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Symboles de la frontière matériel/immatériel

Le dépôt d’ex-voto en général et dans le milieu maritime en particulier est une pratique attestée dès l’Antiquité « tant par les sources écrites que par les découvertes

archéologiques. »404 , les premiers remonteraient aux Phéniciens405 qui offraient des statuettes aux divinités de la mer.

Les mots ex-voto sont une contraction de l’expression latine ex voto suscepto qui signifie « suivant le vœu fait », l’ex-voto est donc une offrande faite à Dieu suite à une demande ou en remerciement d’une grâce obtenue.

Sans cesse confronté au danger potentiel qu’implique le travail en mer, la perspective de la mort est très prégnante dans le monde maritime, à terre comme en mer :

« La mort en mer reste toujours présente dans les esprits, que ce soit à bord ou à terre, et chacun a ses rites pour tenter de la conjurer. »406

Face au danger imminent, les marins soumis à des forces qui les dépassent font alors appel aux divinités pour qu'elles intercèdent en leur faveur. Ils prononcent des prières, font des vœux, des promesses :

"C’est toujours l'image du danger, de la mort qui se dessine avec plus ou moins de netteté et rend plus pressantes encore ces demandes d'intercession et de miséricorde."407

404

Lucien Basch in COLLECTIF, Catalogue d’exposition, Ex-voto marins dans le monde de l’antiquité à nos

jours, Musée de la Marine, Palais de Chaillot, Paris, 1981, 204 pages.

405

BOULLET François et Collette, Ex-voto marins, Rennes, Ed. Ouest-France, 1996, p.11.

406

107

« Probablement plus que les autres, les gens de mer, pris collectivement, sollicitent le ciel sans se lasser, invoquent le soutien de la cour céleste à la mesure des dangers qu’ils affrontent. »408

Et en dépit des progrès techniques supposés assurer une certaine sécurité, le risque d’accident demeure, « le navire constitue encore un instrument fragile »409. Cette épée de Damoclès qui pèse sur les marins engendre un rapport particulier avec la religion, mêlé de croyances dogmatiques et rituelles plus ou moins magiques, voire superstitieuses :

« Les marins on le sait, sacrifieraient à un certain nombre de rites que l’on qualifierait volontiers de magique. Mais les talismans embarqués, les cierges bénis, les reliques précieuses aux usages précis pendant un danger ne revêtent pas de réelle étrangeté. »410

« les ex-voto propitiatoires, assez rarement conservés, peuvent compléter l’inventaire des attitudes à la fois magiques et chrétiennes, souvent enchevêtrées. »411

"Les gens de mer étaient réputés former le milieu le plus superstitieux qui puisse exister"412

La spiritualité des gens de mer est faite de contradiction, l’absence des marins tend à les éloigner de la doctrine quand dans le même temps le recours à une divinité s’impose. L’Eglise a très tôt pris en compte les contraintes liées à l’exercice du métier de marin et s’est accordée avec ses spécificités413. En outre, les familles à terre maintiennent le lien entre les hommes et Dieu. Toutefois, le don d’ex-voto reste « en dehors de toute initiative, de tout encadrement

religieux. »414

De nos jours la mortalité en mer est nettement inférieure à ce qu’elle fut, néanmoins c’est une éventualité qui hante encore les marins et leurs familles parce que cela signifie une mort sans autre sépulture que le fond des océans. Cela implique pour les familles de ne pas pouvoir se recueillir ou rendre hommage au défunt, c’est une disparition sans adieu.

407

CABANTOUS Alain, Les citoyens du large, Les identités maritimes en France (XVIIe-XIXe), Paris, Aubier

coll. Historique, 1995, p.145.

408

CABANTOUS Alain, Le ciel dans la mer, Christianisme et civilisation maritime (XVe-XIXe siècle), Paris,

Fayard, 1990, p.123.

409

MASSON Philippe, La mort et les marins, Grenoble, Ed. Glénat, 1995, p.108.

410

CABANTOUS A, 1995, p.139.

411

CABANTOUS A, 1990, p.130.

412

BOTTET Béatrice, Croyances et superstitions des gens de mer, Alternatives, 2008, p.10.

413

MASSON P, 1995, p.86.

414

108 Recourir à la bonté céleste en cas de danger est une procédure qui se décompose trois en temps immuables :

- d’abord le temps de l’épreuve où l’homme constate son impuissance et demande une protection surnaturelle, moment de grande intensité et de ferveur particulière « un vœu

ne se prononce pas à la légère, surtout quand il est collectif. Il s’accomplit selon des formes rituelles »415,

- ensuite la promesse solennelle d’un acte de reconnaissance, - enfin l’accomplissement de cette promesse.

C’est à cette dernière temporalité que correspond l’acte votif416. Cette démarche se fait sans tarder, on ne revient pas sur une telle promesse probablement par crainte de se voir refuser une nouvelle intervention divine si besoin. L’ex-voto est remis « avec solennité, selon un

cérémonial établi »417. Le don est une démarche personnelle, qui peut être individuelle ou collective et qui relève de l’intime. Elle crée un lien entre le ou les déposant(s) et la divinité. C’est une action en lien direct avec un évènement lors duquel le danger fut tel que le recours à une divinité s’est imposé :

« Face aux dangers affrontés, la dimension miraculeuse demeure l’élément obligé de la croyance en l’intercession des saints. »418

Il y a plusieurs catégories d’ex-voto :

- un ex-voto est dit propitiatoire s’il est donné pour solliciter la grâce ou la protection d’un saint ou d’une sainte :

« en groupe ou seuls, les marins font célébrer une messe pour demander une bonne navigation, une bonne pêche. »419

- l’ex-voto gratulatoire est remis en remerciement du vœu exaucé, de la vie sauvée,

« démarches probablement les plus fréquentes ou tout au moins celles qui laissèrent le plus de traces »420.

- l’ex-voto surérogatoire est offert sans rien attendre en retour.

415

BOULLET F et C, 1996, p.48.

416

COUSIN Bernard, « L'Ex-voto, document d'histoire, expression d'une société », in Archives de sciences

sociales des religions, n° 48/1, 1979, p.108.

417 BOULLET F et C, 1996, p.51. 418 CABANTOUS A, 1990, p.153. 419 ibid p.152. 420 ibid, p.153

109 Au regard du droit canonique les ex-voto sont des objets précieux car ce sont des témoignages de piété421. Les ex-voto se situent à la frontière du sacré et du profane, c’est la démarche dépositaire du donateur qui confère le caractère sacré à l’ex-voto, l’objet en lui-même n’a de valeur sacrée qu’aux yeux de celui qui le donne. C’est le vœu qui accompagne de dépôt qui lie le dépositaire à Dieu à travers l’objet qui prend alors une dimension sacrée :

« Les ex-voto, ce sont d’abord des objets sacrés et, à ce titre, ils méritent un respect impératif. »422

Les ex-voto marins se présentent sous de multiples formes. Cela peut être une maquette de bateau sauvé du naufrage ; un tableau représentant le sauvetage et qui consacre la divinité invoquée tout en renseignant sur la dangerosité du métier ; une pièce de navire (bouée, cordage, ancre, filet etc.) ; une statuette ; une plaque apposée sur laquelle on peut trouver inscrits le nom des marins sauvés ou de ceux qui ne sont pas revenus :

« Les ex-voto marins décrivent la mer, les bateaux, la nature océane, la manœuvre des navires, les risques d’un métier où l’on ne fait pas toujours de vieux os. »423

Aujourd’hui si le don d’ex-voto est une pratique désuète ils n’en demeurent pas moins le témoignage intemporel d’un acte de foi et le symbole matériel du lien immatériel qui uni les hommes à la mer et à Dieu.