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1.3 Les outils pour les études en neurobiologie chez la drosophile

1.3.1 Des outils génétiques extrêmement puissants

1.3.2.2 Le suivi de l’activité neuronale

Les neurones étant des cellules complexes capables d’activité électrique et biochimique, il existe de nombreuses modalités d’imagerie fonctionnelle pour l’analyse de l’activité neuronale

in vivo. Les développements de rapporteurs encodés génétiquement permettent de suivre

spécifiquement dans certains neurones l’activation de différentes voies moléculaires. Des senseurs ont été développés à cet effet pour différentes voies de signalisation intracellulaire : le largage de vésicules synaptiques [32], la synthèse de molécules telles que l’AMPc [33] ou les flux d’ions calcium cytoplasmiques (articles de revue : [34, 35,36, 37, 38]).

Les sondes principalement utilisées en neurobiologie chez la drosophile sont des sondes basées sur les échanges calciques. En effet, les ions calcium Ca2+ intracellulaires sont des seconds messagers universels impliqués dans de nombreux processus physiologiques dont la communication neuronale. La concentration en ions calcium Ca2+ dans le cytoplasme des neurones est environ 10000 fois plus basse que celle du milieu extracellulaire. Lors du passage d’un potentiel d’action, des ions calcium entrent dans le cytoplasme des neurones. Le suivi de cette voie de signalisation biochimique est donc d’un grand intérêt pour l’étude de l’activité neuronale. Ainsi, de nombreux indicateurs calciques ont été développés : on compte actuel-lement plus d’une centaine d’indicateurs calciques synthétiques ou encodés génétiquement GECI (pour “Genetically Encoded Calcium Indicator”). Tous ces indicateurs reposent sur le même mode de fonctionnement, à savoir des propriétés d’absorption ou d’émission variant suivant le couplage ou non à des ions calcium. Les indicateurs calciques les plus couramment utilisés, il y a quelques années, étaient les indicateurs synthétiques comme le fura-2, le fluo-4 ou l’Oregon Green BAPTA-1 AM ester (BAPTA : acide 1,2-bis(o-aminophénoxy)éthane-N,N,N’,N’-tétraacétique, AM ester : acétométhylester). La limitation de ce type de sondes pour des études in vivo est l’impossibilité de les exprimer dans des sous-populations de neurones

spécifiques ou dans des compartiments sub-cellulaires bien déterminés. C’est pour dépasser cette limitation qu’ont été développées de nombreuses familles de sondes calciques encodées génétiquement. Certaines de ces sondes sont constituées d’une seule protéine fluorescente telles que Camgaroo, Pericam, GECO et G-CaMP et d’autres sont basées sur l’utilisation de deux protéines fluorescentes et du mécanisme FRET (Förster Resonance Energy Transfer), comme par exemple la sonde TN-XXL [39] ou la sonde Cameleon [40]. Les caractéristiques les plus importantes pour le choix de la sonde appropriée à la problématique biologique sont :

– la variation maximale du signal de fluorescence entre l’état basal, état non liant du calcium, (Fmin) et l’état liant du calcium (Fmax),

– les temps de réponse à l’excitation et de retour à l’état basal,

– la taux d’affinité pour le calcium, exprimé à l’aide du paramètre Kd. Plus la valeur de Kd est petite, plus la sonde a une grande affinité pour le calcium et donc plus la saturation sera rapide en terme de variation de concentration calcique. Cette constante de dissociation Kd renseigne alors sur la gamme de variation de la concentration calcique intracellulaire sur laquelle la sonde est sensible.

Figure 1.9 – (A) Principe de fonctionnement des sondes calciques de la famille G-CaMP. La figure est adaptée de [41]. (B) Structure cristallographique de la molécule G-CaMP. La figure est adaptée de [42]. Pour (A) et (B), en haut se trouve la forme non liante du calcium et en bas la forme liante du calcium de la molécule G-CaMP. Dans la forme non liante, le chromophore qui se trouve dans le “tonneau” de la protéine fluorescente (cpEGFP) est exposé au milieu intracellulaire ce qui le rend peu fluorescent. Dans la forme liante, le chromophore est protégé par le “tonneau” et fluoresce avec sa plus grande efficacité.

Au cours de mes travaux, j’ai plus particulièrement utilisé une sonde calcique de la famille des G-CaMP que je vais décrire ici. La sonde G-CaMP est une molécule créée par fusion de la molécule fluorescente cpEGFP avec la calmoduline (CaM) et la séquence peptidique

appelée M13, comme représenté sur la figure 1.9. La calmoduline est une molécule pouvant se lier à quatre ions calcium Ca2+. Lorsque la concentration intracellulaire en Ca2+ est faible, la molécule de G-CaMP est faiblement brillante car son chromophore est exposé au milieu intracellulaire. Lors du passage d’un potentiel d’action, des canaux membranaires s’ouvrent laissant entrer des ions Ca2+ du milieu extracellulaire vers le cytoplasme. La concentration intracellulaire en ions Ca2+ augmente alors conduisant à un changement conformationnel de la molécule G-CaMP. Ce réarrangement se traduit par une variation importante de son rendement de fluorescence. La fluorescence émise par la sonde G-CaMP est alors plus importante qu’à l’état basal [42,43].

La première version de cette sonde, G-CaMP1 a été développée en 2001 et présente une augmentation d’un facteur 4.3 de sa fluorescence entre l’état non liant et l’état liant du calcium [44]. Sa très faible brillance a été améliorée conduisant au développement de la sonde G-CaMP1.6 et des sondes G-CaMP de seconde génération G-CaMP2 [45, 46, 47, 48]. La G-CaMP3 a été optimisée de façon à présenter une variation de fluorescence triplée par rapport à la sonde G-CaMP1 [49]. Les avancées les plus récentes concernent davantage la rapidité et la dynamique de variation de la fluorescence avec le développement des G-CaMP5 (5A, 5D, 5G, 5K et 5L) et G-CaMP6 (6f “fast”, 6m “medium”, 6s “slow”) [9, 50]. La sonde G-CaMP6f est la version la plus optimisée en terme de rapidité de la famille des G-CaMP6. C’est la sonde calcique que j’ai utilisée lors de ma thèse pour suivre des réponses neuronales à des stimulations très brèves de type micro-chocs électriques. Son temps de réponse est estimé à quelques centaines de millisecondes. Sa variation de fluorescence est très importante lors de l’activation avec un rapport Fmax/Fmin valant 29.2 en comparaison de la sonde G-CaMP3 pour laquelle ce rapport vaut 12.0. La constante de dissociation de la sonde G-CaMP6f reste néanmoins très proche de celle de la sonde G-CaMP3 (Kd = 290 nM ). Cette sonde est donc suffisamment sensible pour mesurer les variations de calcium intracellulaire en réponse à des stimulations chez la drosophile car la sonde G-CaMP3 est traditionnellement utilisée à cet effet [49, 51, 52]. Les sondes calciques ont atteint un degré de maturité important avec de nombreux développements ces dernières années concernant la rapidité, la photostabilité, la sensibilité, permettant des études optiques quantitatives de l’activité neuronale in vivo chez la drosophile, le poisson zèbre ou la souris par exemple. Des développements ont également été menés concernant le domaine spectral des sondes calciques avec non seulement des sondes émettant dans le vert mais également à plus basse et à plus haute longueur d’onde, facilitant l’imagerie multi-couleur [53, 54]. L’utilisation de sondes émettant dans le rouge permet une imagerie en profondeur avec moins d’absorption et de diffusion par les tissus biologiques à la fois à l’excitation et à l’émission. Cela autorise aussi l’utilisation simultanée de sondes calciques pour l’imagerie fonctionnelle et d’actuateurs optogénétiques activables dans le bleu, sans recouvrement spectral. Ces outils optogénétiques seront décrits dans la section 1.3.2.6. Récemment, des sondes photoactivables sensibles à la concentration intracytoplasmique en calcium, de la famille des sondes G-CaMP, ont été développées [55]. Ces sondes présentent le grand intérêt de permettre à la fois une imagerie morphologique avec un bon contraste par photoactivation, et une imagerie fonctionnelle calcique des réseaux neuronaux par exemple.

Figure 1.10 – Principe de fonctionnement de la sonde voltage ArcLight. (A) Représentation schématique de la sonde fluorescente fixée sur la membrane cellulaire. (B) Schématisation de la variation de fluorescence de la sonde lors d’une dépolarisation des neurones. La figure est extraite de [41].

La principale limitation de l’utilisation du signal calcique est le fait que c’est une mesure indirecte de l’activité neuronale. En effet, le senseur idéal en terme de neurobiologie pour étudier un réseau neuronal en activité serait une sonde fluorescente encodée génétiquement sensible directement au potentiel membranaire des neurones. L’information neuronale se propage dans le cerveau sous forme de signaux électriques. Ainsi le potentiel membranaire, correspondant à la différence de potentiel électrique entre l’intérieur et l’extérieur du neurone, est considéré comme le signal d’intérêt le plus direct pour étudier l’activité neuronale. Néanmoins, l’imagerie du potentiel de membrane est difficile de part la nature même des signaux électriques. En effet, elle requiert l’utilisation de sondes fluorescentes suffisamment rapides pour suivre la variation du potentiel membranaire qui se déroule sur une échelle de temps typique de l’ordre de la milliseconde. Les sondes doivent également être assez sensibles pour avoir un rapport signal sur bruit suffisant d’autant plus que ces sondes étant fixées à la membrane, cela réduit leur expression volumique en comparaison de sondes qui sont exprimées dans le cytosol des cellules. Les sondes sensibles au potentiel membranaire sont appelées sondes voltage. Les premières sondes voltage à avoir été développées, comme dans le cas des senseurs calciques, étaient des sondes synthétiques [56] qui permettaient de rapporter l’activité électrique avec une résolution temporelle de l’ordre de la milliseconde [57]. Néanmoins, ces sondes synthétiques souffrent de deux grandes limitations : un marquage non spécifique et une toxicité. Des sondes encodées génétiquement, VSFP (pour “Voltage-Sensitive Fluorescent Protein”), permettent désormais le ciblage et l’expression spécifique dans les neurones d’intérêt [58, 59]. Ces sondes présentaient toutefois à leur début un grand manque de sensibilité qui explique que les sondes calciques, qui étaient alors disponibles, aient alors été largement employées en substitution pour les études neurobiologiques par imagerie optique. Ces sondes génétiques sensibles au potentiel membranaire se sont améliorées au cours des années (articles

de revue : [60, 61, 62]), tant en sensibilité [63] et en rapidité [64] que sur leur capacité à cibler correctement les membranes plasmiques des neurones dans des milieux in vitro et in

vivo. Elles ont atteint aujourd’hui un degré de maturité suffisant pour être employées afin de

répondre à de réelles questions physiologiques au sein d’une grande population de neurones. Leur utilisation permet de surpasser, en terme de nombre de neurones étudiés en parallèle, l’électrophysiologie classique qui consiste à enregistrer l’activité électrique des neurones avec des électrodes. La sonde voltage, que j’ai utilisée lors de ma thèse, est appelée ArcLight et a été optimisée en sensibilité pour être utilisable pour l’imagerie cérébrale in vivo de la drosophile [10, 65,66]. Une schématisation de la sonde voltage Arclight ainsi que son principe de fonctionnement sont donnés à la figure 1.10. La sonde voltage Arclight consiste en la fusion d’une variante de la molécule de GFP sensible au pH, la pHluorin écliptique avec la mutation A227D, et de la phosphatase sensible au voltage issue de l’animal marin Ciona intestinalis. Lors du passage d’un potentiel d’action, le domaine chargé positivement va être le “senseur” du potentiel et modifier sa conformation. Cela conduit à un changement d’encombrement stérique du rapporteur pHluorin écliptique et par conséquent à une variation de son intensité de fluorescence. Une dépolarisation de la membrane plasmique entraîne une diminution de la fluorescence du fluorophore.

Figure 1.11 – Schématisation d’un potentiel d’action et du suivi optique de l’activité neu-ronale avec les rapporteurs fluorescents encodés génétiquement : G-CaMP6f et ArcLight. (A) Schématisation du suivi de la propagation d’un potentiel d’action par des biosenseurs fluo-rescents. La sonde G-CaMP6f est exprimée dans le cytoplasme des neurones tandis que la sonde voltage ArcLight est ancrée à la membrane. Les vésicules contiennent des molécules de neurotransmetteurs. (B) Schématisation des différentes phases d’un potentiel d’action.

La figure 1.11A schématise l’utilisation des sondes calciques et voltage pour sonder l’activité neuronale ainsi que la localisation de leur expression au niveau des neurones. Lors de la propagation d’un potentiel d’action, la membrane plasmique des neurones subit un change-ment rapide de son potentiel (figure 1.11B). Au repos, le potentiel membranaire est d’environ -60 mV. Après application d’une stimulation, le potentiel membranaire augmente jusqu’à atteindre +40 mV. Il s’agit de la phase de dépolarisation du neurone correspondant à son excitation. Le potentiel diminue ensuite jusque -90 mV environ. Lors de cette phase, appelée hyperpolarisation, le potentiel membranaire est inférieur à sa valeur au repos correspondant à une inhibition du neurone. Le potentiel remonte enfin à sa valeur au repos. Lors du passage du potentiel d’action, des canaux sensibles au voltage s’ouvrent laissant entrer entre autres des ions calcium dans le neurone. La sonde calcique exprimée dans le cytosol des neurones traduit alors par une variation de sa fluorescence cette variation de concentration calcique intracellulaire. La sonde voltage ArcLight, ancrée à la membrane des neurones, permet un accès direct à l’information du potentiel membranaire. Dans le cas de mon étude, l’intérêt n’a pas été de sonder l’activité neuronale à l’échelle du potentiel d’action unique mais de suivre l’activité générale des neurones des corps pédonculés de la drosophile.

Hormis le suivi de l’activité électrique des neurones ou de la concentration calcique dans les neurones, le développement des sondes fluorescentes encodées génétiquement permet d’étendre les modalités de suivi de l’activité neuronale qui peuvent être étudiées par voie optique. Ainsi, certaines sondes, comme la SynaptopHluorin [32], permettent par exemple de suivre l’activité synaptique. Lors de la propagation de l’information neuronale, le passage d’un potentiel d’action conduit à la fusion de vésicules contenant des neurotransmetteurs avec la membrane du neurone présynaptique. Lorsque les vésicules de neurotransmetteurs sont libérées dans le milieu extracellulaire, le pH augmente conduisant à une augmentation de la fluorescence de ce fluorophore.