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La MS est principalement utilisée pour étudier la structure primaire des protéines, c’est-à-dire leur séquence en acides aminés. Cependant, des modes spéciaux permettent d’avoir accès à la

132 conformation des protéines. La MS dite « native » est certainement l’approche la plus évidente. Dans ce cas, une protéine intacte ou un complexe protéique est analysé. Des techniques alternatives existent telles que la protéolyse partielle et l’échange hydrogène/deutérium, celles-ci permettant d’obtenir des détails structuraux supplémentaires. Bien que la technique d’échange hydrogène/deutérium implique une digestion de la protéine, il nous a semblé intéressant de la décrire car elle a beaucoup été employée pour caractériser la dynamique conformationnelle des Serpins, famille de protéines dont fait partie l’antithrombine.

II.D.1.a. Echange hydrogène/deutérium-spectrométrie de masse (HDX-MS)

Une expérience d’échange hydrogène/deutérium (HDX) est basée sur l’échange permanent des atomes d’hydrogène de la protéine impliqués dans les liaisons O-H, N-H et S-H avec les atomes de deutérium présents dans le solvant environnant. Etant donné qu’un atome de deutérium est deux fois plus lourd qu’un atome d’hydrogène, la masse de la protéine va être augmentée.

Dans une protéine, ce sont les hydrogènes des groupes amides (principalement les hydrogènes du squelette peptidique) qui sont les plus souvent impliqués dans les échanges hydrogène/deutérium. Les taux d’échange hydrogène/deutérium dépendent essentiellement de l’accessibilité du solvant et du statut des liaisons hydrogènes des groupes amides. Ainsi, selon la localisation du groupe amide, le taux d’échange ne sera pas le même. Les échanges hydrogène/deutérium dépendent donc de la structure de la protéine. Le couplage de la MS avec cette technique permet de détecter les ajouts de masse apportés par les atomes de deutérium, et donc de détecter le nombre d’hydrogènes échangés (Vandermarliere 2014, Brock 2012).

Depuis son introduction par Katta et Chait en 1991, le couplage HDX-MS est désormais fréquemment utilisé pour contrôler les changements conformationnels ou les dynamiques de pliement/repliement des protéines (Tang 2013, Houde 2009, Zheng 2008, Tsutsui 2006). Par exemple, Tsutsui et al. ont décrit une méthode HDX-MS pour étudier la flexibilité des inhibiteurs des sérine-protéases (Serpins). La figure 46 détaille les différences de flexibilité à l’intérieur d’une molécule d’α1-antitrypsine (Tsutsui 2011).

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Figure 46 : Analyse de la forme native (forme métastable) de l’α1-antitrypsine wild type par HDX-MS. Issu de Tsutsui 2011.

Une variante du couplage HDX-MS, appelé « MS footprinting », existe (Vandermarliere 2014, Tsutsui 2011, Zheng 2008). Dans ce cas, le marquage des atomes d’hydrogène se fait non pas avec des atomes de deutérium mais avec des radicaux hydroxyles, et concerne les chaînes latérales et non le squelette peptidique de la protéine.

II.D.1.b. Spectrométrie de masse à mobilité ionique (IM-MS)

La MS en condition native permet d’analyser des protéines intactes dans des conditions qui permettent de préserver leur conformation, on parle encore de MS en conditions non-dénaturantes. Contrairement à l’analyse des peptides qui s’effectue à l’aide de spectromètres de masse avec des gammes de masse faibles, la MS en condition native nécessite des spectromètres de masse avec des gammes de masse élevées. Ainsi, les analyseurs TOF sont classiquement utilisés pour cette application. Pour l’analyse de protéines thérapeutiques en condition native, on a désormais souvent recours à des techniques couplées telles que la spectrométrie de masse à mobilité ionique (IM-MS).

L’IM-MS consiste à coupler la spectrométrie de masse avec la spectrométrie à mobilité ionique (voir Annexe 1). Cette technique permet de séparer les protéines selon leur différence de mobilité ionique à travers un gaz soumis à un champ électrique (May 2015, Lanacura

134 2014, Kanu 2008). Avant d’entrer dans l’analyseur de masse, les protéines sont ionisées par électrospray. Durant cette étape d’ionisation, les protéines les plus volumineuses subissent un plus grand nombre de collisions avec le gaz tampon qui remplit la chambre à mobilité ionique, elles sont donc davantage freinées comparativement aux protéines plus compactes de masse moléculaire similaire. Etant donné que l’état de charge d’une protéine dépend fortement de sa structure, l’IM-MS permet de séparer des conformères, dont la différence structurale est parfois très subtile. L’IM-MS permet également d’étudier la dynamique conformationnelle, c’est-à-dire la flexibilité de la protéine ou ses mécanismes de repliement (Dickinson 2015, Debaene 2013).

En 2010, le laboratoire pharmaceutique Amgen est parvenu à séparer deux conformères d’un anticorps monoclonal IgG2, dont la différence structurale est liée à un arrangement différent en liaisons disulfures au niveau de la région hinge de l’anticorps (Bagal 2010). Les analyses IM-MS ont été réalisées avec une source nanoESI et un spectromètre de masse Q-TOF. Comme le montre la figure 47, pour l’anticorps IgG2, deux conformères (IgG2-A et IgG2-B) sont séparés, alors que l’anticorps IgG1 ne présente qu’un seul conformère. L’isoforme IgG2-A correspond au modèle classique d’un anticorps, avec les domaines Fab et Fc reliés ensemble au niveau de la région hinge, alors que dans l’isoforme IgG2-B les chaînes lourdes et légères sont liées de manière covalente à la région hinge par des ponts disulfures.

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Figure 47 : Analyse des deux anticorps IgG2 (a,b) et IgG1 (c,d) par IM-MS. Les figures b et

d correspondent aux spectres de mobilité à l’état de charge +26. A droite sont représentés les deux conformères de l’IgG2. Adapté de Bagal 2010.

Pritchard et al. ont développé, quant à eux, une méthode IM-MS afin d’analyser des hormones de croissance humaines recombinantes (rhGH) produites par quatre laboratoires pharmaceutiques différents (Pritchard 2013). Leur méthode a permis de mettre en évidence une forme monomérique « allongée », correspondant probablement à un intermédiaire de repliement (Fig. 48).

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Figure 48 : Analyses IM-MS de rhGH. Les analyses ont été réalisées avec une source

nanoESI en mode positif. La figure en haut représente l’intensité maximale des pics de dérive aux différents états de charge. Adapté de Pritchard 2013.

Ekeowa et al. ont étudié par IM-MS la polymérisation de l’α1-antitrypsine (Ekeowa 2010) (voir section II.B.4.d.). Leur méthode a permis de mettre en évidence une forme monomérique intermédiaire, qui fait partie du processus de polymérisation.