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dégagent également des relations directionnelles de part et d’autre de l’acte, vers les actants. Personnification et axiologisation permettent l’investissement des sujets narrateurs et narrataires qui « donneront vie » aux actants selon les processus de l’adhésion et de l’opposition : ils en feront des mêmes ou des autres (Bres, 1994 : 116).

Cette représentation de l’autre portée par la textualité en même et soi-même, opérant une description-catégorisation objectivante du monde, passe par le centre de perspective unique d’un locuteur-énonciateur. Mais ce dernier peut également opérer un décrochage énonciatif et nous donner un accès – certes toujours médié par lui – au foyer de conscience de l’autre.

3.2 La problématique du Point de vue

La représentation du foyer de conscience de l’autre apparaît à travers la représentation de ses actes discursifs. Ces actes discursifs sont entendus en sens large, incluant son discours rapporté mais le dépassant, l’ouvrant plus largement sur ses pensées et perceptions, c’est à dire les « phrases sans parole » d’Anne Banfield (1995). Rabatel les intègre au sein d’une théorie générale du Point de vue.!

L’autre représenté par son discours 3.2.1

Le locuteur-énonciateur qui rapporte intentionnellement, que ce soit explicitement ou implicitement, le discours de l’autre (hétérogénéité montrée), offre une représentation de cet autre. Dans le cas du discours rapporté direct, le décrochage énonciatif est plus marqué : « ce sont les mots mêmes de l'autre qui occupent le temps - ou l'espace-, clairement découpé dans la phrase, de la citation, le locuteur s'y donnant comme simple "porte-parole" » (Authiez-Revuz, 1982 : 92). Dans le cas du discours rapporté indirect, ce décrochage est bien présent, toutefois médié par le discours du locuteur-énonciateur : « le locuteur se donne comme traducteur : faisant usage de ses propres mots, il renvoie à un autre comme source du "sens" des propos qu'il rapporte » (Ibid).

! "()! Le discours rapporté a essentiellement été étudié par les linguistes dans ses formes

canoniques et dans une approche purement morpho-syntaxique. Dès lors, la prise en compte des formes s’écartant des prototypes du discours rapporté direct (DR) ou indirect (DI), a suscité de nombreuses interrogations, quant à leur statut. C’est le cas en particulier du discours indirect libre (DIL). Ici, à l’instar de Laurence Rosier, nous entendons adopter une approche discursive et pleinement dialogique du discours rapporté, intégrative de ces « formes mixtes » (1999) qui combinent marques du discours indirect à travers l’usage de la complétive, et typographie du discours direct.

Le DIL, considéré comme l’équivalent linguistique du reste, ne serait pas sans rappeler l’inconscient freudien qui, exclu ou refoulé par les règles de la grammaire, fait retour, non sous forme de mots d’esprit ou de lapsus, mais sous forme d’indices, qui constituent la trace linguistique de la parole d’un autre qui se manifeste à travers lui (Monique de Mattia citée par Rosier, 2008 : 51).

Rosier sort donc le discours de l’autre des catégories linguistiques figées et y voit bien plus « un continuum guidé par un mouvement d’appropriation du discours d’autrui par le sujet, de la mise à distance maximale à l’ingestion/digestion de la parole de l’autre » (1999 : 9). Cette approche ouvre aussi l’analyse aux jeux de modalisation autonymique étudiés par Authier-Revuz (connotations autonymiques, gloses et commentaires, catégorisations métalangagières etc.) (1982 ; 1995 ; 2012). Ce réglage de la distance avec l’autre se mesure dans les jeux de passage entre ma parole et la sienne, au sein, le disait déjà Bakhtine, d’une « gradation infinie dans les degrés de l’altérité (ou de l’assimilation) du mot (…). Il y a non seulement le discours indirect libre mais aussi toutes les formes du discours d’autrui, caché, semi-caché, diffus » (cité par Ponzio, 1985 :124).

Ces jeux de passage entre le locuteur-énonciateur et des énonciateurs seconds se fait via les « discordantiels » (Rosier, 1999 : 153) ou « passeurs » (Rosier 2008 : 16), que ces derniers soient syntaxiques, énonciatifs ou discursifs. Il s’agit finalement de « tous les mots ou locutions permettant d’attirer le dire du narrateur (rapporteur) vers

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le dit du personnage » (Rosier, 1999 : 153) : connecteurs, ruptures modales, morphèmes d’assertion ou de dénégation, interjections, phrases en mode nominal, ou encore ruptures lexicologiques.

La vision intégrative de Rosier permet de mettre en lumière des « espaces énonciatifs », indépendamment des marques syntaxiques et linguistiques classiques du discours rapporté.

On posera une dépendance énonciative interphrastique ou cotextuelle dans le cadre des discours dits libres et une dépendance énonciative intraphrastique pour les discours régis et les modalisations en discours second (Rosier, 2008 : 54).

Cette parole ne doit pas forcément être littéralement retranscrite, comme dans le cas du discours rapporté direct. Rapporter signifie « à la fois citer, c’est-à-dire reproduire intégralement un segment dit ou écrit, mais aussi résumer, reformuler, voire évoquer ou interpréter un discours » (Ibid : 3). La notion de « discours représenté » permet ainsi de rendre compte d’une parole supposée. Celle-ci peut faire référence à une parole tout à fait « inventée ». Rosier en fait un « pseudo-discours rapporté ». Le plus souvent, il ne s’agit pas d’une parole purement fabriquée, mais d’une parole interprétée. Ainsi, « le discours cité (...) ne renvoie pas à un dit identifiable (je ne veux plus de toi) mais à une interprétation (fondée ou non) à partir d’un dit auquel, dans ce cas, nous n’avons pas accès » (Ibid : 20). Dans ce cadre et suivant l’approche dialogique de la praxématique, la circulation des discours représentés permet de mettre en lumière le rôle des représentations de l’altérité dans la construction discursive des identités. Les discours en circulation révèlent alors une multiplicité de relations entre des « espaces énonciatifs » (Ibid) qu’ils mettent en existence.

Le discours de l’autre peut être expressément évalué. Même en l’absence de marqueur linguistique ou discursif de cette évaluation, la convocation du discours représenté ne peut pas ne pas dire la relation du locuteur-énonciateur avec l’énoncé représenté et son énonciateur. La distance que le discours représenté introduit n’est cependant pas toujours liée à une évaluation axiologique négative. La distance peut

! "(+! aussi s’appréhender comme recours à un discours d’autorité venant légitimer le

propre discours du locuteur-énonciateur. Rosier appelle « métonymie énonciative » le discours citant « légitimé par un renvoi à un énonciateur stéréotypé qui est moins là pour lui-même que pour la catégorie qu’il représente et son discours représentant » (Ibid : 42).

Parfois, la source n’est pas indiquée. Ainsi l’effacement énonciatif donne-t-il l’impression que le locuteur « se retire de l’énonciation, qu’il « objectivise » son discours en « gommant » non seulement les marques les plus manifestes de sa présence (les embrayeurs) mais également le marquage de toute source énonciative identifiable » (Vion, 2001 : 334). Cela peut contribuer à construire une vision objectivisante, naturalisée du monde, à l’instar de « l’énonciation historique » de Benveniste (1976). Cela peut aussi renvoyer aux situations de « particitation » selon Maingueneau, par exemple dans le cas des proverbes et adages (« particitations sentencieuses »), ou des slogans politiques (« particitations de groupes »), avec lesquels il est fait référence à un « hyperénonciateur » communautaire, transcendantal ou universel (2004). Le continuum du DIL aux énoncés doxiques « va de pair avec une actualisation énonciative croissante du délocutif vers l’interlocutif » (Rosier, 2008 : 53) Nous ajouterons : jusqu’à l’allocutif.

Rosier va plus loin dans l’ouverture du discours représenté sur tous les phénomènes d’hétérogénéité énonciative. Ainsi, à côté du discours peuvent être rapportés « des pensées (se dire, penser, croire), des émotions (s’étonner, craindre), des perceptions (entendre, voir, sentir), des actes (à l’aide de verbes performatifs comme promettre, condamner) » (Ibid : 21). La théorie du Discours représenté chez Rosier se rapproche donc particulièrement de celle du Point de vue, chez Rabatel.

L’autre représenté par ses pensées et perceptions 3.2.2

Rabatel s’intéresse à la manifestation de l’intersubjectivité et à sa valeur argumentative dans le récit. Pour lui, les choix opérés par le narrateur pour mettre en scène ses personnages « s’avèrent des moyens de connaissance par lesquels scripteur et lecteur construisent leur être au monde à travers leur rapport au monde et au

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langage, dans une posture réflexive fondée sur la dimension cognitive de la mimesis, sans oublier pour autant les émotions, à travers les phénomènes empathiques » (2008 : 11). Lecteur critique de la focalisation chez Gérard Genette, il développe ainsi une théorie de la construction discursive des points de vue (PDV) dans le récit. Rabatel part de la distinction entre énonciateur et locuteur, telle que formalisée par Ducrot, l’un des pionniers de l’analyse de la polyphonie dans le discours.

Le locuteur, responsable de l’énoncé, donne existence, au moyen de celui-ci, à des énonciateurs dont il organise les points de vue et les attitudes. Et sa position propre peut se manifester soit parce qu’il s’assimile à tel ou tel des énonciateurs, en le prenant pour représentant […], soit simplement parce qu’il a choisi de les faire apparaitre et que leur apparition reste significative, même s’il ne s’assimile pas à eux (Ducrot, 1984 : 205).

Tout locuteur est automatiquement énonciateur, ce qui n’est pas forcément le cas inversement. Cette distinction est fondamentale lorsqu’il s’agit d’analyser le dialogisme d’un discours, le point de vue des énonciateurs convoqués pouvant être exprimé sans qu’il ne soit nécessaire de leur faire prendre la parole :

Ces êtres qui sont censés s’exprimer à travers l’énonciation, sans que pour autant on leur attribue des mots précis ; s’ils parlent, c’est seulement en ce sens que l’énonciation est vue comme exprimant leur point de vue, leur position, leur attitude, mais non pas, au sens matériel du terme, leurs paroles (Ducrot, 1985 : 204).

Rabatel, avec Homo Narrans, approfondit la réflexion initiée par Ducrot. Selon lui, le PDV « se définit par les moyens linguistiques par lesquels un sujet envisage un objet, à tous les sens du terme envisager (allant de la perception à la représentation mentale, telles qu’elles s’expriment dans et par le discours), que le sujet soit singulier ou collectif » (Rabatel, 2008 : 21). Ces points de vue peuvent être exprimés directement et explicitement. Ils peuvent aussi apparaître en l’absence de marques explicites d’énonciation. Le narrateur se positionne ainsi en metteur en scène du spectacle linguistique du monde :

! "(-! La disjonction locuteur/énonciateur rend compte des possibilités que le

locuteur se donne, en tant qu’énonciateur, pour tourner autour des objets du discours, pour envisager les faits, les mots et les discours, les notions, les situations, les évènements, les phénomènes de tel ou tel PDV, dans le présent, le passé ou le futur, par rapport à soi ou par rapport aux PDV d’autrui (2012 : 2)

Dans un récit, il n’y a donc toujours qu’un seul centre de perspective déictique (par rapport au triptyque ego, hic et nunc) : celui du narrateur. Mais ce dernier peut multiplier les centres de perspective modaux. Ainsi les personnages d’un récit « agrègent autour d’eux un certain nombre de contenus propositionnels qui indiquent le PDV de l’énonciateur intradiscursif sur tel évènement, tel état, telle notion, etc. » (2008 : 59). Ce dernier est nommé « énonciateur second » (Ibid). A côté des énonciateurs seconds, internes à l’énoncé, Rabatel distingue encore des énonciateurs « de l’extérieur », « auxquels sont accrochées de façon prototypique un certain nombre de positions, mais qui sont dénués d’autonomie dans la mesure où ils ne sont convoqués dans le discours du locuteur citant que pour renvoyer à une position, sans que celle-ci ne serve à appréhender l’univers du discours à partir de ses valeurs » (Ibid). María Dolores Vivero García insiste en effet sur la différence entre « foyer énonciatif » et « foyer de conscience » (2010). Même sans débrayage énonciatif, un discours narrativisé peut donner accès à un foyer de conscience, dont il entend transmettre un état mental (dimensions perceptive, affective et cognitive).

Le narrateur peut aussi entrer en interaction avec ses propres points de vue et « rendre compte des diverses postures autodialogiques du locuteur, lorsqu’il se distancie de tel ou tel point de vue qui avait été le sien, ou qui pourrait être le sien dans d’autres cadres de véridiction (hypothèse, ironie, concession, négation, etc.) » (Rabatel, 2008 : 59). On parle de « dialogisme intra-locutif » avec Bres, lorsque « la production du discours se fait constamment en interaction avec ce que le locuteur a dit antérieurement et avec ce qu’il envisage de dire » (2008 : 854). Ainsi, dans l’autodialogisme, « le locuteur-énonciateur enchâssant E1 [dans notre cas, le narrateur] est coréférent à l’énonciateur enchâssé e1, mais temporellement distinct de lui et le contraste énonciatif est mesurable : l’énoncé enchâssant [E] fait écho à un

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énoncé enchâssé [e] et les marques du positionnement de E1 par rapport à [e] forment les traces de l’activité autodialogique » (Salvan, 2012 : 85).

Des identités se forment comme autant de chaînes d’équivalences devenant des centres de perspectives modaux – des « sujets de conscience » (Rabatel, 1998) en interaction. L’identification de la source du PDV s’appréhende par degré de prise en charge énonciative (PEC) des contenus propositionnels par le narrateur, qui va de leur pleine validation – il joue sur l’équivalence et les prend en charge comme siens – à leur imputation à d’autres énonciateurs – il s’en distancie clairement. Concernant la posture du locuteur principal-narrateur vis-à-vis du point de vue enchâssé, Rabatel distingue donc trois modalités : le narrateur peut simplement attribuer clairement le contenu propositionnel (dictum) de l’énoncé enchâssé à un énonciateur second (marque la distance) : on parle alors d’« imputation ». Le narrateur peut ensuite intégrer ce dictum à son dire, sans se prononcer sur sa validité : on parle alors de « prise en compte » énonciative (« PEC zéro »). Enfin, le narrateur/locuteur principal peut assumer le dictum, qu’il valide comme vrai : il réalise alors une « prise en charge » énonciative. Cette prise en charge énonciative peut demeurer implicite : Rabatel la nomme « consonance ». Elle aboutit à une « co-énonciation, en tant que production d’un PDV unique et partagé, les deux locuteurs ne formant qu’un seul énonciateur » (Rabatel, 2008 : 67). Nous retrouvons ainsi dans la théorie du PDV la tension propre à la dialectique du même et de l’autre, centrale dans le modèle praxématique de la textualité en même et en soi-même, comme dans la théorie des hégémonies qu’il vient outiller.

La construction discursive du PDV s’envisage comme un procès en réflexivité. Rabatel distingue ainsi trois formes de points de vue : le « point de vue raconté », ou « embryonnaire », transmet les perceptions et pensées d’un des personnages, tout en maintenant le centre focal chez le narrateur/énonciateur principal (discours indirect). Il « consiste en un débrayage énonciatif minimal, pour envisager les choses d’un PDV différent, sans déployer dans le discours un espace qui puisse être explicitement interprété comme une prédication complète émanant d’un énonciateur intradiégétique » (2008 : 74).

! "(/! Le « point de vue représenté », quant à lui, transmet les perceptions et pensées d’un

personnage qui devient le centre focal de l’énoncé. Il s’apparente ainsi au discours indirect libre. Le « point de vue asserté » correspond au discours rapporté direct et est explicitement attribué à un personnage. Nous sommes donc face à un continuum perception, pensée, parole (Rabatel, 2003a). Mais les marques d’identification et de discrétisation de PDV ne se limitent donc pas aux marques du discours rapporté et au choix du modus9. Le PDV est également porté par le dictum et devient, nous le verrons, un passage obligé de l’analyse des processus de catégorisation et de nomination :

Le PDV renvoie à tout ce qui, dans la référenciation linguistique, exprime la subjectivité (savoir, axiologie, motivation de l’action, etc.), tant dans le modus que dans le dictum (2005a : 231).

On le voit donc, considérée dans la tension du récit, la multiplication des points de vue (ceux de ses personnages et le sien), permet au narrateur de placer son lecteur en situation d’empathie, au plus proche des différents ressorts dramatiques du récit, des perceptions et opérations de pensée de chaque actant. La multiplication des centres modaux de perspective ou sujets de conscience lui permet d’assumer ou récuser un énoncé, ou de ne pas trancher en marquant l’absence d’engagement et l’apparente neutralité. Rabatel distingue alors trois postures énonciatives qui intéressent directement le procès de subjectivation discursive : la sur-énonciation, la sous-énonciation et la co-sous-énonciation.

Postures énonciatives et subjectivation collective 3.2.3

Rabatel complète ainsi la réflexion sur les figements de la dialectique du même et de l’autre avec les postures de co/sur et sous-énonciation (2004 ; 2005b ; 2008 ; 2011). En s’intéressant à la hiérarchisation des Points de vue, il travaille d’emblée la relation entre ces points de vue. La sur-énoncitation est définie comme « une co-construction inégale d’un PDV surplombant » (2005b : 102). Dans ce cas, la !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

9 Bally distingue le contenu prépositionnel d’un énoncé, nommé dictum et la modalité (ou position du sujet parlant) affectant ce dictum, le modus (Büyükgüzel, 2011).

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distance émise avec le PDV autre repris est claire. Cela ne veut pas dire qu’il est en opposition que le PDV surplombant du locuteur-énonciateur se pose forcément en opposition avec le PDV dominé ou surplombé. Il peut le reprendre en tout ou partie, en modifier le contenu ou l’orientation argumentative (2011 : 158).

La sous-énonciation est définie à l’inverse par Rabatel comme la « construction inégale d’un PDV dominé » (2005b : 102). Cette fois, c’est donc bien le locuteur-énonciateur qui « émet un PDV dominé, au profit d’un sur-locuteur-énonciateur » (2011 : 158). Il reprend ainsi un PDV antérieur qu’il prend en compte dans son propre PDV, mais « sans le prendre en charge, c’est-à-dire sans le prendre à son compte » (Ibid). Les deux PDV ne s’épousent pas. Nous sommes donc toujours, dans ces deux cas de sur et sous-énonciation, face à la mise en discrétion de deux sujets de conscience.

La co-énonciation suppose au contraire la formation d’« un PDV commun et partagé » (2005b :102). Notons que la notion de co-énonciation dans le modèle des postures énonciatives diffère de celle que nous avons pu utiliser ci-avant (cf. 2.1.2) pour montrer la nature intersubjective de toute énonciation. En analyse du discours, le terme de co-énonciateur est utilisé dans un cadre plus large pour désigner des interlocuteurs (Maingueneau, 2009 : 25).

Rabatel avertit quant à lui ses lecteurs sur la distinction claire à opérer entre son concept de co-énonciation et celui développé par Culioli, puis à sa suite par Danon-Boileau et Marie-Annick Morel, qui renvoie en fait au dialogisme interlocutif et aux « calculs du locuteur pour produire un énoncé qui recueille le consensus de l’interlocuteur en anticipant sur ses réactions » (Rabatel, 2004a : 9). De même, l’auteur invite à ne pas confondre la co-énonciation dans la théorie Point de vue, avec la co-énonciation de Thérèse Jeanneret, qui s’analyse davantage comme une colocution, une « coproduction par deux locuteurs d’une intervention monologique » (2005b : 100). C’est par exemple le cas d’une reprise/répétition immédiate par un interlocuteur d’un même énoncé dans un cadre dialogal. Nous sommes toujours face à deux sujets de conscience et la problématique de la prise en charge y est pleinement absente. Dans la problématique du point de vue, la co-énonciation

! ")"! suppose, à l’image de la fusion en idem 1, une dyade, un « mélange d’espaces

mentaux » (2008 : 433).

Rabatel insiste sur la forte plasticité de postures énonciatives. Celle-ci renvoie à la propre plasticité de la dialectique du même et de l’autre et à la fragilité du nous comme identité collective. Deux constats sont dès lors faits par l’auteur.

Le premier est qu’un même locuteur peut changer de posture au sein d’un même discours. En effet, il précise que de la même manière que l’identité discursive est indépendante de l’identité sociale, la place de sur-énonciateur, sous-énonciateur ou co-énonciateur, est indépendante des places sociales et des relations sociales entre les locuteurs auxquels sont attribués ces points de vue/postures, qu’il s’agisse de « relations verticale (statut, place) et horizontale (familiarité, distance), relations affectives (attraction, répulsion) et idéologiques (consensus, dissensus) » (2004a : 11).

Le second constat concerne la fugacité de la co-énonciation, de laquelle l’émergence d’une sur-énonciation ou sous-énonciation est toujours en sursis, sauf dans les cas d’hyperénonciation et de particitation relevés par Maingueneau. De la même manière qu’est décrite l’égogénèse dans la praxématique, la génèse d’une posture énonciative chez Rabatel ne s’analyse pas comme un saut entre des catégories alternatives : « les interactions sont, au fil du discours, processuelles et instables et se laissent mal caractériser comme relevant d’une façon nette et bien identifiée d’une