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« paradoxalement comme « ennemis-amis », c’est à dire des personnes qui sont amies car elles partagent un espace symbolique commun, mais aussi ennemis car elles veulent organiser d’une autre manière cet espace symbolique commun » (Mouffe, 2005 : 13).

Le modèle agonistique rompt avec le modèle délibératif libéral sur deux points principaux. Le premier est que le consensus rationnel est impossible. Aucune vertu délibérative ne peut évacuer l’antagonisme. Le second, que les passions qui fondent l’antagonisme sont non seulement inéliminables, mais aussi et surtout indispensables à un agir démocratique. Dans le modèle agonistique proposé par Mouffe, ces passions sont « sublimées » (Ibid : 8). Cette sublimation est dirigée vers la créativité collective et l’invention de nouvelles formations hégémoniques en confrontation. Laclau et Mouffe nomment « champ de discursivité » le terrain commun sur lequel s’affrontent ces différentes formations discursives. La confrontation entre adversaires demeure ouverte. « Le pouvoir n’est jamais fondationnel » (Laclau et Mouffe, 2009 : 256). Toute articulation hégémonique est donc toujours contestable et aucune d’elles ne devrait jamais être présentée comme la seule légitime, dictée par un ordre supérieur (Mouffe, 2013 :17).

La nécessité d’un espace symbolique commun, propre à la confrontation agonistique, est également un point fondamental de l’émancipation chez Rancière : « s’émanciper, ce n’est pas faire sécession, c’est s’affirmer comme co-partageant d’un monde commun, présupposer, même si les apparences sont contraires, que l’on peut jouer le même jeu que l’adversaire » (Rancière, 1998 : 91). La scène de l’agon est celle d’un « consensus conflictuel ». Le consensus ne porte pas sur la manière dont le social est institué et organisé mais sur les conditions mêmes de son institution démocratique. Le consensus porte sur la nécessité du dissensus, dissensus entre des représentations concurrentes du monde, lesquelles, en étant posées, font immédiatement et nécessairement émerger des positions-sujets pour les incarner.

2.3 Vers le sujet politique

Nous avons parlé jusqu’ici d’ « identité collective ». Le terme « identité » apparaît cependant problématique en raison de ses usages essentialisants. Nous lui préférons

! .+! le terme « sujet », issu du substantif de mouvement « subjectivation ». En effet, le

sujet n’est pas un donné, déjà-là et comme tel immuable. Il surgit dans l’acte instituant du discours et se trouve renouvelé à chaque prise de parole.

Les apories du concept d’identité 2.3.1

Le signifiant « identité » mène à un tel éclectisme définitionnel et conceptuel en sciences humaines qu’il apparaît difficile, et surtout peu pertinent, dans le cadre de cette recherche, d’en faire le tour. De cette diversité de courants et définitions, nous pouvons par contre tirer ce qui constitue pour nous ses principales impasses heuristiques. La première de ces impasses réside dans l’objectivation et l’essentialisation dont il fait l’objet. C’est oublier que « l'identité - ethnique, sociale - ne préexiste pas au contact : elle est un produit socio-historique qui naît de lui » (Bres, 1989 : 74). Chaque discipline dresse ses listes de référents identitaires (écologiques, matériels et physiques, historiques, socio-culturels, etc.), comme autant de cases à cocher pour offrir une étude descriptive et comparative des acteurs sociaux, que ceux-ci soient individuels ou collectifs. Toute se passe comme si l’ordre social précédait sa mise en mot et sa qualification. L’identité est aux prises avec une « pensée substantialiste (ontologique) qui assigne en isolant, focalise en définissant, supposant des identités indépendantes extérieures l’une à l’autre, aux relations réglées, autrement dit, qui méconnait l’essentielle évasivité, notamment du continu et des transitions » (Jullien, 2016 : 97). Ainsi, il est à regretter que même avec les approches constructivistes, en analyse du discours ou plus largement en sciences humaines, « les identités continuent d’être appréhendées selon des termes dichotomiques [exclusifs l’un de l’autre], comme soit micro, soit macro, individuelles ou sociales, locales ou globales, etc., selon des coupures n’autorisant qu’un degré limité de complexité » (Blommaert et De Finna, 2015 : 1-2, trad. libre). La seconde impasse du concept d’identité découle de la première dans la mesure où les référents identitaires qui servent au classement sont ceux qui sont rendus disponibles par la formation hégémonique dominante. Marc Angenot offre un prolongement au travail de Laclau et Mouffe dans sa théorie du discours social, au sein duquel il définit l’hégémonie comme « la résultante synergique d'un ensemble

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de mécanismes unificateurs et régulateurs qui assurent à la fois la division du travail discursif et l'homogénéisation des rhétoriques, des topiques et des doxaï » (Angenot, 1989 :12). Les référents identitaires majoritairement disponibles sont actuellement des référents ethno-culturels. Laura Calabrese a montré à ce titre comment le référent « diversité », qui désignait au départ une « hétérogénéité ethnoculturelle » a lui-même fait l’objet d’un glissement discursif en France pour ne désigner que les groupes d’origine étrangère.

Le mot diversité a progressivement subi un processus similaire à celui de multiculturel : il se spécialise dans la désignation des minorités visibles d’origine étrangère et « bloque », en quelque sorte, la référence aux groupes locaux (Calabrese, 2018b : 76).

La naturalisation-essentialisation à l’œuvre dans l’ordre policier tend à supprimer l’écart des mots aux choses. Dès lors, les rapports de force qui traversent la société sont occultés derrière l’objectivation de l’opération de description. Et décrire, c’est « s’en tenir à la chose même (...) à l’en-tant-que-tel perçu à ras, dans sa nudité » (Jullien, 2016 : 103). Décrire, « ce n’est plus écrire « sur », traiter « de », ce « de » marquant et gardant la distance, mais écrire l’expérience telle qu’elle apparaît, se déplacer à même la « chose » (Ibid : 147).

C’est oublier qu’il n’y a pas d’identité sociale qui ne soit discursive. A ce titre, la distinction introduite par Charaudeau entre identité sociale et identité discursive peut interpeller. Charaudeau définit l’identité sociale comme un « attribué-reconnu », un « construit par avance » qui repose sur un savoir, un savoir-faire, une position de pouvoir ou de témoin du locuteur. L’identité discursive, à l’inverse, est un « à construire-construisant » par la prise de parole (2009). Contrairement à ce que semble annoncer le choix (malheureux ?) de ses termes conceptuels, la distinction de Charaudeau a justement le mérite de montrer que toute identité est un construit dont les lignes peuvent bouger, que le discours hégémonique dominant peut être sans cesse confirmé ou rejeté. Il révèle la puissance de l’espace où se développent des contre-hégémonies. Angenot, lui, fait référence au novum d'Ernst Bloch, « où tout à coup le noch nicht Gesagtes, le ‘pas-encore-dit’ se frayerait un chemin et se fabriquerait un langage neuf dans l'entropie du ‘déjà-là’ » (1989 : 12).

! .-! Cette plasticité de l’identité révèle aussi son caractère évolutif, toujours en devenir.

Or le recours aux référents identitaires offre sa dernière impasse en enfermant l’identité dans une permanence et un statisme anachronique, où « l’origine ne se donne plus comme un devenir en puissance mais comme l’occasion où l’initial et le final se bouclent l’un sur l’autre » (Douville, 2009 : 156). Le politique suppose une mise en tension, une dialectique, « non une addition de traits spécifiques et donnés ab initio pour une temporalité sans limite » (Ibid) L’identité politique prisonnière du déjà-là empêcherait toute remise en cause de ce déjà-là. Or on l’a vu, le propre du politique et de la démocratie, c’est de « défaire la naturalité supposée des ordres pour la remplacer par les figures polémiques de la division » (Rancière, 1998 : 68). Nous lui préférerons la notion de sujet. Contre la vision dominante du sujet issue du cogito ergo sum, contre la vision post-moderne de l’individu « tout-jouissant », c’est plus vers une conception lacanienne du sujet que nous nous tournons, celle d’un sujet agissant mais aussi clivé, constitutif d’une altérité irréductible. Le sujet se pose donc contre l’indivision de l’individu comptable.

Ce qui caractérise le sujet n’est pas l’étant. C’est bien au contraire « un manque-à-être, un défaut de la capacité de con-sister en soi-même (ou d’in-sister) ce qui l’oblige à se caractériser par référence à un ailleurs (ou d’ex-sister) » (Steichen, 2003 : 79). Et ce manque à être est « la conséquence même du fait d’être parlant (...) Le support du parlêtre à son monde est médiatisé par le langage et ses opérations (Ibid). Ce manque à être en fait un sujet de désir, tension insatiable et indépassable. Sa tentative de s’identifier s’entend donc comme négociation entre son hétérogénéité constitutive/inconsciente et son hétérogénéité montrée/consciente (Authier-Revuz, 1984 ; 1995) : « le sujet se représente localement dans une position de surplomb par rapport à sa parole qui se dérobe foncièrement à lui » (Krieg-Planque : 1996 : 151). Le Moi ainsi constitué est « délimité par rapport aux autres (...) en tant qu’objets relationnels et modèles d’identification, mais aussi par rapport à l’Autre qui désigne le système de représentations et la structure langagière dans laquelle le sujet est pris » (Steichen, 2003 : 80). Ce principe préside à la formation des identités individuelles et collectives, les unes ne pouvant être appréhendées sans les autres. Ainsi, précisent Laclau et Mouffe, !

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une formation [hégémonique] ne parvient à se signifier (c’est à dire à se constituer comme telle) qu’en transformant les limites en frontières, qu’en établissant une chaîne d’équivalences qui pose ce qu’il y a au delà des limites comme ce qui n’est pas. C’est seulement par la négativité, la division, l’antagonisme, qu’une formation peut se constituer en horizon totalisant (2009 : 258).

Le mouvement de subjectivation hégémonique implique donc une opération incessante de désidentification-identification, qui seule permet au sujet collectif de se signifier et donc d’exister.

Le sujet politique en émergence 2.3.2

C’est le propre du politique - et de la littérature, écrit Rancière - que de faire émerger

en surimpression sur le compte des parties de la communauté et la complétude des corps, consentant et convenant, l’existence d’êtres sans corps, d’êtres faits de mots qui ne coïncident avec aucun corps, qui ne sont ni des propriétés de choses échangeables, ni des conventions d’un rapport d’échange (Rancière, 1998 : 194).

Hannah Arendt met aussi cette désidentification au centre de la subjectivation, mais elle l’envisage comme un écart à soi. La subjectivation (the disclosure of who I am) se réalise par une déhiscence à partir de ce que je suis (what I am). Pour Rancière, il n’y a pas d’écart à soi comme tel. Cet écart est un écart à mon identité assignée par l’ordre policier.

François Jullien met lui aussi ce processus de désidentification au cœur de la subjectivation comme ex-istance. Cette désidentification se produit à l’égard de « surfaces d’adhérences » que représentent la famille, la nation, la religion, la culture, le milieu, le voisinage, etc. Ainsi le sujet s’affirme « de ce qu’il fait brèche – autant qu’il fait brèche – dans la cloturation de ce qui fait monde, peut effectivement

! ./! se tenir « hors » et proprement « ex-ister » » (Jullien, 2016 : 15). La dialectique du

même et de l’autre se traduit par des mouvements de désadhérence – réadhérence. La subjectivation de Rancière marque une étape de plus vers la définition des identités collectives en ce qu’elle s’inscrit dans le même mouvement hégémonique collectif que celui théorisé par Laclau et Mouffe : la subjectivation n’est jamais une individuation. Elle produit des subjectivations collectives par la mise en chaîne d’équivalence de forces désidentifiées des corps biologiques et sociaux. Rancière fait référence à l’identification « prolétaire » lors du procès d’Auguste Blanqui en 1832. Lorsque le magistrat demande à Blanqui de décliner sa profession, celui-ci répond « prolétaire ». Il lui est rétorqué que « prolétaire » n’a jamais été une profession, à quoi Blanqui répond « c’est la profession de la majorité de notre peuple, qui est privée de droits politiques » (cité par Rancière, 1998 : 61).

Autrement dit, un sujet est un in-between, un entre-deux. Prolétaires fut le nom propre des gens qui étaient ensemble pour autant qu’ils étaient entre : entre plusieurs noms, statuts ou identités ; entre l’humanité et l’inhumanité, la citoyenneté et son déni ; entre le statut de l’homme de l’outil et celui de l’être pensant et parlant (Rancière, 1998 : 119)

Il y a trente ans, dit encore Rancière, nous étions tous des « juifs allemands », faisant référence à l’affiche de mai 1968.

La cause de l’autre comme figure politique, c’est d’abord cela : une désidentification par rapport à un certain soi. C’est la production d’un peuple qui est différent du peuple qui est vu, dit, compté par l’État, un peuple défini par la manifestation d’un tort fait à la constitution du commun, laquelle construit elle-même un autre espace de communauté (Ibid : 212)

Par un mouvement de désarticulation-réarticulation qui se vit d’abord comme une transgression, la formule « juif allemand » vient fixer une nouvelle notion autonome. Elle devient une formule au sens où la définit Krieg-Planque, c’est à dire une « formulation qui, du fait de [son] emploi à un moment donné et dans un espace public donné, cristallise des enjeux politiques et sociaux que ce[tte] expression contribue dans le même temps à construire » (2012 : 110). Comme le rappelle par

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ailleurs Laclau, « l’unité de l’ensemble équivalentiel, de la volonté collective irréductiblement nouvelle dans laquelle les équivalences particulières cristallisent, dépend entièrement de la productivité sociale d’un nom » (Laclau 2008 :131). Ballanche dit également à propos de la révolte des plébéiens sur le mont Aventin, que ces derniers écrivent « un nom dans le ciel » (cité par Rancière, 1995 : 47). Ce nom dans le ciel, complète Rancière, définit « une place dans un ordre symbolique de la communauté des êtres parlants, dans une communauté qui n’a pas encore d’effectivité dans la cité romaine » (Ibid). Le nom, comme signifiant particulier, vient représenter l’Universel absent. C’est le principe hégémonique de Laclau et Mouffe. Rancière rend particulièrement bien compte des logiques d’articulation à l’œuvre, cristallisées sous le nom.

Un sujet politique, ce n’est pas un groupe qui « prend conscience » de lui-même, se donne une voix, impose son poids dans la société. C’est un opérateur qui joint et disjoint les régions, les identités, les fonctions, les capacités existant dans la configuration de l’expérience donnée, c’est à dire dans le nœud entre les partages de l’ordre policier et ce qui s’y est déjà inscrit d’égalité, si fragiles et fugaces que soient ces inscriptions (Ibid : 65).

Deux conséquences : la première est que le « peuple » des sans-part est bien un signifiant flottant au sens où l’entendent Laclau et Mouffe. La seconde, son corollaire, que ce peuple ne cesse de se reconfigurer et de se réarticuler. En effet, « le peuple ne peut “gagner” ou il cesserait d’être peuple ; il ne peut pas s’emparer de la puissance » (Lefort, 2007 : 355). C’est à dire que « quand ceux qui étaient en bas sont passés en haut (...) reste le monde d’en bas, le monde du non-pouvoir » (Ibid), qui fait l’objet d’une réarticulation.

Lefort, s’appuyant sur sa lecture psychanalytique de Machiavel renvoie le peuple à son éternel manque à être et à sa constitution antagonique par rapport aux grands (dialectique du même et de l’autre) : « le désir du peuple est (...) à rigoureusement parler, sans objet. Il est l’opération de la négativité. Le peuple peut bien les convoiter, en tant que peuple, il ne saurait s’emparer des emblèmes du dominant, sans perdre sa position » (2000 [1978] : 222). Les éléments (ré)articulés dans la

! /"! chaîne incarnée par le signifiant choisi (qu’il soit le mot « peuple », « prolétariat »,

« démos », etc.) ne sont pas forcément des éléments donnés dans l’expérience sociale. La puissance de la subjectivation se situe justement dans leur dépassement :

Les intervalles politiques se créent en séparant une condition d’elle même, ils se créent en tirant des traits entre des identités et des lieux définis dans une place déterminée d’un monde donné, des identités et des lieux définis à d’autres places et des identités et de lieux qui n’y ont pas de place (Rancière, 1995 : 186).

Ces être collectifs « prolétariat », « juifs allemands » ne sont donc pas réductibles à la somme des êtres individuels qui les composent. Pierre Dardot oppose la singularité à l’individualité.

L’individualité se constitue par particularisation progressive à partir de cette identité présumée de l’humanitas (toujours la décomposition analytique qui se termine avec la species infima), alors que la singularité est en principe inaccessible à la subdivision de l’universel (Dardot, 2011 : 253).

Individualité et singularité chez Dardot correspondent donc aux omnis homo et totus homo de Vincent Descombes. Le premier terme de chacune de ces deux paires antagoniques renvoie à une « collection », qui « n’est rien d’autre que le référent d’une liste de noms (…) Si plusieurs employés du ministère ont voyagé au Japon le mois dernier, cela ne crée pas entre eux un lien social : nous n’avons pas dit qu’ils avaient voyagé ensemble » (Descombes, 2001: 334).

A l’inverse, totus renvoie au « collectif », non pas à « tout homme » mais à « l’homme tout entier ». Comment passer de la collection d’individus au sujet collectif ? Dans le faire et l’agir commun. Dans la vérification de l’égalité des sujets parlants.

Ce qu’on met communément au compte de l’histoire politique ou de la science du politique relève en effet le plus souvent d’autres machineries qui tiennent à l’exercice de la majesté, au vicariat de la divinité, au commandement des armées ou à la gestion des intérêts. Il n’y a de la

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politique que lorsque ces machineries sont interrompues par l’effet d’une présupposition qui leur est tout à fait étrangère et sans laquelle, pourtant, en dernière instance, aucune d’elles ne pourrait fonctionner : la présupposition de l’égalité de n’importe qui avec n’importe qui, soit, en définitive, l’effectivité paradoxale de la contingence de tout ordre (Rancière, 1995 : 37). C’est ce que Rancière nomme la vita democratica, renvoyant à la vita activa de Hannah Arendt.

Le commun n’est pas une détermination de l’être (ce qui nous met en commun, fut-ce sous la forme du manque ou du défaut), ni non plus une détermination de l’avoir (la somme de ce qu’on a en commun ou de ce que l’on met en commun) c’est une détermination de l’agir (ce qu’on fait en commun, ou plutôt l’agir commun lui-même) (Dardot, 2011 : 257).

Toute organisation sociale n’est donc pas politique. Au contraire, l’essentialisation et la fixation des positions différentielles qui la composent annulent le politique à l’œuvre dans la subjectivation. Pour la théorie des hégémonies, ce n’est que par l’agir confrontationnel qu’émerge le moment politique, comme réaffirmation de la contingence du social.

Identité en être vs subjectivation en faire 2.3.3

Le moment hégémonique se conçoit comme « un pur passage à l'acte, la construction de quelque chose de fondamentalement nouveau et non la révélation d'une identité «vraie» sous-jacente » (Laclau, 2014: 147). L’agir politique peut être un fait individuel, comme lorsque Rosa Parks refuse de se lever pour laisser une personne blanche s’assoir à sa place dans le bus. Il n’en produit pas moins un sujet collectif. La vie anonyme, particulière, devient la représentante d’un universel. Rosa Park devient le signifiant d’un mouvement hégémonique.

La signification politique de l’acte de Parks implique d’y voir à la fois une dimension irréductiblement individuelle (l’interruption de l’ordre) et une

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2015 : 201).

Chaque manifestant contre l’arrestation de Park contribue lui aussi au mouvement hégémonique. Les manifestants, indépendamment de leur origine ethnique, deviennent ensemble les « Noirs », le sujet du tort fondamental. Cet agir est plus fondamentalement celui de la mise en langage, de la représentation discursive d’où émerge le sujet collectif.

Le sujet collectif est en même temps un projet collectif, au sens de pro-jeter. Avant la mise en mot comme mise en acte, il n’y a « entre les identités en formation que de pures différences positionnelles, presque indéterminées quant aux contenus qu’elle proposent » (Landowski, 1997 : 26). L’acte de discours est instituant. Mais cette institution n’est toujours que précaire. Les frontières du sujet collectif, autrement dit de la formation hégémonique, bougent. Sans cet écart à soi qui crée le lieu de l’agir, sans la plasticité de la dialectique du même et de l’autre qui sans cesse renouvelle le sujet collectif, ce dernier disparait derrière les catégories sociales ou pire, dans l’infra-politique des corps biologiques qui nous exposent à une altérité radicale autant qu’à un gouffre identitaire.

Tassin rappelle que la subjectivation est bien un processus qui ne connaît pas de