite dans un éventuel échange moléculaire avec ses hôtes, puisqu’aucune donnée sur la nature et le nombre de gènes présents dans le génome du parasite n’était accessible.

Des études pionnières portant sur un système hôte-parasite impliquant un ver de type nématomorphe et un hôte orthoptère, suggéraient toutefois la possibilité que le parasite puisse avoir recours à une stratégie de mimétisme moléculaire pour interagir avec son hôte et lui permettre de compléter son cycle de vie (Biron et al. 2005c; b; 2006). Cette hypothèse propose l’idée que le parasite puisse produire et sécréter (ou excréter) certaines molécules qui partagent une forte similarité de séquence et/ou de structure avec une molécule correspondante hôte, conférant ainsi un avantage au parasite en raison de cette similarité (Damian 1964; Ludin et al. 2011). Les quelques ressources génomiques disponibles pour chaque espèce du système d’étude au commencement de cette thèse (séquences protéiques hôtes et séquences génomiques parasites à partir desquelles pouvaient être inférées les séquences protéiques) permettaient l’exploration in silico de l’hypothèse du mimétisme moléculaire et ce, avant même d’obtenir des données expérimentales plus spécifiques. Il s’agissait par conséquent d’un point de départ logique pour caractériser la diaphonie moléculaire dans le système.

Tel que présenté au chapitre III, les données préliminaires portant sur les régions codantes du génome de S. solidus suggèrent la présence de protéines mimétiques candidates chez le parasite qui pourraient interagir avec différentes voies de signalisation cellulaire chez l’hôte. Le pipeline d’analyses bioinformatiques développé au cours de ce chapitre a permis de mettre en évidence un total de 94 protéines mimétiques candidates présentes dans le génome du parasite. Puisque S. solidus est un endoparasite logé dans la cavité abdominale de son hôte intermédiaire, nous avons émis l’hypothèse voulant que le signal moléculaire mimétique qu’il génère pour modifier certains paramètres physiologiques hôtes provienne de protéines sécrétées par le parasite et relâchées dans les fluides corporels de l’hôte. Nous avons démontré que parmi les candidats mimétiques identifiés, seulement quatre correspondaient à des protéines sécrétées. Ces quatre molécules candidates sont impliquées dans des voies de communication cellulaire et le développement du système nerveux central. Nos analyses bioinformatiques ont permis de démontrer que l’une de ces molécules candidates, la protéine WNT-4, est

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commune entre les systèmes nématomorphe-orthoptère et cestode-poisson. L’identification d’une même molécule candidate dans deux systèmes différents (un hôte vertébré et un hôte invertébré) via deux analyses différentes permet de renforcer la pertinence des résultats et suggère l’existence de mécanismes convergents d’interaction hôte-parasite chez des espèces subissant des pressions de sélections analogues (Biron et al. 2005b; Poulin & Randhawa 2015).

Au chapitre IV, nous avons séquencé, assemblé et annoté un transcriptome de référence pour trois stades développementaux chez S. solidus. Cette ressource génomique, désormais accessible à toute la communauté scientifique, rend ainsi possible la caractérisation des patrons de régulation de gènes à différents moments au cours de l’infection. C’est grâce à cet outil de référence qu’il est possible de mieux comprendre quelles molécules sont produites à quels stades de développement et à quelles fonctions biologiques elles sont associées. La technique d’assemblage de transcriptome utilisée au chapitre IV a notamment servi à complémenter l’annotation du génome en confirmant des séquences géniques identifiées à l’origine par des algorithmes prédictifs et en mettant en évidence de nouvelles régions codantes qui n’avaient jusqu’alors pas été identifiées par techniques in silico. Un total de 10 285 gènes codants pour des protéines a été identifié, ce qui correspond à un nombre relativement restreint de gènes, comme c’est le cas pour plusieurs espèces de parasites fortement apparentées (Tsai et al. 2013; Bennett et al. 2015). Le transcriptome que nous avons produit a également permis de démontrer que plus de la moitié des gènes chez S. solidus est partagée avec ses espèces sœurs, et qu’environ 25% des gènes exprimés par les stades de vie échantillonnés sont spécifiques à cette espèce de parasite et possèdent des fonctions encore inconnues. Ces résultats mettent en évidence de nouveaux gènes et soutiennent les patrons observés chez d’autres espèces de parasites dont le transcriptome a été séquencé récemment, entre autres chez Babesia microti (Silva et al. 2016), Strongyloides spp. (Hunt et al. 2016a), Tripanosoma cruzi et Leishmania spp. (Jackson et al. 2016). Ces parasites possèdent chacun plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines, de gènes uniques à l’espèce et caractérisés par une absence d’homologie de séquence et de structure à d’autres gènes connus. Les développements récents dans le domaine de la biologie moléculaire appliqués à l’étude des parasites, également soutenus par les résultats présentés dans les chapitres IV et V de cette thèse, confirment l’idée voulant que les parasites soient des produits de l’évolution qui ont été peaufinés,

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épurés et optimisés par des millions d’années d’interaction avec leurs hôtes dans un mouvement incessant de transformations réciproques (Schmid-Hempel & Ebert 2003; Vickerman 2009).

Lors du chapitre V, nous avons utilisé la référence produite au chapitre IV pour mesurer de manière quantitative les différences de niveaux d’expression pour tous les gènes exprimés à travers les trois stades de développement échantillonnés chez S. solidus. L’analyse des patrons de régulation génique nous a ainsi permis de mieux comprendre comment sont régulées les activités biologiques du parasite à l’intérieur de ses hôtes (exemple : développement, alimentation, reproduction) et comment celles-ci pourraient intervenir dans la communication qu’il développe avec chacun d’entre eux. Nous avons démontré que 28% des gènes chez S. solidus sont exprimés de manière différentielle entre les trois stades de vie. Tous les spécimens échantillonnés se regroupaient systématiquement entre individus du même stade de vie lorsque soumis à une analyse de regroupement hiérarchique. Ces résultats permettent de faire un lien entre les caractéristiques phénotypiques (masse, segmentation, développement des organes) et les évènements moléculaires sous- jacents (expression de gènes au cours du développement), dans la mesure où la morphologie du parasite traduit adéquatement son activité moléculaire fonctionnelle. Chaque stade de vie s’est révélé significativement différent des autres stades d’un point de vue fonctionnel et le facteur écologique possédant le plus de poids dans cette différenciation repose sur l’hôte dans lequel se trouve le parasite.

Les données d’expression de gènes présentées au chapitre V démontrent comment le génome épuré des parasites est régulé au cours du développement et elles apportent des éléments de réponse sur la manière dont ces évènements de régulation pourraient être impliqués dans le succès du style de vie parasitique. Nos résultats ont démontré que la régulation génique chez S. solidus repose sur l’activation et la répression de grands « blocs de gènes » aux fonctions communes et complémentaires, qui sont de surcroit reliées aux activités que le parasite doit réaliser à chacun des stades de développement, dans chacun des hôtes où il se trouve.

Dans ce contexte, les jeunes stades de développement maximisent leur croissance en exprimant de manière concertée différents programmes fonctionnels

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composés de centaines de gènes liés à la régulation du cycle cellulaire et au métabolisme de l’ADN et de l’ARN (réplication, réparation, transcription, traduction). Lorsque ces parasites atteignent leur seuil de maturité physiologique nécessitant le passage vers l’hôte final (en d’autres mots la complétion du cycle de vie), ils changent complètement leur profil de régulation génique en réprimant les gènes particulièrement utilisés au stade précédent et activent en blocs plusieurs programmes impliqués dans l’interaction avec l’environnement. Dans cette phase accrue de communication avec l’environnement, en l’occurrence le milieu interne de l’hôte, des groupes de plusieurs centaines de gènes liés à la perception de l’environnement et à la transmission de signaux nerveux sont activés. Les processus et fonctions biologiques associés à ces gènes permettent possiblement aux parasites de sonder leur habitat immédiat, pour ensuite produire différents signaux moléculaires servant à interagir avec l’hôte intermédiaire. L’interaction spécifique avec cet hôte intermédiaire, déclenchée à un moment précis au cours de l’infection, permettrait ultimement de modifier les conditions du milieu (c’est-à-dire la physiologie de l’hôte intermédiaire) pour favoriser le passage vers l’hôte final. Pour compléter le cycle de vie, une fois dans l’hôte final, les stades matures répriment la plupart des programmes fonctionnels précédemment activés, à l’exception des fonctions cellulaires ubiquitaires et des programmes de reproduction. De cette manière, le parasite injecte l’énergie accumulée aux stades précédents et le met principalement dans la production de gamètes et des activités biologiques associées (exemple : motilité des spermatozoïdes, activité musculaire liée à l’éjection des gamètes mâles).

Systématiquement, dans chaque programme fonctionnel propre à chaque stade de développement, les gènes qui ont démontré les plus grandes différences d’expression avec les autres stades sont des gènes spécifiques à l’espèce qui n’avaient encore jamais été caractérisés et qui demeurent jusqu’à ce jour inconnus. Nos résultats permettent de proposer l’idée voulant que ces gènes, fortement sollicités aux transitions développementales critiques qui définissent le cycle de vie du parasite, représentent un ensemble d’innovations moléculaires associées à l’émergence du parasitisme et à sa mise en œuvre. L’intégration d’informations collectées à différents niveaux d’organisation de la matière (génome, transcriptome, programmes de régulation de gènes, physiologie, phénotypes développementaux) nous a permis de construire une annotation écologique pour ces gènes (Pavey et al.

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2012), qui vise à mieux comprendre le rôle qu’ils jouent dans leur contexte écologique particulier. C’est notamment à travers l’annotation écologique que nous avons pu établir que les gènes inconnus, particulièrement sollicités au cours de l’interaction moléculaire étroite qui s’établit entre l’hôte intermédiaire et le parasite, sont des gènes potentiellement impliqués dans la transmission de signaux nerveux et associés au métabolisme de neuromédiateurs comme la sérotonine. Le succès de la stratégie parasitique, dans ce contexte précis, reposerait en partie sur la modulation de signaux chimiques développés et véhiculés par voies neuronales.

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