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Variation et changement phonétiques chez les jeunes adultes québécois

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Academic year: 2021

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Variation et changement phonétiques chez les jeunes

adultes québécois

Thèse

Josiane Riverin-Coutlée

Doctorat en linguistique

Philosophiæ doctor (Ph. D.)

Québec, Canada

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Variation et changement phonétiques chez les

jeunes adultes québécois

Thèse

Josiane Riverin-Coutlée

Sous la direction de :

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Résumé

L’acquisition d’un second régiolecte (R2) peut être définie comme le processus par lequel un individu géographiquement mobile adapte ses usages linguistiques à ceux en cours dans son nouvel environnement, sans que l’apprentissage d’une nouvelle langue ne soit toutefois en jeu. Typiquement, cette acquisition se produit au niveau phonétique, comme le reflète cette intuition que les personnes qui déménagent « changent d’accent ». L’étude scientifique de l’acquisition d’un R2 ne s’est intensifiée que récemment, les travaux antérieurs en linguistique ayant plutôt cherché à décrire les usages de locuteurs sédentaires. En parallèle, la prononciation d’un individu a longtemps été considérée stable passé l’adolescence.

Si l’acquisition d’un R2 est un phénomène répandu en raison de l’essor de la mobilité géographique individuelle, ses conséquences phonétiques s’avèrent particulièrement hétérogènes. Les différents travaux consacrés à ce phénomène mettent de l’avant un éventail de facteurs potentiellement explicatifs des résultats variant d’un locuteur à l’autre et d’un contexte linguistique à l’autre. Des facteurs internes comme la régularité des règles à maîtriser, ou externes comme l’intégration du locuteur dans son nouveau milieu ou le souci de demeurer fidèle à ses origines, ont été proposés. Selon l’angle théorique adopté pour en rendre compte, l’acquisition d’un R2 peut être interprétée comme un automatisme, ou encore comme un processus régulé par les caractéristiques de la situation de communication, le rapport du locuteur à l’interlocuteur, la fréquence et la récence des propriétés phonétiques de la parole ambiante, etc.

Cette contribution consiste en une étude sociophonétique de l’acquisition d’un R2 en contexte québécois. Plus précisément, 33 locuteurs natifs du français québécois âgés de 18 à 22 ans ont été recrutés alors qu’ils entreprenaient un baccalauréat à l’Université Laval. De ce nombre, 18 étaient des participants mobiles : ils venaient de s’installer dans la ville de Québec pour leurs études, mais étaient originaires d’ailleurs dans la province. Ayant toujours vécu dans la ville de Québec, les 15 autres participants étaient sédentaires. Au moment du recrutement (T1), les locuteurs ont été enregistrés en chambre anéchoïque lors de la lecture de mots cibles isolés ou insérés dans des phrases porteuses. Ces mots cibles présentaient l’ensemble des voyelles orales du français québécois en position accentuée. Ces voyelles ont été analysées acoustiquement : leur durée, ainsi que la fréquence et la dynamique de leurs trois premiers formants (F1, F2 et F3) ont été mesurées. Les participants ont également rempli des questionnaires visant à évaluer leur degré d’intégration sociale, leur appartenance à la phase socio-psychologique d’émergence de l’âge adulte et, pour les mobiles, le souci de fidélité à leurs origines. L’expérience a été répliquée un an plus tard (T2).

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Les résultats indiquent que de fins changements acoustiques sont survenus au cours du temps. Les différentes catégories vocaliques analysées se sont rapprochées dans l’espace F1/F2. La fréquence de F3 et l’ampleur de la dynamique formantique de certaines voyelles ont diminué. Une réduction des mouvements articulatoires semble ainsi s’être produite. Ces changements sont toutefois survenus chez tous les locuteurs, qu’ils soient mobiles ou sédentaires. Aucun des autres facteurs considérés (intégration, émergence et fidélité) ne s’est davantage révélé apte à les expliquer. En conséquence, nous avons émis l’hypothèse qu’un changement dans la manière dont les participants ont perçu la situation expérimentale était survenu. Quant à l’absence de modifications de prononciation de plus grande envergure chez les locuteurs mobiles, elle pourrait s’expliquer par l’intervalle temporel réduit entre les deux temps d’enquête, le niveau phonétique n’étant pas réputé changer le premier lors de l’acquisition d’un R2. Il est également possible qu’il n’y ait pas suffisamment de spécificités régionales à Québec pour que les locuteurs mobiles procèdent à un changement systématique, sachant en outre que la population locale pourrait ne pas constituer la principale influence linguistique des jeunes universitaires investigués.

Les participants mobiles se sont néanmoins avérés conscients de certaines différences entre leurs usages et ceux de leur nouvel environnement, aussi une sensibilité linguistique accrue pourrait jouer un rôle lors d’un changement phonétique. La progression de la compréhension du lien entre la perception et la production pourrait également éclairer les mécanismes en action aux stades initiaux de l’acquisition d’un R2. Nos résultats se joignent à ceux provenant d’un nombre croissant de travaux qui suggèrent qu’une certaine flexibilité phonétique se maintient à l’âge adulte.

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Abstract

Second dialect acquisition (SDA) may be defined as the process by which a geographically mobile individual adapts their linguistic practices to those in use in their new environment, without learning a new language per se. Typically, this acquisition occurs at the phonetic level, as reflected in the intuitive idea that people who move away “change their accent”. Scientific accounts of SDA have only recently increased in number, as previous linguistic work has mostly focused on the practices of sedentary speakers. At the same time, pronunciation has long been thought to be settled from adolescence on.

SDA is a widespread phenomenon given the increasing geographic mobility of individuals, although its phonetic outcomes are especially heterogeneous. Studies addressing this issue highlight the extensive array of factors that might explain why results vary across individuals and linguistic contexts. Internal factors such as the regularity of the rules that need to be learned, or external like the speakers’ integration to their new environment or concern to remain faithful to their origin, have been put forward. Depending on the theoretical perspective, SDA has been interpreted as an automatism, or as a process mediated by various aspects of the communication situation, the relationship between the speaker and their interlocutor, the frequency and recency of the phonetic properties of ambient speech, etc.

This contribution is a sociophonetic study of SDA in Quebec. More precisely, 33 native speakers of Quebec French aged 18 to 22 were recruited upon enrollment in an undergraduate program at Université Laval. Eighteen of them were mobile speakers: they had just moved in Quebec City in order to start university, but were from somewhere else in the province. Born and raised in Quebec City, the 15 remaining participants were sedentary. On recruitment (T1), the speakers were recorded in a sound-attenuated booth while reading target words in isolation or inserted in carrier sentences. These target words featured all of the oral vowels of Quebec French in stressed syllable. The vowels were analyzed acoustically: their duration and the frequency and dynamics of their first three formants (F1, F2 and F3) were measured. The participants also completed questionnaires assessing their social integration, belonging to the socio-psychological phase of emerging adulthood and, for the mobiles only, faithfulness to their origin. The experiment was replicated a year later (T2).

Results show that fine-grained acoustic changes occurred over time. The vowels moved closer to each other in the F1/F2 plane. Frequency of F3 and formant dynamics decreased in some vowels. A reduction of the articulatory movements thus seems to have occurred. However, these changes took

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place in all speakers, whether they be mobile or sedentary. Neither of the other external factors taken into account (integration, emerging adulthood, faithfulness) could explain the changes. Therefore, we hypothesized that the way the participants perceived the experiment had evolved over time. As for the lack of more substantial phonetic shifts in mobile speakers, it could be explained by the short time span between the two experiments, since the first changes taking place during SDA do not usually happen at the phonetic level. Another possibility is that there are not enough dialectal features in Quebec City for the mobile speakers to change systematically, whereas, furthermore, the local population might not even be the main linguistic influence of university students.

The mobile participants nonetheless proved aware of differences between their own speech and that of their new environment, suggesting that enhanced linguistic sensitivity may play a role in phonetic change. Further progress in understanding the link between speech perception and production may also shed light on the mechanisms underlying the first stages of SDA. Our results add to those from a growing body of studies evidencing that a certain phonetic flexibility is maintained throughout adulthood.

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Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... v

Liste des tableaux ... x

Liste des figures ... xi

Remerciements ... xiii

Introduction ... 1

Chapitre 1 : Problématique ... 5

1.1 Mobilité géographique ... 5

1.2 Émergence de la notion de second dialecte ... 7

1.2.1 Dialecte : rapport à la langue et définitions ... 8

1.2.2 Langue et lecte : au-delà de la nomenclature ... 14

1.3 Interrogations initiales ... 17

Chapitre 2 : État de la question ... 19

2.1 L’acquisition d’un second régiolecte chez l’enfant ... 19

2.2 Le changement phonétique à l’âge adulte ... 27

2.3 Des contraintes internes à l’acquisition d’un second régiolecte ... 35

2.3.1 Niveaux, règles et complexité linguistiques ... 36

2.3.2 Saillance perceptive ... 44

2.3.3 Lien perception-production ... 49

2.3.4 Synthèse ... 57

2.4 Des facteurs externes qui influencent l’acquisition d’un second régiolecte ... 59

2.4.1 Intégration sociale ... 60

2.4.2 Prestige ... 64

2.4.3 Intégrité et fidélité ... 67

2.4.4 Saillance (subjective) ... 70

2.4.5 Sujet de conversation ... 75

2.4.6 Âge et temps de résidence ... 76

2.4.6.1 L’émergence de l’âge adulte ... 81

2.4.6.2 Un second régiolecte en contexte universitaire ... 83

2.4.7 Synthèse ... 87

2.5 Synthèse générale ... 87

Chapitre 3 : Cadres théoriques ... 89

3.1 Théorie de l’accommodation ... 89

3.2 Théorie H&H ... 98

3.3 L’effet caméléon ou la convergence automatique ... 99

3.4 Théorie des exemplaires ... 104

3.5 Synthèse ... 111 Chapitre 4 : Objectifs ... 113 Chapitre 5 : Méthodologie ... 117 5.1 Lieux d’enquête ... 117 5.2 Temporalité ... 121 5.3 Participants ... 124

(8)

5.4 Corpus ... 127

5.4.1 La parole de laboratoire ... 127

5.4.2 Choix des variables ... 131

5.4.3 Analyse acoustique ... 140

5.5 Facteurs et indices externes ... 145

5.5.1 Le questionnaire ... 146

5.5.2 Catégorisation et quantification des facteurs et indices externes ... 147

5.5.2.1 Questionnaire démographique et facteur MOBILITÉ ... 148

5.5.2.2 Indice INTÉGRATION ... 149

5.5.2.3 Indice ÉMERGENCE ... 155

5.5.2.4 Indice FIDÉLITÉ... 158

5.5.2.5 Synthèse ... 160

5.6 Analyses statistiques ... 161

5.6.1 Analyses statistiques sur les indices acoustiques ... 161

5.6.2 Analyses statistiques sur les indices INTÉGRATION et ÉMERGENCE ... 165

5.7 Synthèse générale ... 165

Chapitre 6 : Résultats ... 167

6.1 Résultats acoustiques ... 167

6.1.1 Survol général ... 168

6.1.2 Facteur TEMPS ... 173

6.1.2.1 Effets du TEMPS sur F1, F2 et F3 ... 174

6.1.2.2 Effets du TEMPS sur la dynamique de F1, de F2 et de F3 ... 177

6.1.2.3 Interactions impliquant le TEMPS ... 179

6.1.3 Facteur MOBILITÉ ... 183

6.1.4 Facteur SEXE ... 187

6.2 Indices INTÉGRATION et ÉMERGENCE ... 191

6.3 Retour sur les objectifs ... 196

Chapitre 7 : Discussion ... 201

7.1 Résumé de l’étude ... 201

7.2 Les changements au cours du temps ... 204

7.3 Les effets de la MOBILITÉ ... 208

7.4 INTÉGRATION, ÉMERGENCE et FIDÉLITÉ ... 214

7.5 Français québécois, phonétique et corpus : perspectives ... 221

Conclusion... 229

Bilan ... 229

Limites générales ... 230

L’acquisition d’un second régiolecte : tendances actuelles et futures ... 233

Apports interdisciplinaires ... 242

Bibliographie ... 247

Annexe 1 : Courriel d’appel à participation ... 267

Annexe 2 : Mots cibles du corpus ... 268

Annexe 3 : Phrases porteuses de la tâche 1 et phase d’entraînement ... 269

Annexe 4 : Script Praat de relevé des mesures ... 271

Annexe 5 : Questionnaire démographique ... 273

(9)

Annexe 7 : Tableau des moyennes et écarts-types par voyelle et indice acoustique... 286

Annexe 8 : Graphiques des écarts-types par voyelle et indice acoustique ... 292

Annexe 9 : Effets significatifs des facteurs pris en compte dans les modèles mixtes et exclusions nécessaires pour atteindre une distribution normale des résidus ... 298

Annexe 10 : Résultats détaillés des effets fixes ... 308

Annexe 11 : Tableau synthèse des effets significatifs du facteur CONTEXTE ... 323

(10)

Liste des tableaux

Tableau 1 : Hiérarchie de l’acquisition des traits d’un R2 en fonction de leur difficulté

d’assimilation. Tableau extrait de Kerswill (1996 : 200) ... 42 Tableau 2 : Synthèse des critères utilisés pour définir la saillance objective et la saillance

subjective, et études dont ils sont issus (Sch : Schirmunski; Tru : Trudgill, 1986; Auer : Auer et coll., 1998). Tableau inspiré d’Auer et coll. (1998 : 167) ... 47 Tableau 3 : Origine géographique des 18 participants mobiles, regroupés par régions

administratives québécoises ... 127 Tableau 4 : Échelles ordinales construites pour mesurer les sous-indices qui composent

l’indice INTÉGRATION ... 155

Tableau 5 : Différences significatives entre le T1 et le T2 par voyelle et indice acoustique. Les nombres correspondent aux différences entre les moyennes estimées par le modèle. Une valeur positive traduit une augmentation de la valeur estimée des formants, de la durée ou de l’ampleur de la trajectoire formantique au cours du temps. Les interactions sont

signalées par un astérisque suivi du ou des facteurs en interaction avec le TEMPS ... 173

Tableau 6 : Différences significatives entre les mobiles et les sédentaires par voyelle et indice acoustique. Les nombres correspondent aux différences entre les moyennes estimées par le modèle. Un nombre positif signifie que la valeur estimée du formant, de la durée ou de l’ampleur de la dynamique formantique est plus importante chez les mobiles. Les

interactions sont signalées par un astérisque suivi du ou des facteurs en interaction avec la MOBILITÉ ... 183

Tableau 7 : Différences significatives entre les hommes et les femmes par voyelle et indice acoustique. Les signes + indiquent que la valeur moyenne estimée du formant, de la durée ou de l’ampleur de la dynamique formantique est significativement plus élevée chez les femmes. Les interactions sont signalées par un astérisque suivi du ou des facteurs en

interaction avec le SEXE ... 187

Tableau 8 : Résultats de régressions linéaires à mesures répétées rendant compte de la relation entre les indices acoustiques et les indices INTÉGRATION et ÉMERGENCE. L’estimé

correspond à la variation prédite de l’indice acoustique lorsque la valeur de

(11)

Liste des figures

Figure 1 : Trois conceptualisations de la notion de dialecte. Figure extraite de Harris

(1990 : 11) ... 12 Figure 2 : Distance à parcourir par l’apprenant pour maîtriser une L2 ou un R2. Figure adaptée

de Siegel (2010 : 137) ... 15 Figure 3 : Modèle de dissonance idiolectale. Figure extraite de Berthele (2002 : 331) ... 23 Figure 4 : Représentation schématique de la relation entre la perception et la production de la

parole en contexte de variation et de changement. Figure extraite de Beddor (2015 : 7) ... 53 Figure 5 : Continuum de l’hypoarticulation à l’hyperarticulation. Figure inspirée de la

contribution de Lindblom (1990) ... 98 Figure 6 : Adaptation du questionnaire IDEA-8 (Reifman et coll., 2007; Baggio et coll., 2015) ... 157 Figure 7 : Diagrammes F1/F2 et F2/F3 présentant la dispersion des occurrences produites par les

femmes (haut, n=23) et les hommes (bas, n=10), TEMPS et MOBILITÉ confondus. Les

ellipses regroupent 75 % des occurrences d’une catégorie ... 169 Figure 8 : Plan cartésien présentant la dynamique moyenne du F1 et du F2 des occurrences

produites par l’ensemble des participants (n=33) ... 170 Figure 9 : Plan cartésien présentant la dynamique moyenne du F2 et du F3 des occurrences

produites par l’ensemble des participants (n=33) ... 171 Figure 10 : Diagrammes boîtes à moustaches de la durée des occurrences produites par

l’ensemble des participants (n=33). Les valeurs éloignées sont incluses dans les

moustaches ... 172 Figure 11 : Valeur moyenne estimée du F1 des voyelles [ɪ y ʏ u ʊ] /ø o ɛ œ ɔ/, en fonction du

facteur TEMPS ... 174

Figure 12 : Valeur moyenne estimée du F2 des voyelles [ʏ] /ɛː œ a/, en fonction du facteur

TEMPS ... 175

Figure 13 : Valeur moyenne estimée du F3 des voyelles [ɪ ʏ ʊ] /ø o ɛ ɛː œ ɔ a ɑ/, en fonction du facteur TEMPS ... 175

Figure 14 : Diagrammes F1/F2 (haut) et F2/F3 (bas) des voyelles produites au T1 (cercles) et au T2 (triangles). Toutes les différences entre les valeurs estimées, significatives ou non,

sont représentées ... 176 Figure 15 : Valeur moyenne estimée de la dynamique du F1 des voyelles /o ɛ ɛː œ ɔ/, en

fonction du facteur TEMPS. Une valeur négative traduit une diminution de l’indice en

cours d’émission. Plus la valeur est proche de 0, moins le mouvement formantique est

important... 177 Figure 16 : Valeur moyenne estimée de la dynamique du F2 de /ɛ/, en fonction du facteur

TEMPS. Une valeur négative traduit une diminution de l’indice en cours d’émission. Plus

la valeur est proche de 0, moins le mouvement formantique est important ... 178 Figure 17 : Valeur moyenne estimée de la dynamique du F3 de /ɑ/, en fonction du facteur

TEMPS. Une valeur positive traduit une augmentation de l’indice en cours d’émission.

Plus la valeur est proche de 0, moins le mouvement formantique est important ... 179 Figure 18 : Valeur moyenne estimée du F1 de [y], en fonction des facteurs TEMPS et SEXE ... 180

(12)

Figure 19 : Valeur moyenne estimée du F2 de /ɑ/, en fonction des facteurs TEMPS et SEXE ... 180 Figure 20 : Valeur moyenne estimée de la durée de /ɛː/ au T1 et au T2, en fonction du facteur

MOBILITÉ ... 181

Figure 21 : Valeur moyenne estimée du F1 de [ʊ] au T1 et au T2, en fonction des facteurs

MOBILITÉ et SEXE ... 181

Figure 22 : Valeur moyenne estimée du F1 de /o/ au T1 et au T2, en fonction des facteurs

MOBILITÉ et SEXE ... 182

Figure 23 : Valeur moyenne estimée de la dynamique du F2 de [ʏ] /œ/, en fonction du facteur MOBILITÉ. Une valeur négative traduit une diminution de l’indice en cours d’émission.

Plus la valeur est proche de 0, moins le mouvement formantique est important ... 184 Figure 24 : Valeur moyenne estimée de la durée de [i], en fonction du facteur MOBILITÉ ... 185

Figure 25 : Comparaison entre les écarts-types de F1 et de F2 chez les femmes (haut) et les

hommes (bas) en fonction du facteur MOBILITÉ, T1 et T2 confondus ... 186

Figure 26 : Valeur moyenne estimée du F1 des voyelles [i ɪ y ʏ ʊ] /e ø o ɛ ɛː œ ɔ a ɑ/, en

fonction du facteur SEXE ... 188

Figure 27 : Valeur moyenne estimée du F2 des voyelles [i ɪ y ʏ ʊ] /e ø ɛ ɛː œ ɔ a ɑ/, en fonction du facteur SEXE ... 189

Figure 28 : Valeur moyenne estimée du F3 des voyelles [i ɪ y ʏ u ʊ] /e ø o ɛ ɛː œ ɔ a ɑ/, en

fonction du facteur SEXE ... 189

Figure 29 : Diagrammes F1/F2 (gauche) et F2/F3 (droite) représentant la moyenne estimée des occurrences produites par les hommes (n=10) et les femmes (n=23), TEMPS et MOBILITÉ

confondus ... 190 Figure 30 : Valeur moyenne estimée de la dynamique du F1 des voyelles [i y], en fonction du

facteur SEXE. Une valeur négative traduit une diminution de l’indice en cours d’émission.

Plus la valeur est proche de 0, moins le mouvement formantique est important ... 190 Figure 31 : Scores à l’indice INTÉGRATION au T1 (haut) et au T2 (bas). Les moyennes estimées

correspondent aux lignes verticales pleines et les intervalles de confiance, aux lignes

pointillées ... 192 Figure 32 : Scores à l’indice ÉMERGENCE au T1 (haut) et au T2 (bas). Les moyennes estimées

correspondent aux lignes verticales pleines et les intervalles de confiance, aux lignes

pointillées ... 194 Figure 33 : Droites de régression résultant de l’analyse sur les indices INTÉGRATION et F3. Une

équation ajustée est présentée par temps d’enquête, puisque le modèle prédit des

coordonnées à l’origine différentes au T1 et au T2 ... 195 Figure 34 : Quatre patrons possibles de l’évolution d’une variable phonétique au quotidien et

au cours du temps. Figure adaptée de Sonderegger (2015 : 1) ... 212 Figure 35 : Diagrammes F1/F2 présentant la répartition des 198 occurrences du mot prépare

selon le timbre perçu : les 95 [a] sont en rouge et les 103 [ɑ], en noir; les productions des hommes sont à gauche et celles des femmes, à droite. L’ellipse de dispersion des voyelles des mots face, part et porc est donnée comme référence ... 223

(13)

Remerciements

Mes premiers remerciements vont à ma directrice de recherche, Johanna-Pascale Roy. Je ne saurais exprimer combien j’apprécie la confiance et la grande liberté intellectuelle que tu m’as accordées tout au long de mon parcours. Merci pour ta disponibilité, ton honnêteté et ton éthique, sur lesquelles j’ai toujours pu compter et qui m’ont servi de modèle plus d’une fois. Merci aussi de faire du labo un havre où il fait bon vivre et apprendre. J’en repars avec un bagage professionnel et personnel inestimable, des effluves de menthe et d’agrumes dans les narines, et ne t’en fais pas, avec mes petits bas.

Je remercie Vincent Arnaud d’avoir évalué ma thèse bien sûr, mais surtout pour tout le reste. Merci de partager ton savoir avec art et générosité, de me faire douter et creuser les méninges. Merci pour toutes ces discussions, passées et à venir, songées ou spontanées, sur des sujets phonétiques, statistiques, socioculturels, musicaux, culinaires; que sais-je ? Merci enfin de ta présence, depuis l’UQAC, à chaque étape de ce voyage au bout des études supérieures.

Je remercie également Kristin Reinke d’avoir accepté d’évaluer ma thèse. Merci de t’être intéressée au projet dès le début. Ce fut un réel plaisir d’explorer avec toi l’univers de la pédagogie universitaire et de te côtoyer pendant mes années à l’Université Laval. Bientôt je saurai te dire plus que danke.

My sincerest thanks also go to Bronwen Evans. Your own work on second dialect acquisition has been the very first inspiration for this thesis, and it means a lot to me that you undertook the linguistic challenge of evaluating it. I can’t thank you enough for the stimulating time I had at UCL, for your scientific insights, your sharp eye, and for being such a sensitive and enthusiastic person in general.

Je remercie le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH), dont la bourse Joseph-Armand-Bombardier aura permis d’effectuer mes études doctorales et le supplément Michael-Smith de passer une session à Londres, la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l’Université Laval pour les bourses de soutien à la réussite, ainsi que le Bureau international de l’Université Laval, LOJIQ et l’AELIÉS pour les bourses de mobilité.

Merci à Laurence Desbois-Bédard du Service de consultation statistique de l’Université Laval pour ses conseils et sa disponibilité.

(14)

Un grand merci à mes parents de porter un intérêt soutenu à ce que je fais, de respecter mes choix et de m’avoir montré, par l’exemple, à aller au fond des choses. Je suis également très reconnaissante envers mon frère, sur qui je peux invariablement compter pour tenir le fort en mon absence. Mille mercis à David d’avoir partagé les hauts et les bas, le stress et les incertitudes du doctorat, d’avoir sauté à pieds joints dans l’aventure londonienne, d’avoir accepté ces moments où j’étais davantage un pyjama ambulant qu’un humain, d’avoir géré l’agenda culturel et social, et surtout, de toujours croire que tout est possible.

Je salue et remercie tous les professeurs, étudiants et membres du personnel que j’ai eu la chance de côtoyer à l’Université Laval et à UCL, tout particulièrement Caroline Sigouin, ma comparse de labo depuis tant d’années, pour les réflexions sur la phonétique et le doctorat, le chocolat, les recettes, les pomodori, le badminton, les plantes (mortes), et bien d’autres petites choses.

À mes amis hors université, je m’excuse de vous avoir parfois négligés et vous remercie de votre patience, de votre curiosité et de votre intérêt. Parfois vos questions m’ont fait m’en poser à mon tour, et d’autres fois parler d’autre chose m’a fait le plus grand bien. Je salue également les incroyables Filles poches, qui ont su me changer les idées à tout coup.

Finalement, je souhaite exprimer ma plus vive gratitude envers mes participants. Sans le temps qu’ils m’ont généreusement accordé, rien de tout ceci n’aurait été possible. Merci, et continuez à contribuer à la science !

(15)

Introduction

La notion de lieu est de celles qui paraissent immuables. À première vue, un lieu peut être défini à partir de critères physiques et objectifs, qu’il s’agisse d’éléments tangibles comme une chaîne de montagnes ou un fleuve, ou de divisions politiques entérinées (Johnstone, 2004 : 65). Par le fait même, l’origine géographique d’un individu, c’est-à-dire le lieu qui lui est intimement lié, est perçue comme une catégorie qui ne laisse nulle place à interprétation. La notion de lieu a joué, et joue toujours, un rôle de premier plan en linguistique, notamment pour l’étude de la variation. Que le chercheur s’inscrive dans un cadre variationniste, dialectologique ou autre, quels que soient les facteurs sociaux corrélés aux usages observés, il demeure que le concept même de locuteur est indissociable de l’emplacement géographique qui lui est attribué (Milroy, 2002a : 4).

Dans la mesure où le lieu est envisagé comme un facteur de catégorisation sociale, un certain décalage peut cependant survenir entre une classification de facto et le rapport audit lieu entretenu par les individus. Le sentiment d’appartenance à un autre groupe social peut prédominer, et le concept de groupe n’est pas tenu de s’arrêter à la frontière. En parallèle, la mobilité individuelle ne cesse de croître. Le profil des migrants, les canaux de migration et les points de chute sont de plus en plus diversifiés (Vertovec, 2007). Des phénomènes contemporains tels que l’embourgeoisement de certains secteurs (Becker, 2009), le déplacement d’individus pour cause de catastrophe naturelle (Carmichael, 2014, 2017) et l’arrivée massive de migrants politiques (Hernández et Maldonado, 2012) modifient profondément la composition démographique et linguistique des quartiers et des villes. À l’ère du numérique, la nécessité et la possibilité de délimiter physiquement un lieu apparaissent en outre relatives. Inévitablement, le rapport au lieu traditionnellement entretenu par les individus s’en trouve ébranlé, modifiant jusqu’à leur conception de l’origine géographique (Johnstone, 2004 : 71; Bigham, 2012 : 536). La manière d’envisager le lieu en recherche sur la variation mérite ainsi d’être revisitée, car comme le souligne Bigham (2012 : 541) : « our use of ideas like place, network, class, gender, and age, if they are to make any sense as social factors, must be open to change as society changes ».

Coïncidant avec la montée de telles réflexions, un nouvel objet de recherche centré sur les conséquences linguistiques de la mobilité géographique individuelle émerge à partir des années 1980 : l’étude de l’acquisition d’un second dialecte1 (second dialect acquisition, Siegel, 2010). Ce

1 Nous utilisons pour l’instant le terme dialecte comme traduction de dialect, tel que défini par Wolfram

(1997 : 107) : « any regional, social, or ethnic variety of a language ». Nous reviendrons plus en détails sur ce terme et ses définitions dans la section 1.2.

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phénomène est passible de survenir lorsqu’un locuteur migre d’une aire dialectale à l’autre, où certains usages diffèrent, mais non la langue même. Alors que la majorité des travaux en sociolinguistique et en dialectologie ne tiennent compte que de locuteurs sédentaires (Johnstone, 2004; Chambers et Trudgill, 1998), cet objet d’étude émergent est centré sur les usages jusque-là méconnus de locuteurs géographiquement mobiles. Une contribution de Payne (1980) à propos de l’acquisition du dialecte de Philadelphie par des enfants migrants est régulièrement citée comme l’une des premières à traiter du sujet (Tagliamonte et Molfenter, 2007 : 651).

L’acquisition d’un second dialecte peut être envisagée comme une forme de convergence vers une nouvelle parole ambiante, parfois aussi nommée imitation2, et tend à faire partie de l’imaginaire collectif (Munro et coll., 1999; Nycz, 2015). En effet, dès l’âge de 3 ans, les enfants conçoivent que deux personnes originaires d’endroits différents n’ont pas la même prononciation (Weatherhead et coll., 2016). Intuitivement, on sait également que les individus fréquemment en contact s’influencent mutuellement, y compris en ce qui a trait à leur façon de s’exprimer. Ainsi il semble logique qu’un locuteur qui migre vers un autre lieu soit enclin à adopter les usages différents des nouvelles personnes avec qui il interagit. De hâtifs travaux en dialectologie évoquaient déjà cette potentielle influence des usages linguistiques d’autrui. Hempl (1896 : 316), par exemple, considère important de poser la question suivante aux témoins prenant part à une enquête dialectologique : « Has your speech been modified by that of persons speaking differently from what is usual in your neighborhood? » Puisque ce phénomène semble aller de soi, le fait qu’il ne se soit pas imposé plus tôt comme objet d’étude scientifique peut surprendre. Cela dit, si le domaine est désormais relativement prolifique, il demeure qu’à notre connaissance, aucune étude n’a été menée sur l’acquisition d’un second dialecte du français québécois (FQ). C’est le sujet que nous nous sommes proposé d’aborder dans le cadre de cette thèse de doctorat.

Comme plusieurs de nos prédécesseurs, nous avons choisi d’axer notre recherche sur l’aspect phonétique du processus d’acquisition d’un second dialecte (Auer, 2007 : 112). L’approche adoptée pour en traiter s’inscrit dans le courant de la sociophonétique (Foulkes et Docherty, 2006; Jannedy et Hay, 2006; Hay et Drager, 2007; Foulkes et coll., 2010; Di Paolo et Yaeger-Dror, 2010; Thomas, 2011; etc.). Ce champ de recherche s’est initialement présenté comme l’interface entre deux disciplines établies de longue date : la sociolinguistique et la phonétique. Foulkes et coll.

2 Dans la littérature qu’il nous a été donné de consulter, les auteurs usant du terme imitation le font là où

d’autres emploient convergence. Dans ce contexte, on peut donc les considérer synonymes, comme le confirme cet extrait de Babel (2012 : 178) : « Phonetic imitation, also known as phonetic convergence or phonetic accommodation […] ».

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(2010 : 703) soulignent que l’une des premières acceptions du terme revient à Deshaies-Lafontaine (1974), dont la thèse de doctorat sur le français parlé à Trois-Rivières représente bien l’orientation des premiers travaux identifiés sous cette appellation : il s’agit en réalité d’une analyse variationniste, mais ne ciblant que la dimension phonétique et excluant les variables lexicales et syntaxiques. Depuis une vingtaine d’années, le nombre croissant d’études se réclamant du domaine, la variété grandissante de sujets couverts, la mise au point de méthodes spécifiques, certaines prises de position théoriques et la poursuite d’objectifs structurants ont néanmoins modifié la définition de la sociophonétique et contribué à lui accorder légitimité et indépendance (Thomas, 2011 : 1-2). Foulkes et coll. (2010 : 704) définissent de la manière suivante la ligne directrice du domaine : « the unifying theme of sociophonetic work is the aim of identifying, and ultimately explaining, the sources, loci, parameters, and communicative functions of socially structured variation in speech ». L’étude de la dimension phonétique de l’acquisition d’un second dialecte s’insère naturellement dans le courant sociophonétique en joignant à une analyse instrumentale fine une réflexion sociale détaillée. D’une part, une description précise des changements phonétiques qui se produisent chez un individu mobile offre une perspective sans précédent sur la flexibilité linguistique à différents âges, sur la gradation des formes produites et perçues par le locuteur-auditeur, sur l’équilibre entre les modifications généralisées et les modifications idiosyncrasiques, contribuant de cette manière à enrichir les modèles de perception et de production de la parole (Jannedy et Hay, 2006 : 406). D’autre part, proposer d’entrée de jeu d’adapter la notion de lieu aux réalités contemporaines témoigne d’une intention de mettre au jour les catégories sociales signifiantes autour desquelles la variation phonétique s’articule. L’étude de l’acquisition d’un second dialecte mène en effet à s’interroger sur la nature et les effets des facteurs externes susceptibles d’influencer les usages de locuteurs évoluant dans un contexte social spécifique ou atypique (Hay et Drager, 2007 : 93) comme les individus mobiles. Nycz (2015 : 475) mentionne que l’étude de l’acquisition d’un second dialecte met ainsi à profit tous les outils du sociophonéticien.

Cette thèse de doctorat consacrée à l’étude sociophonétique de l’acquisition d’un second dialecte du FQ se présente comme suit. Le Chapitre 1 illustre de quelle manière les conséquences linguistiques de la mobilité géographique se sont imposées comme objet d’étude au XXe siècle, expose quelques problèmes définitoires et conceptuels reliés au domaine, et se termine par deux questionnements généraux qui orientent le Chapitre 2. Celui-ci commence par une revue de la littérature sur l’acquisition d’un second dialecte chez l’enfant et se poursuit avec une réflexion sur les changements phonétiques susceptibles de survenir à l’âge adulte. Les principaux facteurs internes et externes qui sont réputés influencer le processus d’acquisition d’un second dialecte sont ensuite

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recensés. Au Chapitre 3, quatre cadres théoriques permettant d’interpréter le phénomène à l’étude sont exposés : la théorie de l’accommodation, la théorie H&H, la convergence automatique et la théorie des exemplaires. Une fois les principaux écrits sur le sujet résumés, les trois objectifs poursuivis par cette recherche sont formulés au Chapitre 4. Notre but premier est bien entendu d’étudier l’éventuelle acquisition d’un second dialecte du FQ, mais nous poursuivons également l’objectif d’évaluer l’impact des facteurs sociaux que sont l’âge, l’intégration et la fidélité aux origines sur la trajectoire phonétique d’un individu. Les choix méthodologiques effectués pour mener à bien l’étude sont ensuite détaillés au Chapitre 5 : lieu et techniques d’enquête, échantillon, variables phonétiques récoltées, quantification des facteurs sociaux et analyses statistiques appliquées aux données. Le Chapitre 6, consacré à la description des résultats obtenus, propose d’abord un survol des principales caractéristiques de la parole récoltée, suivi d’une évaluation des changements phonétiques survenus et de l’impact des facteurs sociaux, puis d’une mise en perspective des résultats en regard des objectifs de recherche formulés précédemment. Le Chapitre 7 et la Conclusion synthétisent l’étude, discutent des tendances qui s’en dégagent et de ses limites, suggèrent quelques possibilités d’exploitation du corpus au-delà du cadre de cette thèse et offrent un aperçu des avenues que pourrait emprunter la recherche sur l’acquisition d’un second dialecte, dans le but notamment de contribuer à l’avancement des connaissances en sociophonétique et en linguistique de manière plus générale.

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Chapitre 1 : Problématique

1.1 Mobilité géographique

1.2 Émergence de la notion de second dialecte 1.2.1 Dialecte : rapport à la langue et définitions 1.2.2 Langue et lecte : au-delà de la nomenclature 1.3 Interrogations initiales

1.1 Mobilité géographique

Une majeure partie des études réalisées au XXe siècle portant sur l’aspect phonétique ou

phonologique de la langue sont fondées sur le locuteur sédentaire. Cet idéal d’un témoin établi depuis sa naissance, aux côtés d’autres membres de sa famille, depuis plusieurs générations, en un lieu précis constitue, en particulier, la pierre angulaire des travaux en dialectologie et en sociolinguistique (Chambers et Trudgill, 1998; Johnstone, 2004). Pour le dialectologue, le locuteur natif est un gage d’accès aux usages régionaux les plus emblématiques et les mieux enracinés (Chambers, 1992 : 673-674). Pour le sociolinguiste, les patrons de variation qu’il est possible d’observer dans une communauté reposent sur une évaluation commune de ses normes par les locuteurs natifs (Labov, 1976 : 187). Bref, comme le résume Britain (2013 : 490) : « [e]vidence of such an idealisation of fixity is not hard to find in the linguistic literature ».

Au milieu du XXe siècle, Davis et McDavid (1950) et Reed et Spicer (1952) soulèvent toutefois un problème rencontré en dialectologie nord-américaine, celui des zones de transition et de peuplement récent. Au contraire de ce qu’ils nomment les focal areas et les relic areas, respectivement étudiées pour leur rôle dans l’innovation et la conservation linguistiques, les aires de transition sont à l’époque très souvent laissées de côté, en raison de la complexité des patrons de production qu’on y rencontre (Davis et McDavid, 1950 : 264), mais également de l’absence virtuelle du locuteur sédentaire. Dans le nord-ouest de l’Ohio, zone de peuplement récent (permis seulement lors de l’assèchement des marais sources de prolifération de moustiques porteurs de malaria, au milieu du

XIXe siècle) et de transition (en raison de la construction d’un canal destiné au transport, vers la même époque), Davis et McDavid (1950) sont effectivement confrontés à des locuteurs aux origines géographiques diverses et à des usages lexicaux et phonétiques tout aussi variés, témoignant tantôt de la conservation de traits anciens, tantôt d’innovations, et surtout, d’une importante variabilité inter-individuelle. En Californie, Reed et Spicer (1952) estiment que la situation linguistique est encore plus hétérogène.

Les centres urbains d’importance présentent une réalité similaire, de par l’intensité et la complexité des patrons migratoires qui les caractérisent (Vertovec, 2007). Sur le plan méthodologique, la quête

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du locuteur sédentaire dans de tels épicentres de l’immigration s’avère donc délicate, comme l’illustre Kerswill (1993 : 35) :

Various criteria, mainly to do with place of birth or age on arrival, are applied in order to sift out people who are not ‘native’. In Labov’s (1966) New York Lower East Side study, this leads to an extreme reduction of the target population; my calculations, based on Labov’s presentation (1966), suggest that well over 50% of the original sample are excluded by various nativeness-related criteria.

Labov et coll. (2006 : 3) rapportent pour leur part qu’en 1990, à l’échelle des États-Unis, 39,2 % des Américains étaient nés dans un autre État que celui où ils vivaient, une réalité ayant considérablement complexifié le recrutement pour l’ANAE (Atlas of North American English), une vaste enquête téléphonique portant sur la variation phonétique en anglais nord-américain et ciblant des locuteurs natifs, sédentaires. Au-delà de la contrainte technique qu’elles évoquent, les estimations de Kerswill (1993) et les statistiques rapportées par Labov et coll. (2006) mettent en exergue la réalité sociale que constitue désormais la mobilité géographique en Occident (Chambers, 2002; Britain, 2013; Vertovec, 2007). Sachant l’impact que peut avoir toute réalité sociale sur les pratiques linguistiques (Labov, 1976), celles des locuteurs mobiles présentent un intérêt scientifique certain.

En dépit de leur quasi-absence en dialectologie et en sociolinguistique variationniste, les locuteurs mobiles se sont néanmoins retrouvés sous la loupe de chercheurs d’autres disciplines, par exemple en linguistique historique. Le contact entre migrants en situation de colonisation contribue effectivement à l’étude de la formation de langues, de créoles et de koinès (voir entre autres Trudgill, 1986, 2008). Les hypothèses concernant l’émergence des langues du Nouveau Monde, y compris la question de leurs différences avec les variétés-souches européennes, sont pour la plupart fondées sur le contact entre populations mobiles (concernant spécifiquement le FQ, voir l’ouvrage édité par Mougeon et Beniak, 1994). Les locuteurs mobiles ont également intéressé les chercheurs décrivant les usages en cours dans des villes industrielles récentes (Kerswill et Williams, 2000a, 2000b) ou marquées par des vagues d’immigration (Watt, 2002), révélant l’existence de koinès ou de phénomènes de nivellement des variétés régionales. Par ailleurs, une importante littérature sur l’acquisition des langues secondes repose sur l’étude de locuteurs migrants (voir Flege, 1987; Sancier et Fowler, 1997, parmi bien d’autres).

Il est cependant un type spécifique de locuteurs mobiles, aux pratiques linguistiques tout aussi spécifiques, au sujet desquelles les connaissances sont jusqu’à tout récemment demeurées parcellaires et anecdotiques (Munro et coll., 1999 : 385) : les locuteurs migrant individuellement entre aires dialectales. Malgré certains points communs avec les autres groupes de locuteurs

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susmentionnés, les individus migrant entre aires dialectales occupent dans le paysage linguistique une position suffisamment singulière pour que la généralisation intégrale des théories, notions et postulats provenant d’autres disciplines soit inadéquate. Par exemple, il est question de mobilité géographique individuelle, mettant en cause des locuteurs qui, seuls ou en famille, quittent leur milieu d’origine pour s’installer dans un nouvel environnement. Il est fort probable que le locuteur qui s’installe individuellement dans un nouvel environnement linguistique soit celui qui s’y adapte, alors qu’à l’inverse, en linguistique historique, ce sont les effets de déplacements de masse sur les structures linguistiques qui sont examinés (Trudgill, 1986 : 3). De même, les individus migrant entre aires dialectales sont face à la possibilité de s’adapter à un nouveau dialecte, et non face à la nécessité d’apprendre une nouvelle langue. Les observations et principes issus des études sur l’acquisition des langues secondes sont ainsi fondés sur un tout autre processus linguistique (Siegel, 2010), ce dont nous rediscuterons dans la section 1.2.2. Pour ces raisons, un examen linguistique approfondi des conséquences de la réalité sociale contemporaine que constitue la mobilité individuelle entre aires dialectales s’est éventuellement imposé.

1.2 Émergence de la notion de second dialecte

Dans les années 1970, William Labov et son équipe mènent une série d’études sur la communauté linguistique de Philadelphie dans le cadre du projet à grande échelle Linguistic Change and Variation (Labov, 1994 : xi). Parmi les contributions issues de ce projet, celle de Payne (1980) porte sur les usages d’enfants dans la banlieue de King of Prussia. Se détachant des modèles traditionnels d’acquisition du langage fondés sur la transmission des usages parentaux, l’auteure cherche à documenter l’influence des pratiques de la communauté sur le processus d’acquisition. Pour parvenir à isoler une telle influence, Payne (1980) se tourne vers des locuteurs dont l’input à la maison et dans la communauté diffère. La parole de 108 enfants provenant de 24 familles anglophones de classe moyenne, réparties en trois groupes, est examinée : a) les familles composées de parents et d’enfants nés sur place; b) celles composées d’enfants nés sur place et de parents nés ailleurs; c) celles composées de parents et d’enfants nés ailleurs. L’auteure constate que même s’ils ne sont pas nés à King of Prussia, tous les enfants du groupe c) ont acquis certaines des caractéristiques phonétiques qui y sont utilisées; les plus jeunes sont parvenus à une maîtrise quasi-totale des usages locaux et les plus âgés présentent un profil d’acquisition plus variable et souvent partiel. Elle observe également que le « short-a » philadelphien, dont le conditionnement obéit à une règle phonologique complexe (voir Payne, 1980 : 156-159), n’est parfaitement maîtrisé que par les enfants du groupe a), dont les parents sont eux-mêmes originaires de Philadelphie.

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Au-delà de ses implications pour la description de la variation et du changement linguistiques à Philadelphie, cette étude révèle que les usages phonétiques d’un locuteur sont fortement influencés par ceux de la communauté, même s’il n’en est pas originaire. En d’autres termes, lorsque soumis à un changement d’environnement linguistique, les locuteurs apparaissent enclins à modifier leur prononciation. En traitant de locuteurs ayant migré entre zones géographiques où certains usages, mais non la langue même, diffèrent, la contribution de Payne (1980) représente un jalon pour l’étude de l’acquisition d’un second dialecte, telle que définie par Tagliamonte et Molfenter (2007 : 650) : « the process by which people transplanted from one region to another acquire a second dialect of the same language ». Dans la foulée de ce prélude probant, les recherches portant sur le sujet s’accumulent dans les décennies suivantes, et sont pour la première fois colligées par Siegel (2010) dans un manuel qui présente l’état de l’art des méthodes, résultats, applications et défis liés à ce champ de recherche émergent. Avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient toutefois d’exposer brièvement quelques concepts essentiels pour situer la notion de second dialecte, à commencer par ce qui distingue langue et dialecte.

1.2.1 Dialecte : rapport à la langue et définitions

Hinskens (1998 : 160) définit un système linguistique comme étant constitué d’éléments (segments, morphèmes, etc.), de structures (syllabes, syntagmes, etc.) et de processus (assimilation, inversion, etc.) gouvernés par des principes et des contraintes (phonotactique, règles d’accord, etc.). Tous les locuteurs n’utilisent pas le même système linguistique : d’après la terminologie saussurienne (Saussure, 1969 [1916]), il existe différents systèmes de signes, ou comme l’exprime Labov (1976 : 263), il est possible de « di[r]e “la même chose” de plusieurs façons ». L’ampleur des divergences entre ces « façons » de dire la même chose varie toutefois considérablement, allant par exemple d’une simple différence de lieu d’articulation d’un segment de la chaîne, à des chaînes de segments sans lien apparent entre elles, puisant dans des inventaires phonémiques différents et dont l’agencement au sein d’un énoncé suit une logique distincte. L’inter-compréhension s’en trouve tantôt inaffectée, tantôt réduite à néant. Intuitivement, il apparaît évident que l’on cherche à nommer différemment le rapport entre deux systèmes linguistiques qui, d’un côté, sont structurellement proches et mutuellement intelligibles (dialectes), et de l’autre, structurellement éloignés et non intelligibles mutuellement (langues).

Remontant à l’Antiquité gréco-romaine, Harris (1990 : 4-5) expose pourtant que chez les Grecs, des termes comme diálektos, glōssa et léxis sont utilisés de manière interchangeable. La proximité relative des usages linguistiques n’est pas ignorée, mais traitée sur un continuum unidimensionnel. Par exemple, le grec et le perse pourraient constituer deux extrémités jointes par toute une gamme

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de systèmes linguistiques intermédiaires. Dans la pensée grecque, la distinction entre les différents systèmes composant cet axe est fondée sur quelques caractéristiques linguistiques opposant les habitants d’un lieu à ceux d’un autre lieu, ce qui en fait selon Harris (1990) la première attestation du concept de dialecte. Bien entendu, cette vision reflète les connaissances et les perspectives d’alors sur le monde. Si le continuum était contextuellement valide, les Grecs auraient été en peine d’en établir un unissant de manière cohérente leur langue et le japonais. Néanmoins, Harris (1990 : 7) avance que cette conception n’est sans doute pas très éloignée de celle d’un public non initié. Pour illustrer son propos, l’auteur met en scène un Français du début du XXe siècle, sédentaire et sans formation en linguistique, qui par hasard, aurait pris connaissance de la carte 27 de l’Atlas linguistique de la France (Gilliéron et Edmont, 1902-1910). Il n’aurait vraisemblablement pas été en mesure de distinguer les langues des dialectes parmi les formes [alɔ ], [vɔ ] et [an ], utilisées respectivement à Paris, à Poilly (Marne) et à Seilhac (Corrèze) pour exprimer le présent du verbe aller à la première personne du pluriel. À l’instar des Grecs, ce Français du début du XXe siècle aurait sans doute positionné les formes sur un continuum unidimensionnel, la proximité structurelle n’étant pas d’emblée évidente. Un concept de langue distinct de celui de dialecte n’aurait pu faire surface que si une rupture de communication causée par un nombre trop élevé de différences était survenue.

Cet exemple met en évidence la fragilité des assises de la distinction initiale entre langues et dialectes, en particulier celle des affinités structurelles. D’ailleurs, ni ce critère ni celui de l’intelligibilité mutuelle ne rendent intégralement compte de la conception scientifique moderne du rapport entre langue et dialecte, et ce, pour des raisons à la fois historiques et politiques. D’abord, on tend à considérer comme des langues différentes des systèmes d’origine distincte, par exemple le grec par rapport au japonais, l’innu par rapport au swahili, des paires de systèmes qui incidemment, ne sont pas intelligibles mutuellement. Le mandarin et le cantonnais, qui eux non plus, ne sont pas intelligibles mutuellement, sont néanmoins considérés comme des dialectes parce qu’ils partagent une origine commune. Suivant cette logique, l’italien et l’espagnol devraient donc être traités comme des dialectes, partageant un ancêtre commun, le latin. S’ils ne le sont pas, la raison en est que l’aspect politique eut tôt fait d’entrer dans la définition de ce qu’est ou n’est pas une langue (Harris, 1990 : 10-11). En effet, la consécration d’un système linguistique est fortement liée à l’indépendance proclamée et reconnue de la nation où il est usité. L’italien n’est pas un dialecte du latin, mais la langue de l’Italie; celle d’un gouvernement, d’un système d’éducation, d’une scène socioculturelle. Sa parenté historique et ses degrés de similarité structurelle et d’intelligibilité mutuelle avec d’autres langues romanes comme l’espagnol sont relégués au second plan.

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Par contraste, la légitimité accordée à la langue tend à priver le dialecte de la sienne (Chambers et Trudgill, 1998 : 3). La définition suivante, proposée par Hinskens (1998 : 156), en témoigne : « a dialect is defined as a linguistic variety, displaying structural peculiarities (often referred to as dialect features) in more than one component, usually of relatively little prestige, lacking codification and mainly used orally in a geographically limited area ». Selon l’auteur, il s’agit là d’une vision culturo-centriste du dialecte, où les différences et les spécificités sont mises en évidence afin d’accentuer l’appartenance des locuteurs à un groupe et leur non-appartenance aux autres groupes (voir également Tajfel, 1974; Tajfel et Turner, 1986). Ces groupes sont indissociables d’un lieu donné, ancrant une fois de plus la notion de dialecte dans une perspective avant tout géographique. Le rapport entre langues et dialectes n’est plus unidimensionnel comme chez les Grecs, mais relationnel et hiérarchisé : un dialecte « appartient » à une langue et ne peut exister de manière autonome, au même titre que le concept de parent ne peut exister sans celui d’enfant (Harris, 1990 : 8). Crucialement toutefois, ce que l’on nomme langue ne correspond pas à un dialecte qui aurait plus de prestige que les autres, une répartition géographique plus vaste, ou encore une forme écrite. La langue, ou standard, est un supra-système qui surplombe les dialectes (Dachsprache3; Muljačić, 1993) alors que ces derniers n’en font autant avec aucune autre forme, et l’écart structurel entre langue standard et dialectes est parfois abrupt.

Hinskens (1998 : 158) reconnaît cependant que si cette description trouve écho en contexte européen, la réalité nord-américaine est passablement différente. Dans la mesure où les langues européennes sont concernées, le paysage linguistique des Amériques n’est effectivement pas empreint de la même profondeur sociohistorique. En conséquence, les aires dialectales y sont plus vastes, la densité des formes dialectales dans ces aires est moindre et l’écart structurel entre les formes est réduit. Dans un tel contexte, langues et dialectes sont forcément perçus de manière moins hiérarchisée, l’idée d’un continuum refait surface et la frontière entre les concepts s’estompe. La représentation du standard est davantage celle d’un dialecte parmi d’autres, ce qu’atteste un adage rendu célèbre par Weinreich : « A language is a dialect with an army and navy » (cité par Siegel, 2010 : 2). Autre différence critique, l’origine de la variation dialectale dans les Amériques n’est pas d’emblée à prédominance géographique. Wardhaugh (2010 : 43), un linguiste canadien, formule même la remarque suivante : « [s]ince most of us realize that it is not only where you come from that affects your speech but also your social and cultural background, age, gender, race, occupation, and group loyalty, the traditional bias toward geographic origin alone now appears to be a serious

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weakness ». Wolfram (1997 : 107), qui identifie trois types de dialectes – régionaux, sociaux et ethniques – (voir note 1), s’inscrit donc résolument dans cette perspective.

Que les contextes européen et (nord-)américain diffèrent ne pose pas problème en soi; en revanche, l’utilisation d’un terme commun pour rendre compte de réalités aussi éloignées cause nécessairement un flou autour de la notion de dialecte. À cela s’ajoute le fait que certains chercheurs en adoptent une définition strictement opérationnelle (Harris, 1990 : 9). Par exemple, on oppose volontiers les « dialectes rhotiques » aux « dialectes non rhotiques » dans une étude sur la rhoticité, mais on peut s’interroger sur la pertinence de regroupements fondés sur une seule caractéristique, sachant qu’ils risquent fort de ne pas tenir la route dans une étude portant sur une autre caractéristique. Concevoir de la sorte les dialectes comme des regroupements d’usages fondés sur des caractéristiques communes, plutôt que de chercher à distinguer des systèmes par rapport à ce qu’ils ont de différent, est une approche initialement proposée par Bloch (1948 : 8), pour qui un dialecte est un agrégat d’idiolectes partageant un même système phonologique. L’intérêt de cette nouvelle conceptualisation est qu’elle endosse l’unicité des usages individuels en n’en faisant pas un obstacle à la catégorisation. Harris (1990 : 10) lui reproche toutefois d’ouvrir la porte à une fragmentation artificielle de la notion de dialecte, à ce que ses différentes dimensions (lexique, grammaire, prononciation) soient traitées isolément, alors que dans la pratique, elles sont indissociables :

Only in a highly literate community does there arise the possibility of achieving this quite artificial divorce between pronunciation on the one hand and grammar-cum-vocabulary on the other, so that we can present people with the explicit task of providing their own pronunciation for a text of which the grammar and vocabulary are supplied in advance.

Pour résumer, il apparaît clairement que toutes les facettes de la définition d’un dialecte ne font pas l’unanimité. Une vision relativement consensuelle est celle d’un système linguistique partagé par certains locuteurs, comportant des spécificités par rapport à celui d’autres locuteurs et généralement peu prestigieux. Pour ce qui est des divergences, l’une d’elles concerne la conceptualisation de la relation entre dialectes, langues et idiolectes, la Figure 1 illustrant les trois principaux points de vue exposés jusqu’ici.

Une autre divergence réside au sein même du concept relationnel représenté sur la Figure 1 et concerne la nature de la langue standard. Pour Hinskens (1998), dialecte et standard constituent deux systèmes distincts, le premier étant dépourvu de prestige, limité au domaine oral et possiblement assez éloigné structurellement du second, qui lui, agit en quelque sorte comme un dôme. Cette conception est cependant au moins partiellement tributaire du contexte sociohistorique

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ayant vu les dialectes se développer et être étudiés. Chez les chercheurs nord-américains, la tendance est plutôt à percevoir le standard comme un dialecte jouissant simplement d’un plus grand prestige (Weinreich).

Figure 1 : Trois conceptualisations de la notion de dialecte. Figure extraite de Harris (1990 : 11)

Également corollaire de cette différence sociohistorique, le poids relatif du lieu et d’autres facteurs sociaux dans la définition du dialecte varie. L’inclusion de l’aspect géographique apparaît comme une condition sine qua non de la définition européenne (Hinskens, 1998), alors que des facteurs comme l’origine socio-économique et l’appartenance ethnique sont d’égale importance pour des chercheurs comme Wolfram (1997) ou Wardhaugh (2010). Finalement, Harris (1990) souligne la multidimensionnalité du dialecte. Aussi bien des spécificités liées à la prononciation, au vocabulaire et à la grammaire sont susceptibles d’entrer dans la composition d’un dialecte, ce à quoi Siegel (2010 : 11) ajoute le niveau pragmatique et les éléments suivants : « differences in body language, proxemics (the distances between people when they interact) and paralinguistic features such as voice quality, loudness and the use of silence ». Chercher à isoler une composante n’est pas impensable, mais on ne saurait la prétendre représentative du dialecte, et le chercheur qui choisirait cette voie devrait être pleinement conscient du niveau de littératie de la population étudiée et de ce que la technique d’enquête sélectionnée est à même de révéler.

Une problématique supplémentaire entourant la notion de dialecte est spécifique à la langue française. D’abord, le terme patois pourrait sans doute être défini dans des termes à peu près similaires à ceux employés par Hinskens (1998 : 156) pour décrire le dialecte. De fait, selon Knecht (1998 : 123), patois et dialecte sont fréquemment employés comme synonymes. Ils ont toutefois un sens bien distinct en Alsace et en Suisse, où patois fait référence à un parler gallo-roman et dialecte,

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à un parler germanique (Rézeau, 2001 : 363; Thibault, 2012 : 327). Les patois sont par ailleurs à différencier des français régionaux : ces derniers sont structurellement plus proches de la langue française que les patois et se retrouvent à l’échelle de la francophonie plutôt qu’en Europe seulement. Malgré cette distinction, français régional est aussi utilisé comme synonyme de dialecte, notamment par « des linguistes français travaillant dans des cadres théoriques américains » (Knecht, 1998 : 124). Il semble ainsi que le sens déjà évanescent de dialecte soit de surcroît tributaire de la traduction du chercheur, elle-même influencée par son secteur de recherche.

Face à la délicatesse de ces problèmes définitoires, étant donné la nuance péjorative inhérente au terme de dialecte, et afin de signaler que tous les niveaux linguistiques ne sont pas pris en compte, certains chercheurs qui comme nous, s’intéressent spécifiquement aux variations de prononciation, se tournent vers le terme accent. Harmegnies (1998 : 9) le définit comme « l’ensemble des caractéristiques de prononciation liées aux origines linguistiques, territoriales ou sociales du locuteur, et dont la perception permet au destinataire d’identifier la provenance du destinateur » (voir aussi Crystal, 2008 : 3). Cette définition de l’accent inclut le volet géographique, comme pour le dialecte, mais également d’autres aspects de l’origine du locuteur. Entre autres, la mention de son origine linguistique ajoute une dimension inédite aux phénomènes qu’englobe l’accent : il peut faire référence à la prononciation de locuteurs d’origine linguistique autre que les auditeurs, y compris de langue maternelle différente (accent étranger). Harmegnies (1998 : 11) ajoute que le terme est parfois utilisé de manière dépréciative, ce qui se reflète dans l’expression à connotation positive « ne pas avoir d’accent ». Ironiquement, l’utilisation du terme est en outre ambigüe en sciences phonétiques, puisqu’il peut aussi faire référence à la mise en relief de segments ou de syllabes de la chaîne parlée (Harmegnies, 1998 : 9; Crystal, 2008 : 3-4). La perception d’un accent peut ainsi être attribuable au placement de l’accent… Enfin, la définition proposée par Harmegnies (1998) laisse présumer que juger de la présence d’un accent revient d’abord et avant tout à l’auditeur naïf, le rôle du chercheur demeurant imprécisé. À la lumière de ces différents éléments, il semble que le recours au terme accent ne résolve pas intégralement les problèmes soulevés par l’utilisation de dialecte, en plus d’être en proie aux siens propres.

Pour sa part, Bailey (1973 : 11) propose le terme lecte et le définit de la manière suivante : « a completely non-commital term for any bundling together of linguistic phenomena ». Par rapport aux termes précédents, le lecte de Bailey (1973) présente deux avantages majeurs : il évacue toute nuance péjorative et ne regroupe ni plus ni moins que ce que le chercheur veut regrouper. C’est le terme que nous privilégierons pour la suite de cet écrit. Précisons que nous adoptons une conceptualisation relationnelle du lecte, où il est subordonné à une langue et coexiste avec d’autres

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lectes. Une attention particulière sera accordée à la variation d’origine géographique, c’est-à-dire aux régiolectes, et plus spécifiquement, au processus d’acquisition d’un second régiolecte (désormais R2). Néanmoins, étant donné l’affiliation multiple d’un locuteur au sein de la structure sociale (Wolfram, 1997 : 107), nous reconnaissons que d’autres facteurs ont le potentiel de façonner sa prononciation. Le cas échéant, nous adjoindrons au terme lecte les préfixes socio-, idio-, ethno-, etc., selon ce que les auteurs cités ou nous-même cherchons à exprimer. Comme la plupart de nos prédécesseurs (Auer, 2007 : 112), nous nous concentrerons sur la dimension phonétique du régiolecte, sans pour autant exclure que d’autres niveaux linguistiques puissent varier concomitamment.

1.2.2 Langue et lecte : au-delà de la nomenclature

La nécessité de distinguer des concepts comme langue et lecte n’est pas uniquement motivée par des considérations d’ordres terminologique ou idéologique. Établir cette distinction vise en effet à déterminer d’entrée de jeu si acquérir une langue seconde (L2) et un second régiolecte (R2) relèvent de mécanismes suffisamment semblables pour que la littérature portant sur l’acquisition d’une L2, notamment les théories étayées à ce sujet, soit applicable aux situations d’acquisition d’un R2, et corollairement, pertinente pour la suite de cette contribution.

Tout d’abord, mentionnons que l’acquisition d’un R2 et d’une L2 présente certaines similitudes. Par exemple, il s’agit dans les deux cas d’acquisition d’un second système, impliquant qu’un premier, natif, soit déjà en place (Rys et coll., 2017 : 268). La cible à atteindre, c’est-à-dire le second système, est clairement définie, contrairement à des situations linguistiques comme l’émergence de koinès ou de créoles (Bickerton, 1983 : 238). Autre distinction par rapport à de telles situations, il s’agit de processus dont le résultat est individuel plutôt que collectif (Bickerton, 1983). Selon Sankoff (2018a : 45), ce dernier élément de ressemblance fait en sorte que l’issue du processus d’acquisition d’un R2 comme d’une L2 est appelée à varier d’un individu à l’autre, suivant des facteurs tels que l’intensité des contacts avec des locuteurs du second système pendant l’acquisition. De plus, s’il est théoriquement aussi probable qu’un arabophone apprenne le turc et qu’un turcophone apprenne l’arabe, ou qu’un Portugais adopte le régiolecte brésilien et qu’un Brésilien adopte le régiolecte portugais, dans les faits, l’acquisition d’un R2 et d’une L2 présente une tendance à l’unidirectionnalité. Escure (1997 : 7) fait remarquer que lorsque deux lectes ne jouissent pas du même prestige, on s’attend à ce que les locuteurs du lecte moins prestigieux adoptent le standard, mais non l’inverse, et à ce que le standard soit plus facile à maîtriser que le non-standard, une conception difficilement rattachable à quelque fondement scientifique. De la même manière, le choix d’une L2 n’est pas nécessairement aléatoire, et la prédominance d’une lingua franca donnée à

Figure

Figure 1 : Trois conceptualisations de la notion de  dialecte. Figure extraite de Harris (1990 : 11)
Figure 3 : Modèle de dissonance idiolectale. Figure extraite de  Berthele (2002 : 331)
Tableau 1 : Hiérarchie de l’acquisition des traits d’un R2 en fonction de  leur difficulté d’assimilation
Tableau 2 : Synthèse des critères utilisés pour définir la saillance objective et la saillance  subjective, et études dont ils sont issus (Sch : Schirmunski; Tru : Trudgill, 1986; Auer :
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