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La nature a donné à l’homme les ressources pour se nourrir, ce qu’il ne faudrait pas prendre pour acquis parce que si la ressource marine se renouvelle, elle n’est pas sans limites. Lorsque nous avions rencontré Mikel Epalza nous avions entre autre parlé de la pêche mais surtout de la ressource et il insistait que le fait que « la mer n’est pas une banque, y’en a

certains qui prennent la mer comme une banque on va retirer du poisson comme on va retirer de l’argent ou du charbon »217. C’est un discours pédagogique qu’il répète souvent lors de ses interventions218, il est en effet très concerné par le respect de la ressource et par la nécessité morale et éthique de maintenir un équilibre entre la mer et l’homme. Des familles entières dépendent du fruit de la pêche, des milliers d’emplois y sont liés. Le poisson est une ressource 215 EPALZA M, 2008, p.92. 216 LABORDE S, 2007, p.224. 217

Extrait de l’entretien réalisé en juillet 2012, passage p.4, annexe 1 p.135

218

Par exemple auprès de lycéens : http://www.sudouest.fr/2012/06/12/l-ocean-n-est-pas-un-e-banque-740451- 4018.php ou encore lors d’une conférence en 2011 :

54 naturelle dont l’homme dispose, mais qu’adviendrait-il si la ressource se tarissait voire disparaissait ? Comme l’indique Stéphan Beaucher avec un certain humour :

« Le combat pour la préservation des espèces marines sauvages n’est pas le combat pour la protection des poissons. C’est d’abord et avant tout un combat pour la survie de l’homme, le plus mal élevé des occupants de la planète terre. »219

Opposée au « pillage des océans » une pêche responsable tente de se faire entendre, Anne Marie Vergez220 que nous avons rencontrée est une de ces voix qui prônent une pêche saine, sélective, dans le respect de la ressource, une pêche responsable, durable et humaine. Précisons pour la suite que par petite pêche nous entendons pêche artisanale, c’est-à-dire une pêche pratiquée à la journée sur des bateaux de moins de 12 mètres.

Anne Marie Vergez est la seule femme patron pêcheur du port de Saint-Jean-de-Luz/Ciboure, venue à la pêche après avoir goûté au métier par loisir. Elle a laissé son activité dans un laboratoire photo pour devenir marin pêcheur « je suis devenue matelot à 30 ans. »221. Parallèlement à la pêche elle a étudié à l’école de pêche de Ciboure222. C’est une femme de caractère qui a pris sa place dans ce milieu d’hommes à force de travail. Elle n’aime pas être enfermée, elle aime la mer qui offre « un cadre de travail plutôt sympa non ? ». Elle pratique le métier qu’elle aime et se bat pour le valoriser parce que c’est « un beau métier ».

A bord du Nahikari, ligneur de 8 mètres, elle pêche principalement le merlu et pratique la pêche à la palangre, c’est-à-dire qu’elle utilise de longues lignes sur lesquelles les hameçons sont suspendus à de petits fils, tous les 15 hameçons sont intercalés un flotteur et un poids de manière à ce que la ligne soit légèrement décollée du fond. Parce que le merlu est une espèce de poisson démersale*, c’est-à-dire ni de fond, ni de surface c’est pourquoi la ligne doit se trouver au-dessus du fond, « en dents de scie ». En pêchant de cette manière elle respecte la faune, la flore et ne détruit pas l’habitat. Il n’y a pas de prises accessoires et pas de rejet

« contrairement aux pélagiques et fileyeurs qui ont énormément de rejets ». Le poisson est

attrapé vivant, si un poisson pêché ne convient pas, parce que trop petit ou d’une autre espèce,

219

BEAUCHER Stéphan, Plus un poisson d'ici 30 ans?, Surpêche et désertification des océans, Paris, Ed. Les petits matins, 2011, p.3.

220

L’entrevue avec Anne Marie Vergez s’est déroulée à Saint-Jean-de-Luz en juin 2014, au retour de sa sortie de pêche en début d’après-midi, après avoir bu un café, nous sommes montées à bord de son navire, le Nahikari, et avons longuement discuté, nous n’avons pas fait d’enregistrement il n’y a donc pas de transcription. Le

magazine Thalassa lui a consacré un volet dans une émission en 2013 dont un extrait est disponible à l’adresse suivante https://www.youtube.com/watch?v=zs5aoTtQLmA, Greenpeace a fait un portrait :

http://oceans.greenpeace.fr/anne-marie-patron-pecheur-a-saint-jean-de-luz, un lien vers son propre site http://www.merlu.de.ligne.free.fr/

221

EPALZA M, 2008, p.273. Extrait d’un article fait par la revue Ekia en 1991 reproduit dans l’ouvrage.

222

55 la plupart du temps « il est remis à l’eau vivant, contrairement à d’autres techniques de pêche

qui prennent tout et n’importe quoi, trient ensuite et rejettent des poissons morts ». Elle nous

expliquait qu’en utilisant les hameçons « chaque poisson pêché est vraiment venu mordre tout

seul à l’hameçon, il n’a pas été piégé ou fait prisonnier comme avec les filets. ». Et elle ne

pêcherait pas autrement « je ne veux pas faire la pêche à n’importe quel prix » nous disait- elle. Elle apprécie le jeu de la pêche et considère que si un poisson « a été suffisamment

vorace pour mordre à l’hameçon et se faire prendre alors tampis pour lui », ajoutant qu’à son

sens il n’y a pas de façon « plus noble pour capturer un poisson ». Sur une trentaine de bateaux à Saint-Jean-de-Luz/Ciboure, ils sont une dizaine à pratiquer ce type de pêche. La meilleure saison pour pêcher le merlu est au printemps :

« il y en a plus ou moins toute l’année mais les plus grosses pêches s’effectuent au printemps ».

La journée commence tard dans la nuit vers 4 h du matin ou tôt le matin aux alentours de 7 heures. Elle se relaye avec un autre bateau sur la même zone, l’un part la nuit, l’autre arrive dans la matinée et prend la suite. Lorsque nous l’avons rencontrée elle partait pêcher la nuit. Deux heures de route sont nécessaires pour se rendre sur le lieu de pêche, à la Fosse de Capbreton. Ce temps est mis à profit pour accrocher aux hameçons les sardines qui servent d’appât et qui sont « congelées parce

que c’est plus simple pour les accrocher ». Une par une à main nue

en ce qui la concerne « sans gants

parce que je n’aime pas travailler avec des gants ». Environ 1300 hameçons sont utilisés,

représentant une centaine d’euros d’appât par jour.

Les poissons pris sont soigneusement récupérés un par un. De retour le soir, le poisson est débarqué à la criée, il est étiqueté avec un pin’s qui indique « Merlu de ligne »223 sur le poisson pour spécifier qu’il est issu de ce type de pêche, et revendu le lendemain. Elle est à l’origine de la pose de ce signe particulier, pratique qu’elle avait observée pour le bar en Bretagne. Un cahier des charges224 doit être respecté pour être autorisé à le poser :

223

http://www.stjeandeluz-paysbasque.com/il_etait_une_fois/merlu-luz.php

224

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« [Le pêcheur est] astreint à un cahier des charges assez rigoureux, par exemple le pêcheur s’engage à ne pas faire plus de douze heures de mer, à soigner le poisson (l’étriper, le nettoyer, le glacer au fur et à mesure), on le bichonne »

Cette pêche donne une valeur ajoutée au poisson, sa valeur commerciale est supérieure à celle d’un merlu pêché autrement « cependant ça reste bien en-deçà de ce que ça devrait » considère-t-elle. Son bateau consomme peu de gasoil et donc pollue peu, mais lorsque nous l’avons vue elle n’en consommait plus du tout. En effet elle navigue à l’huile végétale225 et ne cause aucun rejet CO2 ce qui lui permet aussi d’avoir « moins de frais donc pas besoin de

pêcher beaucoup pour être rentable ». Elle ne se contente pas de protéger la ressource, pour

elle il s’agit d’un tout, d’un respect de la nature et de l’humanité, il s’agit de pratiquer un métier intelligemment pour qu’il puisse perdurer.

Dans les années 1990 de nombreux chaluts pélagiques se lancent dans la pêche du merlu qu’ils pratiquent à outrance, ils abiment les fonds marins, occasionnent beaucoup de rejet et de pollution ce qui engendre une diminution considérable de la ressource226. A tel point qu’au début des années 2000 une alerte est lancée sur l’espèce en danger.

Mikel Epalza considère que cette pêche ne se fait que par appât du gain :

« en mer on peut, on peut passer vite dans la démesure, c’est-à-dire mettre des gros bateaux, ne penser qu’à l’argent (…) l’autre mentalité c’est aller en mer pour faire des sous, prendre la mer pour une banque, comme une mine de charbon »227

Mais il nuance ses propos en expliquant que les gros armements ne sont pas les seuls responsables :

« il peut y avoir un petit bateau qui pense à ne pas respecter la ressource, la période des pontes etc. (…) celui qui met les filets en pleine période de ponte, qui respecte pas les mailles, qui déclare pas ce qu’il pêche, etc., etc. »228

Anne Marie Vergez nous dit simplement :

« nous on parle en kilos, les pélagiques eux parlent en tonnes, tout s’explique… »