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Nous allons maintenant faire le point sur l’état d’avancement de la recherche sur le thème dans lequel s’inscrit le projet PaysBlé : la sélection participative et paysanne du blé.

Espèces Grains Niveau de ploïdie Blé tendre ou froment

(Triticum aestivum L. subsp. aestivum) nus 6x

Epeautre

(Triticum aestivum L. subsp. spelta) vêtus 6x

Blé dur

(Triticum turgidum L. subsp. durum) nus 4x

Blé poulard

(Triticum turgidum L. subsp. turgidum) nus 4x

Amidonnier

(Triticum turgidum L. subsp. dicoccum) vêtus 4x

Engrain ou petit épeautre

(Triticum monococcum L. subsp. monococcum) vêtus 2x Tableau 3 : Espèces de blé qui ont ou ont été cultivées en France

Cela permettra également de présenter un certain nombre de notions indispensables à la bonne compréhension du rapport.

1.3.1 - Histoire du blé et de son amélioration (DORÉ C. et VAROQUAUX F, 2006 ; Réseau Semences Paysannes, 2008)

Il semble tout d’abord utile de savoir quelle est l’histoire du blé et où en est aujourd’hui l’amélioration variétale. Le blé a été cultivé depuis le tout début de l’agriculture au 10ème millénaire av. J.-C. Le terme de « blé » regroupe en réalité différentes espèces de poacées du genre Triticum. L’histoire du blé est extrêmement complexe, elle est faite de sélection, de croisements naturels entre espèces voire entre genre différents avec des blés domestiques et/ou sauvages. La figure 3 décrit la généalogie simplifiée des blés. Ces croisements interspécifiques apparus spontanément dans les champs, puis sélectionnés par les paysans, ont permis l’apparition de nouvelles espèces ayant un niveau de ploïdie croissant par addition des génomes. Le tableau 3 présente les espèces qui ont ou ont été cultivées en France. La sélection d’espèces aux grains nus est une étape importante car cela évite le décorticage et les grains nus occupent une place trois fois moins importante.

Pendant des siècles, chaque paysan ressemait une partie de sa récolte et éventuellement sélectionnait les meilleurs épis selon ses propres critères. Cela a entrainé la création de milliers de variétés de blé ayant des caractéristiques parfois très différentes. Ces blés sont appelés « blés de pays » du fait que chaque région, chaque village, chaque paysan pouvait posséder sa propre variété, adaptée à son terroir spécifique. Ces variétés sont des populations plus ou moins hétérogènes. On parle également de « variétés populations ».

C’est à partir du 19ème siècle qu’a commencé la sélection du blé par des sélectionneurs afin d’augmenter les rendements et de diminuer la sensibilité aux maladies et à la verse. De nouvelles variétés sont obtenues en sélectionnant le meilleur épi dans un champ de blé et en épurant sa descendance pendant environ 10 ans. Une autre technique est de faire la même chose en partant du croisement de deux variétés dont les avantages sont complémentaires.

L’étape suivante commence à partir de 1940 et consiste à adapter le blé à la transformation industrielle et à une agriculture chimique plus intensive. On obtient alors des variétés nettement plus basses par croisement avec des blés nains. Les variétés deviennent alors beaucoup plus résistantes à la verse, sont plus faciles à récolter mécaniquement et produisent une proportion de grains plus importante que la paille par rapport aux « blés anciens ». Des croisements avec d’autres variétés, espèces ou genres cultivés ou sauvages sont réalisés pour intégrer des gènes de résistance aux maladies. Les variétés sont sélectionnées pour valoriser au mieux les intrants chimiques. Elle font des rendements bien plus importants

mais au détriment du taux de protéines et de certains minéraux. Enfin, on a sélectionné des blés ayant des glutens à la fois très élastiques et très résistants adaptés à la panification industrielle. Ces glutens « technologiques » sont suspectés d’être à l’origine d’allergies et d’intolérances. Ces transformations ont été permises par la forte progression des connaissances en génétique qui apportent de nombreuses techniques utilisées en laboratoire pour créer les variétés possédant les gènes voulus. Ces blés sont appelés « variétés modernes » et sont des variétés de type lignée pure sélectionnés pour l’agriculture intensive.

Il n’y a pas de frontière nette entre variétés modernes et variétés anciennes mais on considère souvent que les variétés sont « modernes » à partir du moment où elles possèdent les gènes de nanisme. Les « blés de pays » sont devenus minoritaire dès 1920 mais ne disparaissent totalement des champs que vers 1980. Voyant ces variétés disparaître, les sélectionneurs, pour qui elles sont des ressources génétiques de base, tentent de les sauvegarder. Ainsi, en 1968 et 1969, un chercheur de l’INRA de Rennes (Gérard Doussinault) a collecté plus de 400 variétés autour de la commune de Redon en Ille-et-Vilaine. Environ 330 variétés de ces « blés de Redon » sont encore conservées dans la banque de graines de l’INRA de Clermont-Ferrand.

1.3.2 – La sélection paysanne

Avec les variétés modernes, la création et l’amélioration variétale devient alors la chasse gardée des généticiens et semenciers. Cela s’explique d’une part par le fait que les techniques ne sont plus accessibles aux paysans et d’autre part par une législation sur les semences, comme nous le verrons plus bas, qui favorise ce système. C’est dans ce contexte qu’apparaît en 2003 le Réseau Semences Paysannes. Ce mouvement paysan est la conséquence d’une longue démarche syndicale et militante, qui s’inscrit dans une logique plus générale de recherche de modèles alternatifs en rupture avec l’agriculture productiviste des « trente glorieuses », pendant lesquelles s’est opérée une professionnalisation quasi-absolue des activités de génétiques végétales. Il rassemble organisations et associations d’agriculteurs, qui revendiquent le titre de « paysan » comme symbole fort de leur opposition à l’image d’ « exploitant agricole » vu comme un « simple maillon dans une filière longue et exploitant une nature objet » (Bonneuil & Demeulenaere, 2007). Ces paysans jugent les variétés modernes et les méthodes de sélection inadaptée à une agriculture paysanne ou biologique (Demeulenaere & Bonneuil, 2010). Ils militent par conséquent pour la réappropriation des semences par les agriculteurs et réclament le droit de ressemer le fruit de leurs récoltes.

Cela serait également une solution pour la conservation évolutive de la diversité variétale, considérée comme bien plus efficace in-situ (à la ferme) qu’ex-situ (dans les

Figure 5 : Principe de la sélection massale (Véronique Chable)

Figure 6 : Recensement des différentes initiatives de sélection participative en France en 2009 (Véronique Chable)

banques de graines). Ils proposent ainsi d’évoluer vers une « sélection paysanne » des variétés (figure 4). Celle-ci repose sur des techniques accessibles aux paysans comme la sélection massale (figure 5) et elle a des objectifs différents voire opposés à la sélection classique : rechercher une diversité génétique au sein des variétés pour une meilleur adaptabilité à chaque terroir ou encore des pailles hautes pour concurrencer les adventices. 1.3.3 - La recherche sur ce sujet

Afin de faire progresser les connaissances sur ce sujet, des projets de recherche (sur la sélection ou d’autres thématiques) sont en cours, menés principalement par des chercheurs de l’INRA et de manière participative, c’est-à-dire que les agriculteurs peuvent y prendre part en tant qu’acteurs à part entière. Cette « sélection ou recherche participative » peut être définie comme un « dispositif de création variétale où l’agriculteur est acteur de la sélection dans un réseau de collaboration avec une ou des structures de recherche privée ou publique » (CHABLE V., 2011, communication personnelle). Depuis environ 20 ans ont émergé de nombreuses initiatives de ce type dans le monde. La figure 6 résume les différents travaux en sélection participative existant en France en 2009. Les groupes qui mènent les essais sont des chambres d’agriculture, des CIVAM, des Groupes d’Agriculteurs Biologiques (GAB) ou des associations en collaboration plus ou moins étroite avec des organismes de recherche comme l’INRA. Un des plus ambitieux a été le projet européen « FarmSeedOpportunities – Sélection conservatrice, amélioration génétique et production des semences » qui s’est déroulé de 2007 à 2009 dans 3 pays (France, Italie et Pays-Bas). Les résultats de ce projet ont mis en évidence que les variétés paysannes observées dans 8 fermes en condition d’agriculture biologique n’étaient en général pas plus hétérogènes que les variétés modernes inscrites au catalogue, du moins en ce qui concerne les caractéristiques des épis (nombre de grains par épi, poids de 1000 grains, longueur de l’épi…). Cela n’est pas le cas pour la hauteur de la plante qui était très homogène pour les variétés modernes contrairement aux variétés paysannes. De plus, ces essais ont montré des variétés paysannes pouvaient présenter un grand intérêt même lorsqu’elles étaient sorties de leur zone d’origine (Rouge de Bordeaux aux Pays-Bas par exemple) révélant une grande souplesse d’adaptation (Golringer I. et al., 2010). Il reste maintenant à savoir quelles pratiques agronomiques mettre en œuvre pour cultiver les variétés paysannes selon les différents terroirs et sur quels critères ces variétés sont susceptibles d’évoluer. PaysBlé est également un projet de recherche participative et s’inscrit dans la suite de FSO à un échelon plus local.

DHS : La variété doit être Distincte, Homogène et Stable d’après des critères morphologiques définis.

-Distincte : la variété doit être différente de celles déjà inscrites au catalogue officiel

-Homogène : Tous les individus doivent être identiques (tolérance d’un très faible pourcentage de « hors types » = les plus petits, plus grands, plus précoces, plus tardifs, plus foncés, …)

-Stable : le semencier doit pratiquer une sélection conservatrice (élimination des hors types) sur la variété (ou sur les parents s’il s’agit d’un hybride) afin que la culture issue de la semence commerciale (certifiée) reste identique à la description morphologique de la variété inscrite au fil du temps et selon les lieux de culture.

VAT : La variété doit également passer le test des Valeurs Agronomiques et Technologiques. Chaque variété est cultivée en conditions très intensives (3 à 4 apports d’ammonitrate, 7 à 10 traitements pesticides) pour être comparée aux « meilleures » variétés déjà inscrites (témoins) sur le rendement en grain, la qualité technologique du grain (protéines, force boulangère) et les caractéristiques agronomiques (précocité, verse, résistance aux maladies, …).

1.3.4 - Contexte législatif

La recherche sur ce sujet ne peut être comprise qu’en ayant connaissance du contexte législatif concernant les semences et leur diffusion. Celui-ci est très complexe et contient de grandes incertitudes quant à l’interprétation de la loi. Pour les variétés modernes de légumes, maïs, soja ou tournesol vendues par les semenciers, la loi interdit de ressemer la récolte. Cela est possible pour le blé (on parle de semences de ferme) mais à condition de s’affranchir d’une taxe appelée Contribution Volontaire Obligatoire (CVO) qui a été mise en place pour payer des royalties (0,50 €/T) aux obtenteurs. La revente des semences par les agriculteurs est par contre interdite.

Pour les variétés paysannes, les agriculteurs peuvent ressemer leurs grains sans aucune restriction. La récolte issue de ces variétés peut également être vendue car on peut toujours vendre sa récolte, quel que soit la provenance des semences à partir desquelles elle a été obtenue. En revanche, la vente, l’échange ou le don de semences de variétés paysannes est interdit. Il est cependant autorisé en petite quantité dans le cadre de la recherche.

Pour pouvoir vendre des semences, deux choses sont nécessaires :

La variété doit être inscrite au catalogue officiel des variétés. Pour cela elle doit passer une série de tests assez coûteux : DHS et VAT (figure 7). Pour être inscrite, une nouvelle variété doit surpasser les autres sur au moins un de ces critères agronomiques et technologiques.

La production de semences doit être certifiée. Pour que les semences soient certifiées, il faut être agréé en tant qu’entreprise semencière par le GNIS (Groupement National Interprofessionnel de Semences et plants) et se soumettre à différents contrôles tout au long de la production de semences.

Un premier problème qui empêche les paysans d’être certifiés « entreprise semencière » par le GNIS est le coût, prohibitif pour de petites structures comme les leurs. De plus, les critères DHS sont totalement inadaptées aux variétés paysannes qui par nature ne sont ni homogènes, ni stables. De même pour les critères VAT qui ne testent les variétés qu’en condition d’agriculture intensive et de transformation industrielle.

La législation tend cependant à évoluer et un des objectifs de FSO était d’ailleurs d’apporter des recommandations réglementaires à ce sujet car les recherches dans ce domaine sont toujours très liées à la situation législative.

1.4 - Problématique

La première étape du projet PaysBlé a permis de multiplier les semences de variétés paysannes identifiées comme intéressantes à cultiver dans l’Ouest de la France ainsi que de construire de manière participative un protocole d’essai pour cultiver des variétés de type génétique différent afin de les observer dans différents environnements. Nous pouvons maintenant les comparer à une variété moderne témoin afin d’identifier les avantages de ces variétés paysannes mais également les critères sur lesquels devront porter les futures sélections. Ces variétés doivent être cultivées dans des environnements différents afin d’identifier à quels types de terroirs elles sont le plus adaptées. Enfin la comparaison avec une variété moderne permettra de caractériser l’interaction entre la variété et le milieu. Nous essaierons de répondre aux questions suivantes :

Quelles sont les différences de comportement entre des variétés paysannes et une variété moderne témoin dans différents environnements dans le but de donner des pistes aux agriculteurs dans leurs choix de variétés et pratiques agronomiques ?

Quelles sont les différences entre les 3 variétés testées ? Pour chaque environnement, quelles sont leurs caractéristiques ? Quelle est l’influence des conditions-pédoclimatiques et des pratiques culturales sur chacune des variétés ? Sur quelles composantes se font les éventuelles différences de rendement ? Quelles conséquences ont les différences morphologiques entre ces variétés ?

D’après les résultats des recherches précédentes et le témoignage des agriculteurs, nous pouvons émettre certaines hypothèses :

1) Les variétés paysannes valorisent mieux les sols pauvres et les conditions difficiles que les variétés modernes

2) Les variétés paysannes ont des rendements plus stables que les variétés modernes

3) La taille des variétés paysannes est plus hétérogène que celle des variétés modernes

Parcelle expérimentale Mélange modalité 2 Renan témoin Sixt/Aff modalité 1 Mélange modalité 2 Renan témoin Sixt/Aff modalité 1 S > 100 m² 2,5 à 3 m (Largeur du semoir) Ajustement pour obtenir S > 100 m²

1ère répétition 2ème répétition

Dispositif expérimental se trouvant dans une parcelle de blé tendre de l’agriculteur Figure 8 : Localisation des 6 agriculteurs du réseau d’essais

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