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L’antithrombine (AT) est une glycoprotéine composée de 432 acides aminés dont la structure tridimensionnelle est stabilisée par trois ponts disulfures (Cys8-Cys128, Cys21-Cys95, Cys247-Cys430) (Zhou 1990). Deux groupes de glycoformes existent : les glycoformes α-AT (MW ~ 58 kDa), formes plasmatiques majoritaires, et les glycoformes β-AT (MW ~ 56 kDa), qui possèdent une chaîne glycane en moins et représentent moins de 10 % de l’AT circulante chez l’homme (Kleinova 2004). La partie protéique de l’AT représente environ 85-87,5 % de sa masse moléculaire (soit ~ 49 kDa). Quatre sites consensus de N-glycosylation sont présents sur la protéine en position 96, 135, 155 et 192. Au cours de ces dernières années, de nombreuses glycoformes de l’AT ont été caractérisées (Plematl 2005, Demelbauer 2005,

61 Demelbauer 2004 a). Certaines proviennent de la perte d’acides sialiques en bout de chaînes glycanes. D’autres sont des glycoformes tri-antennées en position N135 ou N155. Enfin, une fucosylation en position N155 a également été décrite (Fig. 7). Chacune de ces glycoformes possède un point isoélectrique (pI) différent, variant de 4,7 à 5,4 (Kremser 2003).

Figure 7 : Quelques exemples de glycoformes de l’AT plasmatique. SA, acide sialique ; fuc,

fucose ; tri, tri-antennée (losange, acide sialique ; rond, hexose ; carré, N-acétylhexosamine ; triangle, fucose). Adapté de Demelbauer 2004 a.

Il a été démontré que la glycosylation de l’AT peut modifier sa liaison à l’héparine et donc avoir un impact sur son activité anticoagulante (Pol-Fachin 2011). Par exemple, l’absence d’une chaîne glycane, comme c’est le cas dans la forme β-AT, augmente l’affinité à l’héparine et donc l’effet anticoagulant (McCoy 2003, Turk 1997). Une fucosylation réduirait au contraire l’affinité pour l’héparine (Garone 1996).

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I.E.3. Les différents conformères et dimères de l’antithrombine

Comme toutes les serpins, la forme native de l’AT est thermodynamiquement instable et subit des réarrangements conformationnels afin d’adopter des conformations beaucoup plus stables. Deux conformères de l’AT ont été décrits : la forme latente et la forme clivée. En plus de ces conformères, il existe des formes dimériques (homodimères ou hétérodimères) et des formes polymériques.

I.E.3.a. La forme native

Depuis la résolution de la 1ère structure cristallographique de l’AT native par l’équipe de Carrell (Carrell 1994), plusieurs structures des différentes conformations de l’AT humaine ont été publiées et sont accessibles dans la base de données des protéines RCSB PDB Protein Data Bank. Toutes les structures cristallographiques de l’AT montrent l’arrangement tridimensionnel caractéristique des serpins avec 3 feuillets β (A, B, C) (Fig. 8) et 9 hélices α. Les feuillets β A, B et C de l’AT (notés fA, fB et fC sur la figure 8) sont organisés respectivement en 5, 6 et 4 brins. Enfin, une séquence de 24 acides aminés, organisée en une boucle très mobile exposée à la surface de la molécule, est responsable de sa fonction inhibitrice. Cette boucle réactive (RCL, reactive center loop), située dans la partie C-terminale de la protéine, comprend l’arginine en position 393, qui constitue le site actif de l’AT.

Figure 8 : Structure tridimensionnelle de A) la forme native de l’AT avec ses différents

feuillets β : feuillet β A en magenta, feuillet β B en vert, feuillet β C en bleu ; B) la forme latente de l’AT : en rouge, insertion de la boucle réactive dans le feuillet β A (brin 4A). En jaune sont représentées les hélices α. Adapté de Fazavana 2012.

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I.E.3.b. La forme latente

L’AT peut adopter une conformation dite « latente » qui correspond à l’insertion de la RCL non clivée dans le feuillet β A. Un brin supplémentaire, appelé brin 4A, est alors formé. L’insertion de la RCL entraîne l’extraction du brin 1 du feuillet β C (Fig. 8B). Selon l’équipe de Carrell, la conversion de la forme native en la forme latente se fait en deux étapes (Wardell 1997). Lors de la première étape, cinétiquement rapide, la boucle réactive s’insère partiellement dans le feuillet β A. Dans la deuxième étape plus lente, la boucle réactive s’insère totalement dans le feuillet β A et des réseaux ioniques avec les structures adjacentes (brins 5 et 3 du feuillet β A, hélice α F) permettent de stabiliser la conformation.

La forme latente est une structure « hyper stable », résistante aux agents dénaturants (Wardell 1997). Il a été démontré qu’environ 3 % de l’AT totale circulant dans le sang d’un invidu normal serait de la forme latente (Mushunje 2004). Cette forme est dépourvue d’activité anti-coagulante en raison de l’insertion de la RCL. Il est décrit que certains variants naturels d’AT (AT Wibble, AT Wobble) sont très thermolabiles et se convertissent facilement en forme latente (Beauchamp 1998). Cette instabilité pourrait participer au risque thrombotique élevé observé chez les porteurs de ces mutations. In vitro, la forme latente de l’AT peut être obtenue en chauffant une préparation contenant de l’AT à 60°C pendant 72 heures (Karlsson 2002). Ainsi, des études ont montré que des quantités importantes de forme latente (pouvant aller jusqu’à 40 %) étaient susceptibles d’être présentes dans certaines préparations d’AT thérapeutiques suite aux étapes de pasteurisation (Heger 2002).

I.E.3.c. La forme clivée

Lorsque l’AT se fixe à une protéase de la coagulation, celle-ci clive le site actif au niveau de la RCL de l’AT. Ceci provoque un réarrangement conformationnel de l’AT, qui aboutit à l’insertion du fragment de la boucle réactive attaché à l’enzyme dans le feuillet β A, pour former le brin supplémentaire 4A. Ce changement conformationnel a pour conséquence un déplacement de l’enzyme, alors expulsée vers le bas de l’AT, et empêche la dissociation du complexe enzyme/AT (Fig. 9) (Huntington 2003). La structure de la protéase est déformée par la force de traction exercée par le réarrangement conformationnel de l’AT et le frottement entre le corps de la protéase et celui de l’AT thermodynamiquement stable. Ainsi, l’enzyme se trouve piégée dans un complexe covalent inactif (Stratikos 1999).

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Figure 9 : Mécanisme d’inhibition d’une sérine-protéase par l’AT conduisant à la forme

clivée. Issu de Huntington 2003.

I.E.3.d. Les hétérodimères

L’équipe de Carrell fut l’une des premières à décrire la formation des hétérodimères de l’AT (Carrell 1994). Ceux-ci correspondent à l’association d’une forme native (active) et d’une forme latente de l’AT (Fig. 10). Les deux molécules sont reliées ensemble par la boucle réactive de la molécule native, qui s’insère dans le brin 1 du feuillet β C vacant de la molécule latente (Johnson 2006). Des études ont montré que la conversion de la forme native en la forme latente passait par la formation d’un hétérodimère (Zhou 1999). La formation des hétérodimères entraîne une perte d’activité puisqu’elle s’accompagne de l’inactivation de la molécule d’AT.

In vitro, les hétérodimères peuvent être obtenus en chauffant une préparation d’AT à 60°C pendant 9 heures (Karlsson 2002), ou en mélangeant une quantité équimolaire de forme native et de forme latente (Zhou 1999). Certaines mutations pourraient faciliter la formation de dimères par établissement de ponts disulfures (Corral 2004), mais dans ce cas il s’agirait plutôt d’homodimères.

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Figure 10 : Représentation d’un hétérodimère d’AT. Adapté de Johnson 2006.

I.E.3.e. Les formes polymérisées

La polymérisation des serpins donne des protéines inactives, « hyper stables ». In vivo, ce processus de polymérisation des serpins est impliqué dans des pathologies appelées serpinopathies (Huntington 2009, Yamasaki 2008). Dans le cas de l’AT, la transformation de la protéine en ces formes thermodynamiquement stables est associée à un déficit en AT et donc à des manifestations thrombotiques.

Les formes polymérisées conduisent à une conformation inactive, donc à une incapacité de l’AT à inhiber ses enzymes cibles, ce qui laisse imaginer que la boucle réactive est inaccessible, donc éventuellement insérée dans le feuillet β A, comme dans les formes clivée et latente. Plusieurs modèles moléculaires de polymérisation ont été proposés, basés notamment sur des études cristallographiques. Les deux modèles les plus décrits sont la « polymérisation boucle-feuillet β A » et la « polymérisation des formes polymérogènes ». Dans le 1er modèle, la polymérisation résulte de l’insertion partielle de la RCL d’une molécule d’AT dans le feuillet β A d’une autre AT, qui à son tour va s’insérer dans une 3ème

molécule (Whisstock 2010) (Fig. 11A). Dans le 2ème modèle, l’AT adopte une conformation particulière : la forme « polymérogène », caractérisée par un détachement du brin 5 du feuillet

β A et de la boucle réactive, qui s’insèrent dans le feuillet β A d’une autre molécule

polymérogène, qui à son tour va s’insérer dans une autre molécule polymérogène (Yamasaki 2008, Huntington 2009) (Fig. 11B).

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Figure 11 : Deux des modèles de polymérisation des serpins proposés. A) Modèle «

boucle-feuillet β A ». En magenta : boucle réactive. En rouge : boucle-feuillet β A. B) Modèle de polymérisation des formes polymérogènes. Adapté respectivement de Whisstock 2010 et Huntington 2009.