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Chapitre 2 : État de la question

2.5 Synthèse générale

Dans ce chapitre, nous tâcherons de répondre, au moyen d’une revue de la littérature, aux deux interrogations générales qui se dégagent de la problématique exposée : l’acquisition d’un R2 est-elle possible chez l’adulte, et quels sont les facteurs susceptibles d’influencer ce processus ? Dans un premier temps, il sera question de différentes études, outre celle de Payne (1980), qui portent sur le thème de l’acquisition d’un R2 chez l’enfant, ce qui permettra de jeter un premier regard sur les facteurs qui interviennent dans le processus. Nous établirons par la suite dans quelle mesure il est également possible, pour l’adulte, de modifier ses usages phonétiques une fois franchie la période dite critique. Ces bases jetées, nous identifierons les facteurs internes, puis les facteurs externes que la littérature reconnaît pouvoir influencer favorablement ou défavorablement le processus d’acquisition d’un R2 chez l’adulte.

2.1 L’acquisition d’un second régiolecte chez l’enfant

La question centrale de plusieurs études portant sur l’acquisition d’un R2 chez l’enfant, y compris l’étude fondatrice de Payne (1980) rapportée précédemment, consiste à vérifier si les enfants migrants adopteront les usages de leurs parents ou ceux de la communauté d’accueil. La littérature suggère en effet qu’avant l’âge de 6 ans environ, le principal input linguistique des enfants est celui des parents (voire de la mère) et qu’entre 6 et 12 ans, l’influence des pairs s’accentue (Kerswill, 1996)6. Chambers (2009 : 170) fait valoir que cette situation n’est pas particulièrement conflictuelle sur le plan linguistique dans la mesure où parents et pairs appartiennent à la même communauté.

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Les âges évoqués par Kerswill (1996) constituent des points de rupture sociologiques, qui peuvent ne pas correspondre de manière tout à fait exacte aux âges critiques postulés pour la plasticité cérébrale.

Bien entendu, la question est tout autre en situation de mobilité géographique : quelle est l’influence relative des pairs et des parents lorsque les usages de ces derniers diffèrent de ceux qui ont cours dans la communauté où l’enfant grandit ?

Tâchant de fournir quelques éléments de réponse, Starks et Bayard (2002) s’intéressent à l’incidence du /r/ postvocalique chez quatre enfants, issus de trois familles, nés en Nouvelle- Zélande de parents nord-américains. Précisons que le /r/ postvocalique est présent dans l’input parental (par exemple, le mot card prononcé [kɑːɹd]) mais absent des usages de la communauté d’accueil ([kɑːd]). Au moment des enregistrements, trois enfants sont âgés de 3,6 à 6,1 ans, alors que le quatrième est enregistré à plusieurs reprises depuis sa naissance jusqu’à l’âge de 20 ans. Les auteurs constatent que le taux de production du /r/ postvocalique n’est pas lié à l’âge de l’enfant, ni donc au temps d’exposition aux différents patrons d’utilisation existant dans son environnement, mais bien à l’âge auquel les enfants sont entrés à la garderie : plus ils ont franchi cette étape tard, plus leur taux de production de /r/ postvocaliques est élevé, oscillant entre 0 % et 3 % pour ceux qui ont commencé la garderie à 6 semaines, 24 % pour celle qui a commencé à 11 mois, et environ 80 % pour celui qui a commencé à 25 mois. Starks et Bayard (2002) en concluent que plus l’intégration à la communauté (par le biais de la garderie) est hâtive, plus les usages linguistiques qui y ont cours sont adoptés, alors que l’influence parentale s’avère décisive lorsque l’exposition est plus tardive, tout en demeurant précoce (25 mois seulement). Cette étude est d’autant plus révélatrice que l’empan d’âge d’entrée à la garderie des quatre enfants est très restreint (moins de deux ans).

Dans une étude de cas, Kobayashi (1981) analyse le système accentuel d’une jeune Japonaise née à Kyoto de parents originaires de Tokyo lorsqu’elle est âgée de 2 ans et 11 mois, puis de 8 ans. Le système accentuel du japonais parlé à Tokyo et à Kyoto comporte des différences substantielles7; ce sont également les deux régiolectes comptant le plus de locuteurs au Japon et le premier est réputé être le standard national (Kobayashi, 1981 : 5). L’analyse du premier enregistrement, constitué d’une interaction entre la locutrice et sa mère, indique qu’elles utilisent toutes les deux le même patron accentuel, celui de Tokyo, en dépit de leur lieu de résidence. Le corpus récolté lorsque la locutrice est âgée de 8 ans comporte différentes modalités de production : lecture, interaction en famille, interaction mère-enfant et interaction enfant-enfant (où la seconde enfant, ainsi que sa famille, sont originaires de Kyoto). Les résultats indiquent que lors des interactions en famille et mère-enfant, la locutrice conserve le même patron accentuel que lorsqu’elle était plus jeune, soit

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Il s’agit ici d’accentuation lexicale. Nous référons le lecteur à l’article de Kobayashi (1981) pour une description plus détaillée du système accentuel des deux régiolectes en question.

celui de Tokyo. En présence d’une paire, elle adopte plutôt le système de Kyoto. Selon Kobayashi (1981 : 14), la locutrice étudiée a développé un second patron accentuel qu’elle est en mesure de déployer lorsque la situation s’y prête. De plus, lors de l’interaction mère-enfant, la locutrice passe du patron de Tokyo à celui de Kyoto lorsque l’échange porte sur des sujets entourant les pairs, ce que Kobayashi (1981 : 16) interprète comme une activation du « peers’ code » en fonction du sujet de conversation. En lecture, la locutrice adopte le système de Tokyo, possiblement parce qu’il s’agit du standard japonais. En somme, cette étude montre que l’enfant peut développer un système bilectal et que l’émergence plus ou moins consciente de l’un ou l’autre des lectes semble conditionnée par des facteurs externes comme la modalité de production, l’interlocuteur et le sujet de conversation.

Il est cependant probable que les mécanismes en jeu soient différents selon que l’enfant naît dans la communauté d’accueil (comme c’est le cas des locuteurs de Starks et Bayard, 2002 et de Kobayashi, 1981) ou y arrive en maîtrisant déjà un R1. Ainsi, Tagliamonte et Molfenter (2007) s’intéressent à trois enfants canadiens issus d’une même famille qui emménagent à York, au Royaume-Uni, à l’âge de 2, 4 et 5 ans. Cette étude longitudinale repose sur l’enregistrement quasi- hebdomadaire d’interactions entre les trois enfants et couvre une période de 5 ans. La variable ciblée par les auteures est le /t/ intervocalique (later, total), l’anglais canadien présentant dans ce contexte une variante battue [ɾ], l’anglais britannique une variante occlusive sourde [t] et le régiolecte de York, une variante glottique [ʔ]. Les résultats indiquent que les trois enfants acquièrent la variante britannique [t] de manière progressive et qu’une intensification de son utilisation est observée lorsqu’ils commencent l’école, soit au contact de pairs. Quant à la variante glottique [ʔ], autrefois peu prestigieuse, elle était à York au moment des enregistrements le fait de jeunes femmes urbaines. Tagliamonte et Molfenter (2007) constatent une utilisation de ce [ʔ] nettement plus fréquente chez les deux filles (première et troisième enfants) que chez le garçon, ce qu’elles interprètent comme un signe d’acquisition du conditionnement sociolinguistique de la variante.

Par ailleurs, une hypothèse émise par Starks et Bayard (2002) en conclusion de leur étude était que l’ordre des enfants dans une famille pouvait avoir un effet sur le degré d’acquisition d’un R2, les plus jeunes adoptant davantage les variantes locales sous l’influence de leurs aînés. Ne disposant de données que pour quatre locuteurs, dont seulement deux issus de la même famille, Starks et Bayard (2002) étaient difficilement en mesure de mettre à l’épreuve leur hypothèse. Les résultats d’autres études peuvent toutefois apporter des éléments de réponse. Tagliamonte et Molfenter (2007), notamment, notent que le degré d’acquisition de la benjamine pourrait appuyer cette hypothèse,

mais non celui du cadet. Ainsi, d’autres facteurs doivent nécessairement être pris en compte, par exemple le fait qu’une partie du processus d’acquisition du langage (et non seulement du R2) de la benjamine a eu lieu au Royaume-Uni (Tagliamonte et Molfenter, 2007 : 670). Pour leur part, Rogers (1981) et Trudgill (1986) s’intéressent au cas de jumeaux (un garçon et une fille) originaires de Reading, dans le sud de l’Angleterre, déménagés en Australie à l’âge de 7 ans. Ils sont enregistrés à six reprises sur une période de 8 mois et demi et leur acquisition de l’anglais australien est évaluée en fonction de caractéristiques suprasegmentales par Rogers (1981) et phonétiques et phonologiques par Trudgill (1986). Rogers (1981) observe au terme de l’étude l’acquisition de patrons intonatifs de l’anglais australien et un changement du débit de parole chez les deux locuteurs, bien que leur évolution linguistique respective soit très différente d’une séance d’enregistrement à l’autre. De manière similaire, Trudgill (1986 : 28-31) constate que lors du dernier enregistrement, les variantes australiennes sont acquises par les deux enfants pour la très grande majorité des 15 variables à l’étude. L’acquisition de la sœur survient cependant plus tardivement, est marquée par une accélération vers les cinquième et sixième mois de l’étude, et les quelques variantes australiennes qu’elle n’acquiert pas ne sont pas les mêmes que celles que son frère n’a pas acquises. Bien entendu, le parcours individuel des deux enfants ne peut s’expliquer par leur ordre dans la famille comme le proposent Starks et Bayard (2002), ni même par leur âge d’arrivée en Australie. Les auteurs attribuent à d’autres facteurs externes, nommément le sexe et le groupe de pairs fréquenté, les différences observées.

Berthele (2002) aborde pour sa part la question de l’identité lors du processus d’acquisition d’un régiolecte par des enfants du primaire. Son enquête prend place à Fribourg, en Suisse, auprès de 14 enfants âgés de 9 ans, bilingues ou multilingues pour la plupart, scolarisés en allemand à partir de l’âge de 7 ans. Quand il s’agit de l’enseignement de l’allemand, la Suisse fait face à une situation de diglossie : l’allemand standard est utilisé à l’écrit et l’allemand suisse, à l’oral, par les élèves comme par les enseignants. L’allemand suisse comprend différents régiolectes; à Fribourg, le régiolecte de Berne jouit d’un certain prestige et est utilisé à l’école. Berthele (2002) s’intéresse donc à l’acquisition du régiolecte bernois par des enfants qui parlent un autre régiolecte de l’allemand suisse à la maison. Il propose de vérifier empiriquement un modèle d’acquisition d’un R2 qu’il nomme modèle de dissonance idiolectale, en référence à la théorie de la dissonance cognitive de Festinger8. Ce modèle vise à décrire et à classifier les choix linguistiques auxquels

8 Omdal (1994 : 117) résume en ces termes la théorie de la dissonance cognitive de Festinger (1957) : « This

theory states that when thoughts, attitudes and behaviour do not match up in a particular individual, at least one of these factors must be changed or adjusted so that ‘harmony’ can be established ». Appliquée à la sociolinguistique, cette théorie postule qu’un locuteur qui entretient une opinion favorable d’un lecte qu’il ne

l’acquérant peut procéder, choix qui permettent de minimiser ou de maximiser les différences entre un individu et un groupe donné (Berthele, 2002 : 342). Une schématisation du modèle de dissonance idiolectale est reproduite à la Figure 3.

Figure 3 : Modèle de dissonance idiolectale. Figure extraite de Berthele (2002 : 331)

La Figure 3 présente le locuteur Ego, qui parle un R1 avec sa famille et ses pairs, mais qui est amené à migrer avec ses parents vers une zone où un R2 est parlé. Pour une variable donnée, les variantes du R1 et du R2 sont soit différentes (présence de dissonance, branche N), soit identiques (absence de dissonance, branche Y). En situation N, quatre stratégies sont possibles : 1) la plus probable et la moins « marquée », Ego élimine la dissonance et s’adapte au R2, soit en remplaçant sa variante native, soit en intégrant dans ses usages une nouvelle variante (splitting); 2) dans le but de s’adapter au R2, Ego applique une règle de manière erronée (par surgénéralisation, par exemple) et ne produit pas la variante « correcte » du R2; 3) Ego modifie la variante de son R1 de manière à produire une variante intermédiaire, à mi-chemin entre celle du R1 et celle du R2; 4) Ego ne modifie pas ses usages et conserve la variante de son R1, entretenant de ce fait la dissonance. En situation Y, deux stratégies sont possibles : 5) Ego ne modifie pas ses usages et conserve la variante de son R1, les variantes du R1 et du R2 étant de toute manière identiques; 6) la stratégie improbable selon laquelle Ego change ses usages même s’il n’avait pas à le faire pour adopter une variante parle pas tendra à modifier ses usages en direction de ce lecte afin de réduire la distance (ou la dissonance) entre son opinion et ses usages. Omdal (1994) ajoute qu’il faut toutefois tenir compte de la capacité du locuteur à identifier, puis à modifier les éléments linguistiques qui causent la dissonance. En cas d’échec, le locuteur pourrait alors réduire la dissonance en modifiant son opinion du lecte qu’il n’est pas en mesure d’adopter.

différente du R2, mais aussi de son R1, accentuant ainsi la dissonance. En ce qui concerne la partie supérieure gauche de la Figure 3, Berthele (2002) précise que trois types de contraintes régissent les stratégies présentées dans le modèle : linguistiques, écologiques et psychologiques. Il est également à noter que le recours à ces six stratégies peut être conscient ou non, et qu’un choix doit être effectué pour chaque variable.

L’analyse auditive de 18 variables phonétiques et morphophonologiques indique que la plupart des élèves interrogés produisent plusieurs des variantes bernoises, à l’exception d’une locutrice (éliminée de l’étude) qui refusait de s’exprimer autrement qu’en allemand standard. L’auteur effectue une analyse plus approfondie des stratégies adoptées par quatre élèves et du lien entre leurs pratiques linguistiques et leur intégration sociale au sein de la classe. Il constate qu’une bonne intégration sociale et une réduction de la dissonance (stratégies 1 et 5) semblent aller de pair. Une intégration plus difficile est plutôt corrélée à une non-réduction de la dissonance (stratégie 4), mais également à l’accentuation de la dissonance : à la surprise de l’auteur, deux élèves ont effectivement recours à l’improbable stratégie 6. Enfin, Berthele (2002) fait remarquer que la stratégie 1, lorsqu’elle s’actualise sous forme d’ajout d’une variante, peut entraîner un conflit chez un enfant qui se retrouve en présence simultanée de sa famille (avec laquelle il utilise les variantes du R1) et de personnes issues de son milieu scolaire (avec qui il utilise les variantes du R2). La possibilité d’un tel système bilectal en fonction de l’interlocuteur ressortait également de l’étude de Kobayashi (1981), qui observait en outre un effet du sujet de conversation et de la modalité de parole.

Les résultats des quelques travaux sur l’acquisition d’un R2 chez les enfants rapportés jusqu’ici montrent qu’il s’agit d’un processus complexe, influencé par une multitude de facteurs linguistiques, sociaux et développementaux. D’abord, il se dégage des études citées que les pairs sont un facteur d’influence majeur lors de l’acquisition d’un R2. Starks et Bayard (2002) constatent que plus les enfants sont exposés tôt au R2 par le biais de l’entrée à la garderie, plus l’acquisition est importante. Les jumeaux étudiés par Rogers (1981) et Trudgill (1986) acquièrent quant à eux un R2 selon un cheminement distinct, ce qui pourrait être en partie attribuable au fait qu’ils fréquentent un cercle de pairs différent. Tagliamonte et Molfenter (2007) rapportent une augmentation de l’utilisation des variantes du R2 chez les trois enfants prenant part à leur étude lorsque ceux-ci commencent l’école, soit au contact de pairs. Enfin, dans son observation d’élèves du primaire, Berthele (2002) établit un lien entre l’intégration sociale des enfants et leur acquisition plus ou moins importante du régiolecte de Berne. Il demeure néanmoins que l’influence parentale apparaît non négligeable. Par exemple, l’étude de Starks et Bayard (2002) implique qu’un enfant exposé au R2 à un âge aussi précoce que 25 mois peut retenir des caractéristiques de l’input parental. Dans le

cas de la locutrice analysée par Kobayashi (1981), que l’enfant ait d’abord été exposée au modèle parental fait en sorte qu’elle développe un système bilectal : un lecte utilisé avec ses parents, l’autre avec ses pairs. L’étude pionnière de Payne (1980) rapportée précédemment suggère d’autre part que les règles phonologiques les plus complexes d’un régiolecte sont difficilement acquises sans input parental, et ce, même lorsque le régiolecte en question constitue le R1 des enfants.

Le modèle de dissonance idiolectale développé par Berthele (2002) constitue un outil intéressant pour l’analyse de l’acquisition d’un R2 chez les enfants. Cet arbre de décisions propose un éventail concis mais assez complet des sorties possibles pour une variable donnée, en plus de rendre compte des cas de bilectalisme. Le modèle demeure toutefois sommaire quant aux contraintes écologiques, linguistiques et psychologiques qui pourraient prédire, ou du moins expliquer les directions empruntées par l’enfant en situation de dissonance : cet aspect de l’analyse demeure ainsi post hoc. D’un point de vue phonétique, la principale limitation que nous y voyons est que les réalisations d’une variable sont envisagées de manière discrète et, à l’exception de la stratégie 3 (production d’une variante intermédiaire), binaire. Ce modèle peut difficilement rendre compte du caractère riche et gradué de la variation et du changement phonétiques (Thomas, 2002), à plus forte raison des continuums acoustiques mis en évidence lorsqu’une telle analyse est en jeu, et se limite, en l’état, à ce que le chercheur perçoit.

Linguistiquement parlant, l’enfant est cependant reconnu traverser une phase unique. Les années au cours desquelles le langage est acquis, marquées par le développement des facultés motrices et cognitives, donnent lieu à de rapides progrès tant en compréhension qu’en production (Clark, 2009). Les études sur l’acquisition d’une L2 en bas âge mettent également en évidence la malléabilité cognitive de l’enfant (De Houwer, 1996). De telles constatations sont d’ailleurs à l’origine de l’hypothèse de la période critique (critical period hypothesis), formulée par Lenneberg (1967). Selon cet auteur, la période critique serait caractérisée par un état de déséquilibre organisationnel favorisant la plasticité des fonctions cérébrales. Elle commencerait vers l’âge de 2 ans, c’est-à-dire lors de l’émergence d’une maturité cérébrale suffisante pour produire du langage, et se terminerait à la puberté, coïncidant avec la latéralisation définitive. Lenneberg (1967 : 376-377) décrit ainsi ce qui se produirait au terme de la période critique : « [a]t this time, apparently a steady state is reached, and the cognitive processes are firmly structured, the capacity for primary language synthesis is lost, and cerebral reorganization of functions is no longer possible ». En conséquence, l’apprentissage d’une L2 (ou d’une L1 dans les cas où un enfant n’aurait pas acquis de L1 pendant la période critique) devient plus coûteuse cognitivement, requiert un engagement conscient et est typiquement caractérisée par la présence d’un accent étranger. Si Lenneberg (1967 : 176) reconnaît

que l’acquisition n’est pas impossible au-delà de la puberté, l’hypothèse de la période critique s’inscrit d’abord et avant tout une perspective développementale, et son applicabilité au contexte spécifique de l’acquisition d’un R2, un champ d’études relativement récent, demeure imprécisée. Quelques remarques sur la période critique ponctuent néanmoins certains travaux pionniers sur l’acquisition d’un R2. Par exemple, Krashen et Seliger (1975) interrogent 214 adultes anglophones vivant à New York mais n’en étant pas originaires à propos de la manière dont leur prononciation est perçue lorsqu’ils voyagent en-dehors de la ville. Les participants arrivés enfants (3-9 ans) sont plus nombreux à être perçus comme new-yorkais que les participants arrivés adolescents (10-15 ans), qui sont eux-mêmes plus nombreux à être perçus comme new-yorkais que ceux arrivés après l’âge de 15 ans. Krashen et Seliger (1975 : 28) considèrent que leurs résultats valident la pertinence de l’hypothèse de la période critique en situation d’acquisition d’un R2, bien que certains de leurs participants arrivés à l’âge adulte soient perçus comme new-yorkais (15/80), que plusieurs participants arrivés enfants ne soient pas perçus comme new-yorkais (27/67), et que la méthode d’enquête utilisée ne permette pas de vérifier empiriquement les impressions des répondants.

Payne (1980) postule quant à elle que l’âge de 8 ans constitue un point de rupture en ce qui a trait à la capacité d’acquisition d’un R2. L’auteure observe effectivement que les enfants arrivés à King of Prussia au-delà de cet âge présentent une acquisition de l’anglais philadelphien moins importante que les plus jeunes. Cette hypothèse est appuyée notamment par l’étude de Sibata (1958)9

, rapportée par Chambers (1992 : 689) :

In 1949, about 500 children were still left in Shirakawa city who were displaced directly from Tokyo and Yokohama to avoid bombardment. We interviewed every child and found that children who came there before six or seven years of age had adopted Shirakawa dialect almost

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