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ANALYSES DU CORPUS

3.2 SUR LA PLAGE OU L'INDICE

3.2.4.2 La symbolique Indicielle

A ce stade, nous pouvons voir que, en plus d'être iconique et indiciaire, la représentation symbolise une idée: une gestualité signifiante qui n'est telle que dans une culture déterminée, parce que codée par un savoir, une technique, des valeurs morales et juridiques, etc. Les principaux signes-éléments ayant été soumis à 1 ' interpréta­ tion jusqu'ici, soient les personnages, nous ont montré que

les rapports qu'ils entretiennent entre eux à partir des signes visibles -iconiques et indiciels à différents degrés- ont permis d'établir "visuellement" qu'il y a eu échanges. Puis les signes marques et manques -principale­ ment les indices- ont permis de créer les rapports "virtuels" tenant de la déduction. La déduction s'est faite à partir de 1'interprétant final, relevant de codes

culturels et du niveau de connaissance que peut avoir 11 interprète quant à l'action représentée visuellement. D'où la notion non-iconique et non-indicielle de "voyeuris­ me" qui pourtant fait partie intégrante de la représenta­ tion. Par ailleurs, le lieu même où se déroule la scène de voyeurisme se spécifie en une projection symbolique de schèmes corporels et gestuels, constituant une grammaire culturelle Inconsciemment Inculquée et incorporée, par laquelle l'espace qui l'entoure est finement modelé.

L'architecture signifiante

Le signe-élément édifice, dans le coin supérieur gauche, peut faire penser -interprétant premier et en même temps habitude acquise- aux grands hôtels longeant les plages des stations touristiques du sud. Le motif architectural est un signe visible établissant un rapport entre le titre et l'image. En effet, comme il n'y a ni mer ni sable, en dehors du titre, rien ne nous indique l'endroit où la scène se déroule: le voyeurisme se pratique partout. Par ailleurs, cet édifice d'architecture typique des grandes villes agit comme négation de la nature, donc contraste avec la nudité des femmes: l'exhibitionnisme étant interdit dans un espace extérieur urbain, on est amené à penser que la scène se déroule dans la nature. Or aucun élément de la nature -arbre, herbe, oiseau, mer, etc...- n'apparaît dans la représentation. Ces absences agissent comme signes-manques indiciels aussi signifiants que les signes-marques visibles.

Le rapport présence/absence des éléments signi­ fiants suggère des énoncés hypothétiques au regardeur, donc des interprétants possibles. Ainsi, étant des signes qui suggèrent, un effort mental est requis chez l'interprète pour arriver à la signification, partant de l'abduction à

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la déduction, en passant par 1*Induction. De plus, ce motif architectural propose un niveau supplémentaire de symbolisme, en ce sens que c'est "par habitude acquise", par convention, que nous sommes en mesure de reconnaître que les plages du sud offrent un tel service hôtelier à leurs visiteurs. Il s'agit en fait d'une interprétation terre-à-terre d'un motif possédant la même qualité: les lignes droites se coupant perpendiculairement qui forment le carrelage du mur de briques contrastent manifestement avec les Innombrables courbes définissant le dessin de tous les autres motifs semi-iconiques de la représentation. Alors que le mouvement des lignes courbes donne vie aux personnages, indices justement de leur nature d'êtres vivants, la construction géométrique de l'architecture freine ce mouvement par l'inertie participant de sa fonction même d'être solide et stable. Par ailleurs, le mur de briques, en coupant l'espace de par sa fonction même de "limite", annihile l'impression de liberté qu'inspirent la mer et les grands espaces naturels et ramène la composition à sa dimensionalité et à la distance proxémi- que .

3.2.4.3 Vecteurs: indices

Un élément demeurait non-identifié lors de la description de l'image: le motif linéaire apparaissant au coin inférieur gauche. Nous avons vu que les effets de texture, l'acharnement du peintre A travailler de façon presque maniaque la totalité de la surface picturale, créent un espace topologique et une distance proxémique dans le tableau. Nous verrons maintenant comment cette figure linéaire tend à s'opposer A ce type d'espace. Premièrement, le motif semble placé là avant tout pour "remplir un vide", sans autre fonction apparente. Puis, telles les orthogonales convergeant vers un point de fuite

unique qui caractérisent la perspective linéaire de la Renaissance, les diagonales tendent ici à creuser 1'espace. Cependant, elles se trouvent brusquement coupées par la figure d'une femme se trouvant au second plan.

Mais ce motif a pourtant sa raison d'être et, de plus, une importance non négligeable dès le moment où on le considère comme un indice supplémentaire menant à l'objet du voyeurisme, encore une fois mis en relation de con­

tiguïté physique. Les lignes obliques sont en fait des vecteurs, selon la définition qu'en donne Eco16”, soit des "marques directionnelles [apparaissant] dans une emprein­ te". Comme les indices peirciens, "les vecteurs ne semblent devenir expressifs qu'en liaison avec un objet ou un état de choses"100 et "ils expriment eux aussi un bloc d'instructions pour leur insertion contextuelle". Dans leur contexte actuel, les vecteurs dirigent 1'attention vers le groupe de femmes et acquièrent ainsi le statut de signes dicents et leur présence devient nécessaire en ce qu'ils participent au mode de lecture de l'oeuvre. Ainsi le contenu signifiant de ce motif préalablement non identifié nous fait aller "au-delà du signe originaire [puisqu'] il nous fait entrevoir la nécessité de la future occurrence d’un autre signe" qu'est le rapport virtue 1 entre les motifs des femmes et 1'homme-voyeur.

3.2.4.4 Les ombres signifiantes

Les effets d'ombres, rendus par la juxtaposition des lignes colorées -presque des empâtements- créent en même temps un relief réel, "touchable", tangible au niveau de la surface picturale. Le chiaroscuro, réussi dans son rendu plastique lorsque regardé à distance, disparaît graduellement, puis complètement, à mesure que l'on s'ap­ proche du tableau, pour devenir des traits de contour

Ill dessinant les figures. Le point de vue du spectateur est donc d'une énorme importance, et significatif dans 1'appréhension de ce format géant de Pellan. Vues de loin, les lignes juxtaposées, épaisses et de couleurs différentes et vives, participent de 1'unicité de la composition, alors que vues de proche, elles segmentent et séparent les signes-éléments, de façon à les isoler les uns des autres en réduisant les rapports qu'ils créaient en tant quan­ tités grâce à une proximité qu'on ne sent plus.

Traditionnellement, dans notre vision réaliste des choses, les ombres, lorsqu'on se trouve dans un espace extérieur, se créent à condition qu'il y ait une source de lumière naturelle, donc si le ciel est clair et qu'il y a présence du soleil. Evidemment ici, on ne parle pas de la nuit et des ombres portées sous 1'éclairage de la lune ou des réverbères. Or dans ce tableau, les ombres très ar­ bitraires agissent en tant qu'indicés qu'il y a une source de lumière autre que le soleil: petit motif sphérique superposé â la tête de l'homme dans le coin supérieur droit. Supposant que ce motif est une icône du soleil -ou tout au moins une représentation symbolique de l'astre du jour tel qu'on peut 1'imaginer-, nous le trouvons bien terne... et de plus, ainsi disposé sur une région totale­ ment noire, il ne semble diffuser aucune lumière. En fait,

la lumière relève essentiellement de la saturation des couleurs et s'il y a des ombres portées, elles ne cor­ respondent en rien à la réalité. Les ombres et les motifs s'enchevêtrent gratuitement, selon la fantaisie du peintre.

Par ailleurs, les ombres portées sont véritablement des indices en ce sens qu'elles sont des signes qui n'existent qu'en présence de leur référent : ici, le référent de l'ombre se trouve être les éléments, les

figures, les icônes, indices et symboles. En ce qui concerne les ombres, il y a d'abord, avant toute idée de ressemblance, le principe, la nécessité d'un rapport qui soit de l'ordre de la contiguïté physique, de la proximité réelle, de la coprésence immanente. Les signes indiciels ombres, tenant de la métonymie, relèvent également d'une esthétique de la trace, du contact, de la contiguïté référentielle. L'ombre affirme toujours un "ça est là", ainsi la mimes is vient après la contiguïté.

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