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C’est encore sur les insectes endophytes que la littérature scientifique est la plus documentée dans ce domaine. Les effecteurs de la manipulation sont encore très largement inconnus à ce jour mais l’intérêt croissant porté aux interactions complexes comme les mineuses générant des îles vertes et certains insectes cécidogènes permet aujourd’hui de comprendre une partie des mécanismes clés et leur diversité. Il est depuis longtemps admis que les sécrétions par des adultes et/ou des larves ont indéniablement un rôle, et les technologies récentes notamment en protéomique et génomique permettent aujourd’hui d’identifier les composés chimiques ou les gènes impliqués. Dans certains cas, les mouvements des individus peuvent aussi avoir un rôle. Enfin, rappelons que les insectes sont porteurs de nombreux symbiotes et/ou vecteurs de virus qui peuvent avoir leur importance. Ce sont ces trois composantes de l’induction de manipulation des plantes hôtes qui sont discutées ici.

1. Rôle des sécrétions

Plusieurs types de sécrétions pourraient être impliqués dans la manipulation des plantes hôtes. Les substances contenues dans les sécrétions salivaires des pucerons pourraient générer les pseudogalles de type enroulement de feuille. C’est sans doute le cas sur pommier pour Dysaphis devecta et D. plantaginea (Aphididae) qui induisent des enroulements de feuilles à plusieurs centimètres de leur site de nutrition, suggérant ainsi l’implication de composés salivaires mobiles dans la plante-hôte (Forrest & Dixon 1975). De même, Madhusudhan et Miles (1998) suggèrent que les chloroses seraient générées par des phytotoxines injectées par les pucerons lors de leur alimentation. Comme la composition salivaire d’un puceron générant une chlorose semble similaire en termes de capacités enzymatiques à celle d’autres espèces asymptomatiques, les modifications pourraient être

dues à une plus grande mobilité des composés sécrétés par le premier, plutôt qu’à la nature chimique des composés en eux-mêmes.

Chez les insectes cécidogènes, le fluide déposé par les adultes lors de l’oviposition peut aussi jouer un rôle. Des multiplications cellulaires, la différentiation de vaisseaux et des modifications d’organites peuvent ainsi apparaitre dans les tiges de la Linaire commune suite à l’oviposition du charançon Rhinusa pilosa (Barnewall & Clerck-Floate 2012). La ponte des adultes peut donc être dans ce cas une première étape dans la modification des tissus, même si ce sont les descendants uniquement qui en bénéficient.

Les larves mineuses générant des îles vertes produiraient des phytohormones de type cytokinine, qui empêchent localement le processus de sénescence de la feuille et y maintient un environnement nutritif, même après la chute de la feuille. On retrouve les cytokinines dans les excréments et dans l’appareil gastro-intestinal, mais surtout dans les glandes salivaires des insectes où elles sont vraisemblablement synthétisées. On les retrouve ensuite en grandes quantités dans les tissus de la mine et en périphérie alors que le reste de la feuille et même les autres feuilles encore vertes en contiennent très peu. Cela permet le maintien de la chlorophylle et donc du métabolisme primaire des feuilles (Engelbrecht et al. 1969; Giron et al. 2007; Walters et al. 2008).

Les phytohormones de type cytokinine ou auxine se retrouvent aussi dans certaines galles. C’est par exemple le cas de la galle générée par Eurosta solidaginis sur les tiges de

Solidago altissima qui montre des taux élevés de ces deux types d’hormones (Engelbrecht et

al. 1969; Mapes & Davies 2001a; 2001b). Les phytohormones semblent bien être synthétisées et injectées par les insectes manipulateurs puisque l’on a montré leur présence dans le corps, et souvent plus précisément dans certaines glandes excrétrices de larves ou d’adultes de ces insectes (Engelbrecht et al. 1969; Elzen 1983; Mapes & Davies 2001a; 2001b; Straka et al. 2010; Yamaguchi et al. 2012; Body et al. 2013; Bartlett & Connor 2014). D’autres phytohormones, comme l’acide abscissique, pourraient être impliquées dans la formation de galles, mais des travaux supplémentaires sont nécessaires pour bien comprendre leur rôle (Tokuda et al. 2013; Tooker & Helms 2014). Ce serait certainement par l’injection de composés chimiques comme des phytohormones que l’induction des galles se ferait à distance du site d’attaque dans certains cas (ex : certains Hémiptères). Le stimulus chimique circulerait alors dans les vaisseaux de la plante et l’intensité de l’induction serait dose-dépendante (Sopow et al. 2003; Matsukura et al. 2009).

2. Rôle des mouvements

Chez les insectes cécidogènes, la phase d’initiation peut être déclenchée soit par l’oviposition de l’adulte (ex : guêpes symphytes et à galles, quelques Coléoptères), soit par le premier stade larvaire (ex : cécidomyies, pucerons, cochenilles). C’est aussi parfois

l’alimentation de l’imago durant l’oviposition qui contribue à l’initiation (ex : acariens, certains psylles, thrips). Le trajet lors de l’oviposition peut contrôler la formation de certaines galles de Tenthrèdes qui réalisent des blessures très précises et propres à chaque espèce pour initier la formation de la galle. Globalement, c’est principalement la larve qui façonne ensuite la galle. En effet, si on retire la larve après la phase d’initiation, la galle aura un développement affecté avec absence de certains tissus et une organisation et une forme anormales. En s’alimentant, les larves sécrètent une salive qui modifie les parois cellulaires ou qui liquéfie les contenus cellulaires, déclenchant une réponse de dédifférenciation puis de prolifération de cellules attaquées et adjacentes. Un parallèle se crée alors entre la consommation du tissu nutritif et l’induction de sa formation. La larve va alors modeler la galle de l’intérieur par ses déplacements continus pour s’alimenter sur toute la paroi interne. La vitesse de la phase de croissance de la galle va donc dépendre de l’activité d’alimentation de la larve et du type de pièces buccales. Le maintien d’une réaction de la plante à la blessure mécanique infligée par la consommation des tissus génère un puits attirant les ressources nutritives (Rohfritsch 1992). Le principe est en fait que l’activité d’alimentation génère un stress chez l’organe hôte et les tissus adjacents à l’attaque y répondent par des activités physiologiques nouvelles apportées par des tissus nouvellement différentiés en périphérie (Raman 2012).

3. Rôle des symbiotes

Les manipulations induites par les herbivores ne sont pas toujours directement attribuables à leur action directe. Les symbiotes mutualistes qui leur sont associés peuvent aussi être à l’origine des modifications observées. Faire la part des choses entre le rôle de l’herbivore et celui de ses symbiotes dans les performances d’un insecte sur son hôte requiert une comparaison entre des individus normaux et aposymbiotiques. Ces derniers peuvent être obtenus grâce à des antibiotiques ou par des traitements à la chaleur. Les tests peuvent ensuite être pratiqués sur la plante-hôte ou sur milieu artificiel, si le modèle d’herbivore étudié le permet (Dixon 1998).

Certains endosymbiotes seraient impliqués dans la production de phytohormones de type cytokinine (CK) (cf. partie II.C.1). Les bactéries pourraient être impliquées selon trois hypothèses : en synthétisant directement des CKs, en permettant aux insectes de synthétiser/sécréter des CKs, ou encore en induisant la production ou l’activation des CKs par la plante (Giron & Glevarec 2014). La capacité des insectes manipulateurs à injecter des CKs dans les tissus de leur plante hôte (cf. partie II.C.1) renforce plutôt les deux premières hypothèses. Il n’est pas clair toutefois si les insectes capables de synthétiser des CKs le font grâce à leurs symbiotes ou grâce à l’acquisition de gènes bactériens par transfert horizontal (Bartlett & Connor 2014). Quoi qu’il en soit, la part de responsabilité respective des insectes, de leurs symbiotes, ou d’un cumul des deux dans ces mécanismes de manipulation basés sur

III. Conséquences pour les organismes en interaction