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IV. Effets indésirables cutanés et prise en charge

5. Syndrome de Stevens Johnson (SSJ) et nécrose épidermique toxique (NET)

5.1. Introduction

Le SSJ et la NET (syndrome de Lyell) sont des effets indésirables graves et potentiellement mortels. Ensemble, ils représentent des entités distinctes le long du spectre d’une seule maladie, la nécrose épidermique (3). Ces deux entités se distinguent sur la base de la surface totale corporelle impliquée (30).

La NET est une situation très rare mais qui représente une urgence vitale, avec une mortalité estimée à 30 % (5). Par définition, elle correspond à un décollement d’au moins 30% de la surface corporelle, et le SSJ à une atteinte de moins de 10% de la surface corporelle (5).

Ainsi, un chevauchement du SSJ et de la NET se produit quand 11 à 29 % de la surface corporelle est impliquée (30). L’incidence du SSJ et de la NET est respectivement de 1,2 à 6 et de 0,4 à 1,2 cas par million de personnes (30). La mortalité, qui dépend de l’extension du décollement épidermique, est compris entre 1 et 5 % dans le SSJ et jusqu’à 35 % dans la NET (30).

La physiopathologie sous-jacente de cette réaction semble être une réponse d’origine immunitaire impliquant les cellules T cytotoxiques et les macrophages (30). La nécrose des kératinocytes pourrait être le résultat direct de l’augmentation de l’activité de la voie du ligand Fas (régulateur des réponses immunes et apoptotiques, appartenant à la famille du TNF, Facteur de Nécrose Tumoral), de la perforine (protéine cytolytique sécrétée par les lymphocytes T CD8 et les lymphocytes NK), de la granzyme B (sérine protéase cytotoxique induisant l’apoptose des cellules cibles des lymphocytes NK et T CD8 cytotoxiques) et de la granulysine.

5.2.Présentation clinique

La NET est le reflet d’une nécrose kératocytaire diffuse, par mécanisme d’apoptose médiée (5). Elle apparait en moyenne six à quatorze jours après l’introduction du traitement responsable (5).

Il y a souvent une période prodromale avec des symptômes grippaux suivie de l’apparition du rash (3). La lésion typique du SSJ et de la NET est une lésion cible ou

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macules purpuriques avec un centre nécrotique (30). Le signe cardinal est la présence d’un décollement cutané, recherché par le signe de Nikolsky (l’épiderme se détache lorsque l’on passe le doigt de façon appuyée sur la peau du patient), le plus souvent associé à une atteinte muqueuse (5).

Les lésions initiales apparaissent typiquement sur le visage, le tronc supérieur et les extrémités comme des macules érythémateuses rouge sombre avec une coalescence. Un prurit peut être associé. Quand l’épiderme se détache du derme sous-jacent, des ampoules molles sont produites (30). La peau sus-jacente va se dissiper et causer des érosions, donnant un aspect de linge ou de papier à cigare mouillé. La progression de la nécrose résulte du détachement dermique et épidermique.

Un érythème douloureux diffus, des signes généraux et une fièvre élevée complètent le tableau (5). On peut observer des lésions cutanées en cocarde (5).

Les lésions peuvent rester limitées à cet exanthème, mais il faut rechercher de façon systématique les signes précurseurs évoquant une forme plus grave : exanthème diffus, sombre, purpurique, avec douleurs cutanées, un œdème facial, la présence de vésicules, bulles ou pustules, une atteinte muqueuse (bulles, érosions) buccale, ophtalmologique, génitale, de la fièvre parfois très élevée, des adénopathies périphériques, des stigmates biologiques tel qu’une neutrophilie, hyperéosinophilie, cytolyse hépatique… (5). En effet, la muqueuse des yeux, de l’oropharynx, et des régions pulmonaires et gastro-intestinales, comme les organes génitaux, peuvent être impliqués (30) chez plus de 90% des patients (niveau oral, oculaire et génital) (3).

Une défaillance multiviscérale s’associe assez rapidement au tableau dermatologique, avec un risque élevé de sepsis (5).

Le diagnostic clinique peut être confirmé par biopsies, qui montre une apoptose diffuse des kératinocytes et une nécrose épidermique de grosse épaisseur (30).

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Figure 20. Aspect précoce de nécrolyse épidermique : bulles et couleur ardoisée, d'après Jean-Claude Roujeau

Figure 21. Aspect caractéristique de décollement de l'épiderme nécrosé, d'après Jean-Claude Rousseau

5.3.Molécules inductrices

Souvent, les éléments déclencheurs pour le SSJ sont les médicaments, suivis des infections, vaccinations et de la maladie du greffon contre l’hôte (30). La plupart des cas de NET sont présumés dû aux médicaments (5). Les médicaments sont considérés comme le facteur étiologique le plus important et causent jusqu’à 80 % des cas de SSJ et NET (3).

Cependant, l’association entre SSJ/NET et les thérapies anticancéreuses, incluant les cytotoxiques conventionnels et les thérapies ciblées, n’a pas été clairement établie (3).

Les médicaments les plus mis en cause pour ces deux effets sont l’allopurinol, les antibiotiques sulfamides (trimethoprime-sulfamethoxazole) mais aussi les pénicillines et

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quinolones, les anti-inflammatoires non stéroïdiens (oxicams) et les anticonvulsivants (phenytoine, phenobarbital) (5,30).

Les anticancéreux impliqués dans ces désordres incluent les anticorps monoclonaux, les antimétabolites et les agents alkylants (30). Les médicaments associés à plus d’un cas de SSJ incluent l’imatinib, docetaxel, methotrexate et bleomycine (3). Le chlorambucil a été associé à trois cas de NET, tandis que la cytarabine, gemcitabine, methotrexate et thalidomide ont été chacun associés à deux cas de NET (3).

D’autres chimiothérapies ont été recensées pour ce type d’effet indésirable comme le busulfan, fludarabine, procarbazine, benmustine, procarbazine, vincristine, permetrexed… (Liste non exhaustive).

Récemment, des cas de toxidermies graves ont également été rapportés avec certaines thérapies ciblées : imatinib, inhibiteurs de BRAF (vémurafénib, dabrafénib), sunitinib… (5).

5.4.Prise en charge et conseils

En oncologie également, la possibilité d’une toxidermie sévère ou grave doit être évoquée de façon systématique devant toute éruption cutanée d’origine médicamenteuse (5).

Devant toute suspicion de toxidermie sévère, l’arrêt immédiat du ou des médicaments suspectés est indispensable. Le patient doit également être adressé en urgence en milieu

hospitalier spécialisé, l’aggravation des lésions pouvant être très rapide (5). Une prise en

charge symptomatique avec mesures de réanimation peut être nécessaire, tout comme le traitement des érosions diffuses cutanées (parfois en unité des grands brûlés) (5).

Bien que les incidences de SSJ et de la NET sont rares, la nature mortelle et le besoin immédiat de soins de support nécessitent que tous les oncologues et les dermatologues soient conscients que les thérapies anticancéreuses peuvent être associées à ces réactions (3). Les stratégies de prise en charge dépendent de la sévérité des cas mais incluent des

corticostéroïdes, des immunoglobulines intraveineuses et/ou des antibiotiques (3).

Cependant, l’utilisation des corticostéroïdes est controversée et a été associée à une augmentation du risque d’infection (30). Chaque équipe spécialisée décidera de la démarche à suivre selon le cas.

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Fournir d’excellents soins des plaies et maintenir l’euvolémie est essentiel (30). Une administration d’immunoglobulines intraveineuse (plus de 2 à 3 g/kg durant cinq jours) a montré une décroissance de la mortalité chez ces patients (30).

La réintroduction du traitement inducteur doit être considérée comme une contre- indication absolue (5). Une déclaration officielle de pharmacovigilance doit être réalisée.