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CHAPITRE 4 : La vie d’avant

4.2 Subvenir à ses besoins

Toutes les femmes que j’ai eu l’occasion de rencontrer avaient vécu en milieu rural avant de venir en ville. C’est là qu’elles ont développé leurs habiletés dans le domaine de l’agriculture, la principale activité économique dans les villages. Il est donc plus facile pour elles de trouver du travail à la campagne qu’en ville où elles se retrouvent une fois déplacées. Certaines des femmes rencontrées, avant le déplacement, effectuaient du travail agricole, pour elles ou pour un employeur, d’autres

possédaient leurs propres petites affaires alors que plusieurs ont été travailleuses domestiques.

Le niveau d’instruction peut aussi expliquer les difficultés économiques. Par exemple, celle que j’appelle cousine Béatrice, a complété un niveau technique en éducation à la petite enfance. Camila pour sa part, poursuivait des études à l’université dans le domaine de l’ingénierie environnementale. Camila est la seule des femmes rencontrées à poursuivre des études universitaires. Son jeune âge, 19 ans, peut en partie expliquer cette situation puisque depuis la Loi 70 de 1993, la Colombie a tenté de soutenir l’instruction chez les populations afro-colombiennes (Cunin 2004).

Beatrice, Daniela et Ella vendaient du poisson, chacune dans leurs villages respectifs. Elles travaillaient à leur compte et s’occupaient elles-mêmes d’acheter du poisson qu’elles revendaient au village « […] j’allais et prenais tous les poissons le jeudi et le vendredi, samedi et dimanche j’allais le vendre » (Daniela entrevue du 17 mars 2015). Comme elles travaillaient à leur compte, elles pouvaient fixer elles-mêmes le prix de vente, les endroits où elles désiraient vendre et le moment où elles voulaient le faire. Pour Daniela, ce travail était parfait, car il lui permettait de jouir d’une grande autonomie. Sa petite affaire fonctionnait bien et elle lui permettait de faire vivre sa famille. Avoir accès à ce type d’activités économiques autonomes offre à ces femmes le bénéfice de pouvoir gérer leur vie comme elles le désirent.

Cependant, pour être en mesure de subvenir aux besoins de la famille, il n’est pas rare qu’une femme occupe différents emplois. Par exemple, tante Ella avait un revenu d’appoint en lavant les uniformes des agents du centre de police du village. Pour plusieurs d’entre elles, le complément vient de la culture de subsistance.

Tante Angie possédait son propre petit lopin de terre dans son hameau d’origine à Sincelejo. Ce lopin lui permettait de nourrir sa famille. Cousine Dana, quant à elle, n’était pas propriétaire de la ferme où elle travaillait. Elle vivait dans une veredas et était l’employée de l’un des propriétaires. C’est ce qu’on appelle le métayage. Il s’agit, pour le propriétaire, de laisser une personne s’occuper de sa terre en échange d’une partie de la récolte. La situation était la même pour Florencia et Francesca. Le travail agricole occupe une place prépondérante dans leur vie. Elles ont appris à cultiver différents produits. Tante Florencia coupait la canne à sucre puis cultivait le maïs et enfin nettoyait le riz selon les saisons lui permettant ainsi de faire vivre sa famille « [o]n fait du travail acharné pour les enfants » (Florencia entrevue du 24 mars 2015). Francesca m’a raconté son histoire avec beaucoup de nostalgie, puisque pour elle « la vie au village était bonne » (Francesca entrevue du 24 mars 2015). Dans son village, elle cultivait le riz, le plantain, la yuca, le maïs.

Gabiela me raconte que pour elle la vie était plus tranquille en campagne « [p]arce qu’il ne nous manquait de rien à mes enfants et moi » (Gabiela entrevue du 26 mars 2015). Elle gardait une ferme et elle avait facilement accès à de la nourriture « […] on avait le lait, la bouffe, toutes les choses. Nous vivions là-bas en cultivant de l’igname et du manioc, on cultivait tout et on cultivait par nous-mêmes. On mange son manioc, son fromage, son café au lait, c’est-à-dire, vous n’avez besoin de rien aller chercher » (Gabiela entrevue du 26 mars 2015). La vie en campagne est plus tranquille puisqu’elle permet de cultiver sa propre nourriture, qu’il s’agisse de produits de la terre ou issus de l’élevage. En effet, alors qu’elles étaient souvent salariées dans le domaine agricole, les petits animaux leur appartenaient. Il n’est pas rare d’apercevoir, dans les milieux ruraux de Colombie, des personnes faire l’élevage de quelques petits animaux de ferme dans leur cour arrière.

La grande diversité des occupations des femmes déplacées est aussi illustrée par la situation de tante Francesca originaire du département du Choco, plus précisément d’Istima sur la côte Pacifique, un endroit réputé pour ses mines. Francesca travaillait donc dans une mine où elle extrayait de l’or, métal précieux très valorisé dans le Choco « […] c’est un bon emploi qui rapporte de l’argent » (Francesca entrevue du 24 mars 2015).

Comme l’ont mentionné les femmes, le travail les préservait de la mendicité puisqu’il satisfaisait leurs besoins de base. Selon tante Francesca, le travail à la campagne reste difficile « […] ma vie avant le déplacement était difficile parce que j’ai dû travailler à la campagne » (Francesca entrevue du 24 mars 2015). Cependant, malgré la difficulté de ces tâches, elle se sent fière du travail qu’elle a pu accomplir. Pour la plupart des femmes rencontrées, la vie en campagne est bonne « [p]arce que moi j’avais tout dans ma pauvreté, j’étais riche parce que j’avais ma maison, j’avais mes choses » (Angie entrevue du 9 mars 2015), « [j]’étais bien. J’étais heureuse dans ma maison parce qu’au moins dans notre village on avait les choses » (Bruna entrevue du 11 mars 2015). Malgré la pauvreté dans laquelle elles vivaient, les femmes étaient heureuses et fières, car elles possédaient certains biens et avaient un travail qui leur procurait une autonomie.

Les femmes rencontrées ont occupé divers emplois. Les tâches reliées à ceux-ci n’étaient pas toujours faciles à réaliser puisque pour la plupart, il s’agissait de travail physique, mais malgré tout, les femmes ont mentionné l’importance de celui-ci car il leur procurait une plus grande autonomie. De plus, dans les récits de ces femmes, on sent la nostalgie d’un passé idéalisé où elles avaient suffisamment à manger.

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