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B. Mécanismes adaptatifs des phytophages

3. Symbioses mutualistes

Dans cette quête d’optimisation nutritionnelle, les herbivores abritent ou cohabitent avec de nombreux micro-organismes qui peuvent contribuer à équilibrer le substrat végétal grâce à des relations mutualistes (Tab. 1). Les insectes se développant sur des tissus

Figure 5 : Stratégie d’optimisation du mélange des ressources alimentaires.

L’apprentissage du rejet des substrats pauvres se rencontre chez les herbivores généralistes et mobiles comme les sauterelles. Elle permet de couvrir les besoins nutritifs de l'insecte en utilisant différentes plantes complémentaires dans leur composition (d’après Bernays 1998).

végétaux particulièrement déséquilibrés comme la sève, le bois et les débris végétaux ont développé des interactions avec des symbiotes variés (Behmer 2006; Nardon & Heddi 2013). On peut subdiviser ces micro-organismes en trois groupes : les ectosymbiotes se développant dans l’environnement du phytophage, les endosymbiotes vivant dans le corps de l’herbivore de façon extracellulaire et les endocytobiotes se trouvant à l’intérieur de cellules isolées ou dans structures spécialisées comme les bactériomes et mycétomes évoqués ci-dessus (cf. partie I.B.1.) (Nardon & Heddi 2013).

Concernant les ectosymbioses, plusieurs espèces d’insectes sont capables de cultiver des champignons en leur apportant un substrat prédigéré (Corio-Costet & Lieutier 2013). Les fourmis champignonnistes (Attines) pratiquent une fongiculture : elles récoltent des fragments végétaux variés et y ajoutent des sécrétions fécales pour optimiser la culture de leurs symbiotes avant de les consommer. Cette technique leur procure un substrat équilibré et détoxifié à partir de plantes diverses. Les termites champignonnistes (Macrotermitinae) ont domestiqué plusieurs espèces de Termitomyces, symbiotes qui constituent un aliment et contribuent à la dégradation de la cellulose avant ingestion. Les tissus fongiques riches en eau, glucides, protéines, vitamines B et stérols fournissent un substrat plus équilibré en éléments essentiels. De plus, l’ingestion d’enzymes fongiques restant actives dans l’intestin de l’insecte peut faciliter la digestion et la détoxication des tissus végétaux (Mculloch Martin 1992; Corio-Costet & Lieutier 2013; De Fine Licht et al. 2013). Toujours dans un but d’optimisation nutritive, d’autres insectes inoculent des champignons phytopathogènes dans leur plante hôte pour la modifier. Par exemple, les Coléoptères de la sous-famille des Platypodinae creusent dans les troncs d’arbres des galeries où ils inoculent et cultivent des champignons appelés Ambrosia qui sont leur source exclusive de nourriture (régime xylomycétophage) (De Sousa & Inacio 2005; Six 2012). De même, les guêpes xylophages de la famille des Siricidae entretiennent une relation obligatoire avec des symbiotes inoculés lors de l’oviposition. Les larves ingèrent avec le bois des fragments mycéliens qui digèrent quasiment à eux seuls la cellulose et l’hémicellulose dans le canal alimentaire. Les bénéfices en termes de nutrition peuvent donc être multiples car ces champignons peuvent modifier la composition de la plante en eau, en glucides et en protéines, en plus de faciliter la digestion des tissus végétaux (Mcculloch Martin 1992).

Les endosymbioses sont fréquentes au niveau du tube digestif des insectes se nourrissant dans le phloème et le xylème ou utilisant la cellulose (libres dans le lumen ou au niveau de caeca, Fig. 4d et e). Ces derniers sont fortement voire totalement dépendants des micro-organismes pour leur survie. Les micro-organismes peuvent être bactériens ou fongiques. Ils participent à la nutrition de l’insecte par des mécanismes variés. Leur rôle peut être de faciliter la digestion des tissus végétaux. Un des exemples classiques est celui des termites du genre Reticulitermes dont la digestion de la cellulose est grandement améliorée grâce aux bactéries et protistes présents dans leur tube digestif. Contrairement à la plupart des phytophages qui évacuent la cellulose comme un déchet, l’association mutualiste avec des micro-organismes a ainsi permis à certains termites, thysanoures ou encore cafards

d’exploiter au mieux les substrats riches en cellulose comme le bois (Douglas 2009). La capacité de certains symbiotes à dégrader la lignine (ex : Actinomycètes de termites et Protéobactéries de scolytes) améliore encore la digestion des parois cellulaires du substrat végétal (Watanabe et al. 2003; Bugg et al. 2011). Des bactéries symbiotiques variées associées à certains termites sont en plus capables de fixer l’azote atmosphérique et de produire des acides aminés qui seront ensuite utilisable par leur hôte (Ohkuma et al. 1999). Les endosymbiotes peuvent aussi directement apporter des éléments essentiels à leurs hôtes. De nombreuses drosophiles sont associées à des levures leur apportant des nutriments essentiels, des vitamines et des stérols (Starmer & Fogleman 1986). Certaines cicadelles se nourrissant de sève sur riz dépendent aussi de symbiotes de type levure notamment pour le métabolisme des stérols et le recyclage de l’azote (Noda et al. 1979; Sasaki et al. 1996).

Les symbiotes peuvent aussi contribuer indirectement à l’amélioration de la qualité nutritive de la plante hôte en diminuant sa toxicité. L’arsenal enzymatique des champignons leur permet de métaboliser ou détoxifier tout un panel de composés allélochimiques des plantes. Les composés toxiques ainsi hydrolysés, oxydés ou encore conjugués sont ensuite excrétés par les insectes. C’est par exemple le cas des levures associées aux Drosophiles (Starmer & Fogleman 1986; Dowd 1992).

Tableau 1 : Exemples de symbioses entre insectes phytophages et micro-organismes liées à la nutrition.

C = champignon, B = bactérie, ecto = ectosymbiose, endo = endosymbiose, cyto = endocytobiose (d’après Douglas 2013)

Les endocytobiotes sont généralement localisés dans des cellules particulières isolées ou rassemblées en mycétome ou bactériome, des cellules géantes et polyploïdes témoignant d’une forte acticité métabolique (Nardon et al. 2002). Les endocytobiotes fournissent à leurs hôtes des substances utiles ou indispensables, tels que des vitamines, des stérols et des acides aminés essentiels (Noda & Koizumi 2003; Zientz et al. 2006; McCutcheon & Moran 2007; Akman Gündüz & Douglas 2009; Douglas 2009; McCutcheon et al. 2009; Nardon &

Intérêts Insectes Symbiotes Références

Synthèse d'acides aminés essentiels (complément)

Hémiptères Pucerons (ex : Acyrthosiphon pisum)

Buchnera aphidicola (B, cyto)

Serratia symbiotica (B, cyto)

Buchner (1965) Koga et al. (2003)

Synthèse de vitamines (complément)

Hémiptères Cicadelles (ex : Homalodisca coagulata)

Sulcia muelleri (B, cyto)

Baumannia cicadellinicola (B, cyto)

McCutcheon et Moran (2007) Synthèse de stérols

(complément)

Coléoptères Anobides (ex : Lasioderma serricorne)

Symbiotaphrina kochii (C, cyto)

Symbiotaphrina buchneri (C, cyto)

Noda et Koizumi (2003)

Fixation et recyclage des composés azotés

Isoptères Termites (espèces variées)

Bactéries variées (B, endo) Ohkuma (1999)

Dégradation de polymères complexes (ex : lignine) Isoptères Termites (ex : Coptotermes formosanus)

Streptomyces sp. (B, endo) Watanabe et al. (2003)

Détoxication de composés

allélochimiques

Hyménoptères Fourmis (ex : Acromyrmex echinatior)

Leucocoprinus gongylophorus (C, ecto) De Fine Licht et al. (2013)

Heddi 2013). Les pucerons suceurs de sève sont bien connus pour leur coévolution avec la bactérie Buchnera aphidicola qui leur apporte des acides aminés essentiels et des vitamines (Bernays 1998; Nakabachi & Ishikawa 1999; Akman Gündüz & Douglas 2009). On considère que les capacités du génome de cette bactérie dans les voies de biosynthèse des acides aminés conditionnent les besoins nutritionnels des différentes espèces de pucerons (Moran et al. 2008). Les apports respectifs entre acides aminés par Buchnera peuvent être modulés en fonction de la composition du substrat ingéré par son hôte, permettant une adaptation aux fluctuations de composition des plantes (Douglas et al. 2001). Les endocytobiotes peuvent aussi convertir des nutriments en excès de façon réversible et sans coût énergétique, permettant ainsi un stockage transitoire (Gasnier-Fauchet et al. 1986). Les symbiotes de type levure de certaines cicadelles participent au recyclage des déchets azotés en composés nutritifs (Sasaki et al. 1996). Tous ces mécanismes contribuent à l’optimisation de la nutrition.