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CHAPITRE 6- CONCLUSION GÉNÉRALE

6.1. Synthèse et principaux résultats

Malgré leur importance économique et sociale, les PME sont plutôt négligées en matière de reconnaissance et de gestion du présentéisme. Pourtant, la particularité du contexte de travail des PME est largement reconnue dans la littérature (Marchesnay et Julien, 1990; Curran et Blackburn, 2001). L’environnement de travail des PME est présenté selon deux perspectives, soit « bleak house » et « small is beautiful ». La première perspective (« bleak house ») dépeint l’environnement de travail des PME comme précaire et contraignant. La fonction de GRH est peu formalisée et la gestion de la SST est peu développée (Kvorning et al., 2015; Masi et Cagno, 2015; Volery et Mazzarol, 2015). Les PME sont plus vulnérables aux maladies professionnelles et aux accidents de travail que ne le sont les grandes entreprises (Martin et Staines, 1994). La seconde perspective (« small is beautiful ») met de l’avant l’aspect salutaire de la PME, caractérisé par une proximité physique, affective et hiérarchique (Kotey et Sheridan, 2004). En effet, la PME favorise un climat social et organisationnel stimulant (Carlson et al., 2006).

La présente thèse part de cette double perspective de l’environnement de travail des PME pour étudier les déterminants individuels et psychosociaux du présentéisme. Pour répondre à cet objectif général de la thèse, des objectifs spécifiques sont poursuivis :

 Proposer un modèle intégrateur afin de tenir compte des relations entre le contexte organisationnel et psychosocial des PME, le présentéisme et ses associations avec la santé;  Investiguer l’effet de la taille de l’entreprise sur la prévalence du présentéisme et

d’exposition aux risques psychosociaux, ainsi que l’effet de taille sur la force de la relation entre RPS, présentéisme et santé;

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 Dans une approche plus holistique, nuancer la préconception négative du présentéisme en élargissant l’exploration des déterminants individuels et psychosociaux à des déterminants positifs dans le contexte spécifique des PME.

L’atteinte de ces trois objectifs spécifiques passe par la réalisation de trois articles. Le premier article développe des propositions théoriques sur les relations entre facteurs

organisationnels et psychosociaux (GRH, SST, RPS), facteurs individuels (ex., engagement, comportement du propriétaire-dirigeant, précarité financière) et présentéisme. Cet article laisse entendre que (1) l’ensemble des facteurs organisationnels, psychosociaux et individuels sont liés au présentéisme et que (2) relativement aux grandes entreprises, les employés de PME sont plus exposés aux risques psychosociaux et donc au présentéisme. Ce postulat amène à s’interroger sur l’effet de la taille de l’entreprise (PE, ME, GE) sur : (1) le niveau d’exposition aux risques psychosociaux et au présentéisme ; et (2) la force de la relation entre risques psychosociaux, présentéisme et santé. Ce manuscrit conceptuel contribue à mieux comprendre la problématique du présentéisme dans les PME, surtout que le présentéisme est un sujet d’étude quasiment inexploré dans ce contexte de travail.

Le deuxième article est quantitatif. Il valide certaines propositions théoriques sur les risques psychosociaux, issues de l’article conceptuel. L’objectif de l’article #2 est d’examiner les relations entre les risques psychosociaux (RPS) des deux modèles théoriques, « Demande-Contrôle-Soutien » (DCS) et « Déséquilibre Efforts-Récompenses » (DER), le présentéisme, et la santé mentale et physique de l’employé. L’article compare aussi les niveaux d’exposition aux risques psychosociaux et au présentéisme selon la taille de l’entreprise, ainsi que l’effet de la taille de l’entreprise sur la force de la relation entre les risques psychosociaux, le présentéisme et la santé.

Pour tester les associations entre RPS, présentéisme et santé, les données de l’EQCOTESST, collectées auprès de 2525 travailleurs dans les PME, ont été utilisées. Pour mieux

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comprendre l’effet de la taille de l’entreprise (PE, ME, GE), nous avons utilisé l’échantillon total de l’EQCOTESST (4608 travailleurs), composé de trois sous-échantillons : PE (1784 travailleurs), ME (741) et GE (2083). Les PE (2 à 50 employés), les ME (de 51 à 199 employés) et les GE (200 employés et plus) comptent respectivement pour environ 38,72, 16,08 et 45,20 de l’échantillon global.

Les résultats du test du modèle des équations structurelles montrent que les demandes psychologiques, le faible soutien social et le déséquilibre efforts-récompenses sont associés positivement au présentéisme. Bien que souvent utilisés pour rendre compte des effets étiologiques des risques psychosociaux sur la santé et l’absentéisme, les modèles DCS et DER se révèlent utiles pour expliquer le présentéisme. Cette étude confirme la valeur prédictive de ces deux modèles et démontre des liens significatifs et directs entre les dimensions de l’organisation de travail et le présentéisme. Il ressort, par exemple, que lorsque la demande psychologique augmente, le niveau de présentéisme augmente, ce qui supporte les résultats des études antérieures (Arronson et Gustafsson, 2000, 2005 ; Demerouti et al 2009). Les résultats nous révèlent aussi que la demande psychologique est le facteur explicatif le plus important du présentéisme parmi les quatre risques psychosociaux retenus. Notre recherche montre aussi que la combinaison des deux modèles théoriques DCS et DER et la prise en compte de leur interaction permet de mieux expliquer le présentéisme. Ceci renforce les résultats des travaux antérieurs sur l’amélioration significative de la puissance prédictive des deux modèles lorsqu’ils sont associés (Bosma et al., 1998; de Jonge et al., 2000; Ostry, et al., 2003; Rydstedt et al., 2007).

Les résultats montrent que le présentéisme est aussi associé à la santé physique et psychologique au travail. Il est positivement lié aux symptômes dépressifs, à la détresse psychologique, aux TMS et à l’autoperception de l’état de santé générale. Ceci confirme les résultats des études antérieures qui ont montré que le présentéisme est un facteur de risque pour la

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santé physique et psychologique (Bergström et al., 2009 ; Caverley et al., 2007 ; Demerouti et al., 2009; Gustafsson et Marklund, 2011; Johns, 2011).

Sur un autre point, les résultats de l’analyse comparative montrent qu’il existe des différences significatives quant au niveau d’exposition aux risques psychosociaux et au présentéisme entre les PE et les GE. Les employés des PE sont moins exposés à des demandes psychologiques importantes, ils se sentent davantage soutenus par leurs collègues et leur supérieur, mais ils sont cependant davantage exposés à un déséquilibre efforts-récompenses. Les résultats montrent que les employés ont moins tendances à se présenter malades en PE comparativement à la GE. Il semble que les ME fonctionnent comme des GE. La différence au niveau de l’environnement psychosocial est plus perceptible entre les GE et PE.

Les résultats montrent aussi que la taille de l’entreprise (PE, ME, GE) ne modère pas les associations entre risques psychosociaux, présentéisme, et santé mentale et physique. Ainsi, le modèle théorique développé dans l’article quantitatif ne s’applique pas uniquement aux PME, mais peut s’appliquer au contexte des GE québécoises. Cela implique que peu importe la taille de l’entreprise, les contraintes psychosociales ont la même force d’association avec le présentéisme et la santé.

La présente thèse dévoile que la spécificité de la PME demeure un sujet sensible qui mérite d’être étudiée plus en profondeur. Il existe encore de nombreuses nuances dans les travaux sur l’opposition entre les PME et les GE, ce qui rend la comparaison ‘dangereuse’ (Torres, 1999). Il ne faut pas exclure aussi le fait que les aspects salutaires (facteurs de protection) et les facteurs contextuels des PME peuvent se trouver également dans les grandes organisations. Il est ainsi important de relativiser la portée de la spécificité du contexte des PME, notamment dans l’explication de la manifestation du présentéisme.

Le troisième article (article qualitatif) apporte d’autres éléments de compréhension sur le présentéisme et tente d’explorer les déterminants positifs et négatifs du présentéisme en contexte

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de PME, particulièrement dans les PE. Il a été question de confronter les résultats de notre article quantitatif aux pratiques réelles des employés afin de comprendre le présentéisme tel qu’il se manifeste sur le terrain.

Nos résultats qualitatifs s’alignent avec nos résultats quantitatifs (article #2) et montrent que le présentéisme est expliqué par des facteurs psychosociaux, notamment la demande psychologique, et par des facteurs de pressions tels que les échéances et les contraintes temporelles. En fait, lorsque l’employé a une charge de travail importante (ou des échéances à respecter) et dispose de peu de temps pour l’accomplir, il peut vivre une pression qui le force à faire le présentéisme. Cependant, le présentéisme est non seulement expliqué par des risques psychosociaux et des facteurs de pression, mais par des facteurs de motivation et d’engagement. Nous avons pu identifier six facteurs positifs (favorables) au présentéisme : (i) les valeurs personnelles et familiales, (ii) la distraction de la maladie et le bris de l’isolement social, (iii) le sentiment d’accomplissement, (iv) l’engagement envers l’organisation et envers le client, (v) le climat de travail harmonieux, et (vi) l’accommodement du propriétaire-dirigeant au travail.

Il ressort que le présentéisme est étroitement lié à la culture personnelle de l’employé. Les attitudes, les normes et les valeurs individuelles jouent un rôle important dans la décision de se rendre malade au travail. En fait, le présentéisme est un choix essentiellement motivé par des convictions et des valeurs individuelles, conformes ou pas à la culture organisationnelle. Ceci s’aligne avec l’étude de Aronson et Gustafsson (2005) qui propose d’intégrer le rôle des attitudes, des normes et des valeurs personnelles dans la décision de se rendre malade au travail. Selon les mêmes chercheurs, les normes et les valeurs sont individuelles et peuvent être différentes des normes et des valeurs partagées par la société ou par l’organisation.

Par ailleurs, les valeurs véhiculées par l’entourage familial influencent aussi le présentéisme. Ce comportement apparaît comme une conduite normative qui s’aligne avec une ‘idéologie’ répandue dans l’entourage proche de l’employé, en particulier celle des parents.

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Lorsque l’employé est exposé à la culture de présentéisme très tôt dans sa vie (ex. aller à l’école malgré la maladie), le présentéisme devient une ‘valeur en soi’ ou une ‘culture familiale’ qui se succède d’une génération à une autre (des parents aux enfants). Ceci s’aligne avec l’étude de Hansen et Andersen (2008) qui montre que la dynamique familiale est au nombre des facteurs individuels en lien avec le comportement présentéiste.

Il s’avère, également, que le présentéisme n’insinue pas systématiquement une expérience négative reflétant un certain mal-être au travail. L’aptitude à répondre positivement aux contraintes et aux exigences du travail, renforcée par le soutien des collègues et du propriétaire-dirigeant, l’engagement, les valeurs personnelles et familiales, tous atténuent l’autoperception de la maladie et aident à garder une certaine intégrité mentale et physique. Ces facteurs de motivation confèrent au présentéisme un aspect relativement « thérapeutique », spécifiquement pour les employés ayant des problèmes de santé mentale, lorsque les employés considèrent le travail comme un lieu de récupération et de guérison. Le travail serait perçu comme une sorte de distraction de la douleur, un énergisant, un générateur de contacts sociaux et un moyen de prévention contre le sentiment de solitude. Dans cette perspective, la présence au lieu du travail améliore leur bien-être, notamment mental.

Ainsi, comme le soulignent Chia and Chu (2016), l’absence de défis, la sous-charge de travail et la monotonie au travail conduiraient à l’absence de comportement présentéiste. Le présentéisme est donc le résultant d’un contexte de travail demandant mais stimulant, et le fait de démontrer une aptitude à répondre positivement à son travail, malgré la maladie, atténue la perception de stress au travail et aide à garder une certaine intégrité mentale et une estime de soi. Ceci s’aligne avec l’étude de Giaever et al. (2016), qui montre que la pratique du présentéisme s’accompagne par des remarques et propos positifs de la part des collègues et des directeurs (rémunération non économique), ceci a comme effet de promouvoir une image de

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soi positive, d’augmenter le sentiment de satisfaction au travail et de fierté pour les personnes présentéistes.

La dimension thérapeutique du présentéisme ajoute donc un angle peu étudié jusqu’à présent et qui favorise une meilleure compréhension de l’environnement de travail des PE et qui pourrait être favorable à l’amélioration de la satisfaction au travail et de la santé mentale des employés. Ceci incite à soulever le débat sur l’environnement de travail des PME, en particulier des PE, et encourage à dépasser la représentation négative et contraignante (« bleak house ») au profit d’une vision positive (« small is beautiful »). La prise en compte des deux perspectives permettrait de mieux comprendre les caractéristiques de l’environnement de travail dans les PME et leur impact sur la santé mentale et physique des employés.

En somme, la thèse nous permet de conclure que :

 Les demandes psychologiques, le faible soutien social et le déséquilibre effort-récompenses favorisent le présentéisme, qui en retour, est associé à des problèmes de santé mentale et physique;

 Certains facteurs de protection sont présents dans les PE et pourraient potentiellement expliquer la plus faible prévalence du présentéisme, comparativement aux GE;

 Le présentéisme est expliqué par des risques psychosociaux, mais également par des facteurs motivationnels positifs;

 Les PME ne sont pas forcément des « bleak house ». En fait, malgré le manque de ressources et les problèmes de GRH et de gestion de SST, les PME, particulièrement les PE, disposent d’un environnement de travail stimulant, familial et « humain », qui amène l’employé à se présenter malade;

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 Les PME ne forment pas un bloc homogène et ne sont pas forcément opposables aux grandes entreprises. La taille de l’entreprise n’est pas un facteur clé pour expliquer le comportement présentéiste des employés.

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