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Chapitre 6 : Discussion générale

1. Synthèse des résultats principaux

DISCUSSION GÉNÉRALE

1. Synthèse des résultats principaux

Evolution tectono-magmatique de l’Afar Central

Notre travail de cartographie de détail de deux zones clefs en Afar Central a permis de montrer que ce segment de rift ne correspondait pas à une succession de « bassins » volcaniques de plus en plus jeune vers l’axe (comme proposé par

Wolfenden et al. (2005)), mais en réalité à une succession depuis les plateaux

éthiopiens jusqu’à l’axe de Manda Hararo de blocs de plus en plus basculés (flexure d’Arabati) jusqu’à des blocs hyper-basculés (60°) en partie plus distale (Sullu Adu). La vergence de ces blocs basculés est toujours en direction du centre du rift, ce qui est caractéristique des marges volcaniques. La datation de ces blocs basculés a mis en évidence la présence des Trapps pré-rift à la base de certains de ces blocs. Cela montre que les volumes de magma émis sont beaucoup moins importants que prévus sur les bords de l'Afar Central (car les séries volcaniques au dessus des trapps sont très fines), et que la croûte est étirée de façon importante, et pas seulement flexurée (Stab et al., in press).

L’observation de discordances angulaires synchrones à la fois en position proximale (Arabati) et distale (Sullu Adu), d’amplitudes comparables montre que la déformation en surface s’accommode depuis la fin de l’Oligocène et pendant le Miocène sur de larges zones, de façon diffuse. C’est donc un ‘wide rift’ magmatique pendant cette période, au sens où la zone de déformation de surface excède l’épaisseur de la lithosphère (e.g. Buck, 1991). Ce mode d’extension commence à 29-26 Ma avec une première phase extensive qui affecte les Trapps avant la mise en place des séries Miocène. La datations des laves post-Trapps au sein des blocs basculés a Arabati et Sullu Adu montre met en évidence une mise en place entre 24-7 Ma. Celles-ci sont basculées en même temps par une phase d’amincissement crustal à 7-5 Ma, elle est aussi très distribuée, qui signe la fin du mode d’extension « wide rift ». Cette seconde phase pré-date la série Stratoïde, puisqu’elle n’affecte pas les basaltes supérieurs de Sullu Adu datés entre 4.5-4 Ma. Le premier marqueur de la localisation de la déformation en surface est la mise en place des Gulf Basalts, qui sont associées à de grandes failles à pendage sud-ouest et bordent les axes actifs de Manda Hararo et Tat’Ale. Ceci se produit à ~1.1 Ma, plus tôt que la formation desdits axes actifs.

Nous avons caractérisé avec précision les phases extensives en Afar Central, en calculant les taux d’extension (ß) associés à chaque étape. Pour ce faire, nous avons

utilisé un modèle d’extension polyphasé (polyphase faulting) qui permet de reproduire les structures observées en surface en respectant le pendage des failles vers le continent, caractéristiques de l’Afar. Nous avons montré que c’est après la seconde phase que la croûte a été amincie jusqu’à son épaisseur actuelle –précisément parce que le taux d’extension exprimé est dès lors maximal. Elle est également synchrone du développement de la flexure observée sur la marge topographique de l’Afar. Cela précise le lien entre les flexures continentales observées à d’autres endroits et l’amincissement crustal.

Ce travail de détermination de la chronologie des événements tectoniques et magmatiques en surface nous permet de produire une coupe équilibrée synthétique de l’Afar Central afin d’examiner le lien entre amincissement et extension en surface – ce qui constitue la première tentative de la sorte à ce jour. L’équilibrage de cette coupe synthétique implique la présence de volume de croûte additionnelle, que nous proposons être de nature mafique, sous-plaquée pendant le rifting. En effet, la croûte continentale sous l’Afar Central est épaisse, malgré d’importants taux d’extension en surface (ß = 3). Il nous semble de plus que notre étude constitue le premier essai de détermination quantitative de ce phénomène. La présence d’important volumes de nature mafique sous plaqués et/ou intrudés dans la croûte est cohérent avec la dominance de laves siliceuses en surface ; l’éruption d’un volume donné de rhyolites et d’ignimbrites requiert en effet la présence de presque un ordre de grandeur supplémentaire de cumulat gabbroïque sous-plaqué ou injecté (Cox, 1993). L’équilibrage de la coupe de l’Afar Central requiert également que ce sous-placage soit préférentiellement distribué là où la croûte a été préférentiellement amincie.

L’extension crustale est accommodée de façon diffuse à la surface, alors qu’il semble y avoir un necking en profondeur (Reed et al., 2014). Le jeu de détachements en profondeur pourrait expliquer une telle différence de distribution. La présence de ces détachements (que nous supposons être actifs à la transition cassant-ductile) est compatible avec le fait que les failles que l’on a déterminé en cartographie ont toutes une orientation similaire (i.e. pendage vers le continent), suggérant un sens de cisaillement unique « top-vers-le-SW ».

Evolution des régimes de fusion du manteau au cours de l’extension

Nos nouvelles mesure isotopiques Sr-Nd-Pb des laves d’Afar Central, intégrées dans une base de données régionale des laves Miocène et Pliocène nous ont permis de clarifier l’évolution des sources du magmatisme au cours de l’extension. Nous avons montré que l’ensemble des basaltes mis en place en Afar Central depuis l’Oligocène a une signature isotopique qui correspond à celle des Trapps HT2, modulée à des degrés mineurs par une composante de contamination crustale. Cela montre que c’est le même matériel mantellique qui est chenalisé sous l’Afar Central depuis l’Oligocène. En revanche, les autres segments de l’Afar (l’Erta’Ale et Assal) ont enregistré une

signature isotopique qui traduit encore une interaction avec le manteau lithosphérique originel (Pik et al., in prep).

Une fois la source du volcanisme pré-rift et syn-rift en Afar Central identifiée, nous avons pu réinterpréter les variations de compositions enregistrées par les liquides émis en surface comme résultant d’une évolution du régime mantellique, c’est-à-dire, de la profondeur (P) et du taux de fusion partielle (F). A cette fin, nous avons enrichi la base de donnée géochimique existante dans la littérature de nouvelles mesures, notamment des laves émises au début de l’extension à 25 Ma et de la série Stratoïde – qui constituaient les jalons manquants dans les modèles d’évolution du manteau antérieurs. Nous avons utilisé une méthode de correction des données qui permet de s’affranchir de l’effet de la cristallisation fractionnée des liquides magmatiques dans la croûte (qui a pour effet de modifier les compositions élémentaires indépendamment de P et F). La nouveauté de notre approche réside dans le fait que nous avons appliqué cette correction aux éléments traces comme aux majeurs, ce qui est rarement réalisé dans la littérature.

Nos données corrigées montrent que l’évolution des profondeurs et taux de fusion est liée aux phases tectoniques enregistrées par la croûte (Stab et al., in prep-a). Le manteau sous l’Afar a été brutalement aminci pendant la mise en place des Trapps avant le début de l’extension crustale. En effet, les Trapps sont issus de la fusion d’un manteau profond (~5 GPa), soumis à une importante température potentielle (~1600°C) de type point chaud.

Après le début de l’extension crustale, le manteau aminci est progressivement refroidi et la zone de fusion partielle chenalisée sous le rift. Les basaltes de Dessié, première formation à être mise en place après le début du rifting à 25 Ma, enregistrent en effet des conditions de pression de fusion partielle réduites. Ce régime magmatique dure jusqu’à la phase d’amincissement crustal (évoquée plus haut) entre 7 et 5 Ma. Il est associé à la mise en place en surface de faibles volumes de laves différentiées sur la partie Ouest de l’Afar Central tandis qu’à Djibouti, les séries des basaltes du Dahla atteignent des épaisseurs de l’ordre du kilomètre localement.

L’amincissement crustal que nous avons mis en évidence en Afar Central est vraisemblablement concomitant d’une phase d’amincissement lithosphérique qui a lieu après la mise en place du Dahla (7 Ma) et juste avant l’éruption de la série Stratoïde (4 Ma). En effet, la série Stratoïde enregistre un signal d’amincissement lithosphérique prononcé, traduit par une anti-corrélation entre les proxies de taux et de profondeur de fusion partielle, où « lid effect ». Cela met en évidence un lien contingent entre l’amincissement crustal d’une part, et l’amincissement lithosphérique d’autre part. Ce dernier semble de plus avoir été une condition préalable à la mise en place de ce second pulse de flood basalts. Ainsi, bien que le manteau lithosphérique ait été passivement refroidi, son amincissement a certainement permis de générer les volumes de laves massifs de la série Stratoïde via des processus de décompression.

La phase crustale de localisation post-Stratoïde évoquée plus haut est coïncidente avec une ré-augmentation de la température potentielle du manteau (TP

>1500°C) et un ré-approfondissement de la colonne de fusion à l’époque de la mise en place des Gulf Basalts puis des axes actifs. Cela suggère l’existence d’une « queue de panache » fortement chenalisée et localisée (du fait de sa température élevée), qui vient réalimenter la future marge volcanique après que le manteau lithosphérique sous-jacent ait été pratiquement éliminé. Il est possible que cette queue de panache se soit mise en place du fait du précédent épisode de décompression : les mouvements ascendants dans l’asthénosphère lors de l’éruption de la série Stratoïde ont pu « tirer » ce qui restait de la queue du panache, laquelle commencerait à fondre en affectant préférentiellement les zones du rift les plus faibles, potentiellement celles qui avaient été les plus amincis et sous-plaquées. Cette anomalie est absente de sous le Main Ethiopian Rift, dont le manteau est plus froid et est affecté de taux de fusion moindres.

Influence de la segmentation des rifts sur le magmatisme et l’extension

Nous avons mis en évidence une distribution hétérogène dans l’espace et dans le temps du magmatisme et de la déformation, notamment entre les segments d’Afar Central, de l’Erta’Ale (chapitre 3) et du Main Ethiopian Rift (chapitre 4). Nous suggérions un contrôle possible de la segmentation sur les différences d’accommodation de la divergence depuis le début du rifting, et potentiellement jusqu’au break-up dans le chapitre 3 ; Mais peut-être aussi sur le magmatisme et l’amincissement lithosphérique dans le chapitre 4. Afin de tester ces hypothèses, nous avons mené une étude structurale régionale de l’Afar, la Mer Rouge et du Golfe d’Aden afin de préciser le rôle de ces grandes zones transformantes dans la structuration du rift et la distribution des SDR (Stab et al., in prep-b). Nous avons intégré l’interprétation de coupes sismiques des marges continentales en Sud Mer Rouge et dans le Golfe d’Aden à une revue bibliographique de l’histoire de l’extension régionale. Nous avons mis en lumière que la zone transformante qui sépare l’Afar Central du segment Erta’Ale (Erta’Ale-Alayta transform zone) avait une prolongation en Mer Rouge. Celle-ci sépare une zone tectonisée au Nord, où les sédiments syn-rift fluviatiles d’âge 27-23 Ma sont basculés par des failles normales, d’un bassin de type « sag » au Sud, où ces mêmes sédiments ne sont pas perturbés par la tectonique. Plus à l’Est, dans le Golfe d’Aden, nous montrons qu’une deuxième zone transformante majeure Shukra-El-Sheik, contrôle la répartition spatiale de SDR syn-tectoniques. Ces deux zones transformantes ont donc un impact non seulement sur la propagation du break-up en Mer Rouge et dans le Golfe d’Aden, mais sont actives depuis le début de l’extension. Elles séparent des zones où l’extension s’est accommodée de façon localisée (Mer Rouge, Golfe d’Aden) et où se sont mis en place des prismes de SDR syn-tectoniques et probablement syn-amincissement, d’une zone intermédiaire (Afar Central / bassin sag) où au contraire, la majeure partie du

volcanisme syn-rift se met en place à la suite d’une phase d’amincissement majeure, distribuée sur une zone plus diffuse.

2. Accommodation de la déformation et signification du