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128 Chapitre VI : Conclusion

VI.3 Limitations et perspectives

Malgré le progrès réalisé à travers cette thèse quant à la compréhension des mécanismes d’interaction entre S. solidus et certains de ses hôtes, plusieurs limitations inhérentes aux méthodes, et par conséquent aux résultats, se doivent d’être soulignés. Premièrement, bien que l’expression des gènes candidats retenus à travers notre analyse de mimétisme moléculaire ait été confirmée en laboratoire par technique de RT-PCR, il était impossible de confirmer leur rôle fonctionnel sur la base de leur similarité de séquence seulement. La méthode développée au chapitre III limite par conséquent la possibilité de vérifier le mimétisme de structure tridimensionnelle et/ou de fonction, car elle tient compte uniquement de la séquence en acides aminés des protéines candidates.

Il faut également considérer que le concept de mimétisme moléculaire tel que défini dans notre analyse ne s’applique qu’aux protéines non conservées et très spécifiques à l’espèce hôte. Cette prémisse de départ concorde avec la spécificité d’hôte démontrée chez S. solidus (Braten 1966), mais il se pourrait que le ver

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bénéficie également de l’effet du mimétisme moléculaire en exploitant des protéines ubiquitaires (conservées entre groupes taxonomiques éloignées) dont l’impact phénotypique sur l’hôte serait additif (Andrew et al. 2006; Yang et al. 2008). L’apport de molécules supplémentaires généré par l’activité du parasite pourrait avoir comme conséquence immédiate une augmentation du flux métabolique à travers différentes voies physiologiques hôtes (immunité, métabolisme énergétique, axe du stress), avec comme conséquence ultime une modification de phénotypes hôtes à l’avantage du parasite (complétion du cycle vital) (Yang, Wu et Zhu 2008). Cette hypothèse pourrait être vérifiée en examinant les niveaux d’expression de gènes et de protéines chez le parasite pour identifier des molécules qui seraient particulièrement sur-utilisées à certains stades de développement. La concentration de ces candidats chez le parasite au cours de l’infection devrait ensuite être artificiellement manipulée en laboratoire pour confirmer leur rôle fonctionnel dans la communication avec l’hôte.

Une dernière limitation qui doit être considérée dans le cadre des analyses du chapitre III concerne le mode d’acheminement des molécules candidates vers l’hôte. Seules les protéines possédant un signal peptidique ont été considérées comme candidats finaux, mais on sait désormais que des parasites comme Leishmania major sécrètent activement une grande quantité de vésicules (exosomes) remplies de diverses molécules effectrices qui agissent à titre de facteurs de virulence (Atayde et al. 2015). À l’aide de ces multiples structures vésiculaires, le parasite peut moduler la réponse immunitaire hôte (inflammation exacerbée) et modifier certaines activités de signalisation cellulaire, ce qui lui permet d’assurer la complétion de son cycle vital (augmentation de la réplication parasitaire). Le contenu hétérogène des exosomes reflète l’état physiologique du parasite et se compose principalement de protéines qui ne possèdent pas de signal peptidique (Atayde et al. 2015; 2016). Il est connu que le tégument de S. solidus constitue un tissu extrêmement actif et dynamique, dont les nombreuses cellules spécialisées partagent leur contenu cytoplasmique grâce à leur structure de syncytium. Des études en microscopie ont révélé la présence d’une densité élevée de corps vésiculaires à l’intérieur de ce syncytium, ce qui suggère qu’un transit constant de molécules s’effectue de part et d’autre de la membrane plasmique des cellules tégumentaires (Halton 2004). Le tégument des cestodes pourrait ainsi jouer le rôle de site de production d’une grande diversité de molécules effectrices, dont certaines seraient mimétiques. Un assemblage complexe de ces différentes molécules pourrait se retrouver dans les exosomes, qui seraient

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ensuite éjectés hors du parasite via sécrétion par la membrane du tégument, selon les mêmes mécanismes que ceux de l’endocytose ou l’exocytose (Field & Carrington 2009). L’analyse de la diaphonie moléculaire et plus spécifiquement du mimétisme moléculaire ne devrait donc pas passer uniquement par l’identification de protéines possédant un signal peptidique, mais plutôt par la caractérisation de l’ensemble des molécules qui se retrouvent dans le syncytium tégumentaire du parasite et plus spécifiquement à l’intérieur des vésicules (Fernandez-Calero et al. 2015; Coakley et al. 2016).

Deuxièmement, les stades développementaux échantillonnés dans le cadre de cette thèse ne couvrent que la moitié du cycle de vie complexe de S. solidus, qui comprend notamment une phase critique de communication avec le deuxième hôte intermédiaire. Les gènes identifiés et caractérisés par méthode de séquençage d’ARN ne couvrent donc pas tout le répertoire génique du parasite. Nous n’avons caractérisé qu’une portion du potentiel fonctionnel de l’organisme. Or, pour comprendre pleinement les mécanismes moléculaires impliqués dans le développement du parasite, dont certains sont utilisés pour la communication avec les hôtes, il faut pouvoir considérer tous les stades du développement, de la larve jusqu’à l’adulte qui se reproduit. Plusieurs études révèlent d’ailleurs qu’une interaction étroite et complexe s’exerce entre les premiers stades de vie du parasite et le premier hôte intermédiaire (copépode) (Hammerschmidt & Kurtz 2009). Des travaux expérimentaux sur les modes d’infection et sur l’altération physiologique du copépode par S. solidus suggèrent que le parasite, à ce stade, pourrait relâcher des molécules signalétiques à l’intérieur de la cavité corporelle du copépode (Hammerschmidt & Kurtz 2009). Ces signaux chimiques seraient impliqués dans le développement du parasite et dans la modification de certains phénotypes hôtes à l’avantage du parasite, c’est-à-dire pour augmenter son taux de transmission trophique vers le second hôte intermédiaire (l’épinoche à trois épines). Dans ce contexte, l’étude complète des activités biologiques du parasite devrait également inclure la caractérisation des patrons de régulations de gènes au cours des premiers stades de développement. Une approche comparative portant sur les mécanismes moléculaires de l’infection à chacun des stades de développement permettrait de mieux comprendre les modes d’action du parasite à l’intérieur de son cycle de vie et d’identifier d’éventuelles stratégies communes de modification physiologiques hôtes entre les stades de vie.

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Troisièmement, les analyses d’expression de gènes présentés au chapitre V ont été réalisées sur des vers complets, donc sur un ensemble complexe de tissus et organes dont les niveaux d’expression à un même stade de vie peuvent varier grandement (Necsulea & Kaessmann 2014). L’analyse des niveaux d’expression d’un gène qui est sur-exprimé dans un tissu, mais réprimé ou sous-exprimé dans un autre tissu, au même stade développemental, dans le même organisme, peu poser certaines difficultés d’interprétation. Les résultats présentés dans cette thèse témoignent des niveaux globaux d’expression de gènes. Ils peuvent donc être biaisés dans certains cas, car ils ne permettent pas de détecter à plus fine échelle les différences d’expression spécifiques à chaque tissu, sauf dans quelques cas précis où l’annotation fonctionnelle le permet. De futures analyses en transcriptomique devraient donc considérer la caractérisation des patrons d’expression de gènes pour différents tissus séparément, entre autres les gonades, le système nerveux, le système d’excrétion/sécrétion et les muscles.

Quatrièmement, il faut considérer que les changements de niveaux d’expression de gènes mesurés au chapitre V ne représentent pas exactement les niveaux d’expression des protéines qu’ils encodent. Le lien entre le gène, l’abondance de transcrits d’ARNm, l’abondance de la protéine résultante et l’activité de cette protéine dans la cellule n’est pas direct et proportionnel, mais dépend plutôt de la fonction du gène et du contexte environnemental dans lequel se trouve l’organisme (Jovanovic et al. 2015). Les résultats du chapitre V ne doivent pas être interprétés comme des liens causaux directs entre l’abondance d’ARNm et un phénotype donné, car une augmentation des niveaux d’ARNm pour un gène ne correspond pas nécessairement à l’augmentation de la quantité de protéines produites (Jovanovic et al. 2015). Cette limitation plaide en faveur d’une étude complète des niveaux d’expression de protéines à différents stades de développement chez S. solidus. L’intégration des niveaux d’expression de gènes et de protéines à différents moments de l’infection, dans différents tissus, permettrait ainsi une compréhension plus claire et complète des mécanismes moléculaires impliqués dans la communication entre l’hôte et le parasite. Ce type de données ne serait toutefois que de nature corrélationnelle. Encore faudrait-il manipuler artificiellement, en laboratoire, les niveaux d’expression de gènes candidats et l’abondance des

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protéines résultantes chez le parasite, pour comprendre les effets phénotypiques associés, à la fois chez l’hôte et le parasite.

Cinquièmement, l’analyse d’ontologie génique qui a été utilisée pour comprendre les patrons de régulations des fonctions biologiques en lien avec les phases de l’infection doit être interprétée avec prudence. L’information concernant les fonctions et processus biologiques associés aux gènes identifiés chez S. solidus provient d’analyses fonctionnelles principalement réalisées sur des espèces modèles comme la souris et l’humain (Gene Ontology Consortium 2001; Rhee et al. 2008). La fonction d’un gène dans un organisme donné ne reflète pas nécessairement la fonction précise du gène orthologue correspondant chez une autre espèce (plutôt des fonctions complémentaires et conservées mais pas identiques), ce qui est d’autant plus vrai si les organismes partagent un temps de divergence élevé l’un par rapport à l’autre (Thomas et al. 2012). Il faut donc garder un regard critique sur l’interprétation des fonctions géniques et adopter une approche expérimentale qui permet de tester l’impact phénotypique des gènes d’intérêts dans différents contextes biologiques. Cette recommandation fait écho à la suggestion présentée au paragraphe précédent concernant la caractérisation du lien génotype-phénotype, ce qui démontre toute l’importance d’intégrer plusieurs niveaux d’organisations du vivant dans la compréhension des systèmes biologiques complexes.

Finalement, une dernière orientation de recherche qui permettrait de raffiner la compréhension des interactions hôtes-parasites consiste en la caractérisation de la diversité génétique entre différentes populations de S. solidus en milieu naturel. Des études en génétique du paysage chez S. solidus suggèrent l’existence d’une forte structuration génétique entre certaines populations (Sprehn et al. 2015; Strobel et al. 2016). Des travaux récents sur les taux d’infections croisés entre populations allopatriques d’épinoche et de S. solidus ont démontré des patrons complexes de résistance hôte et d’adaptation locale par le parasite (Kalbe et al. 2016). Des données de polymorphisme à l’échelle du génome chez S. solidus, impliquant plusieurs populations provenant de différentes régions géographiques, pourraient permettre d’identifier des gènes ou des régions génomiques qui sous-tendent une adaptation locale aux populations d’hôtes (Kalbe et al. 2016). Cette adaptation locale traduit en partie la suite d’outils moléculaires grâce auxquels les parasites infectent avec succès leurs hôtes. Des données empiriques sur d’éventuelles régions

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génomiques sous forte pression de sélection permettraient ainsi d’identifier certains des caractères moléculaires d’intérêt qui jouent un rôle prépondérant dans la réalisation du style de vie parasitique.

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