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Chapitre II. Cadre descriptif 38

2. Description de l’orthographe 51

2.4. Synthèse des descriptions présentées 78

De façon globale, on peut relever certaines similarités entre les systèmes graphiques de l’espagnol, du français et de l’anglais. Premièrement, dans les unités de base, un certain nombre de phonèmes se transcrivent à l’aide de graphèmes complexes (digrammes et trigrammes), par ex. esp. : noche (‘nuit’), quedar (‘rester’) ; fr. anneau, orthographe ; angl.

enough, philosophy. De plus, certains graphèmes peuvent être muets, ex. esp. le p dans

psicología (‘psychologie’), fr. le g dans poing, angl. le l dans would. D’autres graphèmes

peuvent être étymologiques, ex. esp. le h de haber (‘avoir’), fr. le p de baptême, angl. le gh de light. Deuxièmement, les trois systèmes ont un ensemble de règles qui régissent la distribution et la valeur des graphèmes, ex. esp. les deux graphèmes c dans ciencia ont la

valeur /s/; fr. le d dans doute a sa valeur phonographique de base ; angl. le h dans shepherd a la valeur zéro étant donné qu’il ne renvoie à aucun phonème. Troisièmement, ils fournissent des indications morphologiques, ex. esp. indications de genre médico (‘médecin’) vs médica (‘femme médecin’) ; fr. le t muet de abricot est un morphogramme, on peut former abricotier par dérivation (et il prend sa valeur phonographique de base) ; angl. l’alternance f ~ v pour marquer le nombre dans les paires shelf / shelves, wife / wives.

Ce chapitre clôt la présentation des éléments théoriques et descriptifs essentiels à la classification des procédés graphiques et scripturaux des trois langues à l’étude (cf. Chapitre IV). Dans une première partie, nous avons vu que plusieurs études insistent, pour reprendre les termes de Gadet (1996), sur la « fragilité de la distinction oral/écrit » dans la CMO. Ces études s’accordent sur le croisement des deux modalités, même si l’oral et l’écrit sont traditionnellement décrits comme deux modes distincts, notamment les registres (typiquement informel pour l’oral vs formel pour l’écrit), leurs propriétés physiques (par ex. les éléments typographiques d’un texte vs les éléments paralinguistiques d’une conversation : intonation, pauses, etc.) et la temporalité (en temps réel pour l’oral vs en différé pour l’écrit). En conséquence, la dichotomie traditionnnelle est remplacée par un continuum. Comme nous le verrons dans le Chapitre IV, nos résultats présentent des caractéristiques des deux modalités. Dans une deuxième partie, nous nous sommes attachée à décrire le système graphique des trois langues à l’étude ; l’objectif était de présenter un aperçu des travaux descriptifs de l’orthographe de chacune, dans le but d’établir une typologie des phénomènes graphiques et scripturaux du clavardage.

En ce qui concerne la description de notre corpus, à la manière de Lucci et Millet (1994), nous décrirons les différents phénomènes comme des « variantes », et non comme des « fautes d’orthographe ». Il ne s’agira donc pas de juger la qualité linguistique32 de notre corpus. Nous nous situons d’emblée dans la logique de Frei (1929), qui ne qualifiait

32 Voir à ce propos la publication du Conseil supérieur de la langue française du Québec Ciel! mon français! :

pas l’écart en termes d’ « incorrection », de « défaillance » ou d’ « inexactitude », c’est-à- dire comme une intolérable atteinte à la langue. Un des objectifs de son étude était de montrer que

« dans un grand nombre de cas la faute, qui a passé jusqu’à présent pour un phénomène quasi-pathologique, sert à prévenir ou à réparer les déficits du langage correct » (Frei 1929 : 19).

En établissant un système de l’erreur, l’auteur démonte avec finesse les différents mécanismes qui sont à la base des fautes en opposant la fonction à la norme. Selon la conception normative, « est correct ce qui correspond à la norme établie par la collectivité » (Frei 1929 : 18). Alors que sa conception fonctionnelle « fait dépendre la correction ou l’incorrection des faits de langage de leur degré de conformité à une fonction donnée qu’ils ont à remplir » (Frei 1929 : 18). Il s’agit de déterminer s’il n’y a pas à ces « erreurs » des explications qui tiennent au fonctionnement linguistique. Plus récemment, l’étude de Lucci et Millet (1994) s’inscrit dans la même démarche que celle de Frei. Les auteurs présentent les résultats d’une enquête sur la variation orthographique dans diverses situations d’écriture : journaux, écrits manuscrits (lettres de demande d'emploi, correspondances privées, etc.) de scripteurs « ordinaires » ou de futurs professionnels (enseignants et secrétaires en devenir). Les auteurs écartent le terme de « faute d’orthographe » auquel ils substituent celui de « variante ». Pour traiter de ces variantes, ils proposent une grille d’analyse qui, selon une première division générale, distingue les graphèmes à valeur phonétique – soit les phonogrammes – de tous les autres graphèmes qui fonctionnent « pour l’œil », c’est-à-dire ceux à valeur visuographique. Nous avons exposé dans le chapitre I les résultats de l’étude de Pierozak (2000) sur les pratiques orthographiques à l’intérieur de groupes de discussion et en situation de clavardage. L’auteure s’est servi de la dichotomie générale des graphèmes établie par Lucci et Millet (1994). Elle relève ainsi des écarts qui peuvent « s’entendre et se voir » (à valeur phonétique) et qui « se voient sans s’entendre » (à valeur visuographique). Cette manière de procéder engage une réflexion sur l’oral et l’écrit : « […] le décodage de certains écarts passe par des mécanismes qui ne sont pas (que) visuels mais proches d’une oralisation » (Pierozak 2000 : 119). L’auteure en conclut

que les pratiques orthographiques sur Internet présentent surtout des caractéristiques d’ordre visuographique (les écarts qui se voient sans s’entendre), par exemple les écarts relevant de l’icône et/ou du symbole ou ceux relevant de productions plus ou moins phonétisantes (cf. Tableau 3, Chapitre I).

Dans le prochain chapitre, nous présentons la méthodologie employée pour arriver à la description des phénomènes graphiques et scripturaux dans les salons de clavardage dans les trois langues à l’étude et dans les deux groupes générationnels.