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Structuration et trajectoire du réseau trophique 1Démarche et hypothèses

Dans cette partie, le modèle Ecosim dans le logiciel EwE est utilisé de façon plus courante. Il s’agit de laisser estimer les biomasses des compartiments sur l’ensemble de la période et de les comparer aux séries chronologiques des biomasses observées. L’ajustement des biomasses estimées sur celles observées peut se faire en forçant certaines séries temporelles, en appliquant des fonctions de forçages ou en jouant sur le paramètre de vulnérabilité. Plusieurs hypothèses vont ainsi pouvoir être testées quant à la structure du réseau trophique de l’estuaire de la Gironde.

Le modèle de départ correspond au modèle Ecopath de la première période auquel sont associées les séries temporelles de biomasses des différents compartiments pour lesquels des données sont accessibles. De plus, des séries temporelles d’effort de pêche, sur la crevette et sur l’anguille, sont ajoutées ainsi qu’un effort représentant celui exercé par la centrale nucléaire, considéré constant sur l’ensemble de la période.

Les trois hypothèses qui sont explorées quant au fonctionnement et à l’évolution du réseau trophique sont les suivantes :

 H1 : Le fonctionnement du réseau trophique permet à lui seul d’expliquer la dynamique des communautés écologiques dans l’estuaire.

 H2 : La dynamique des poissons marins est conditionnée par l’environnement et structure la dynamique du réseau trophique (et notamment la production secondaire) autochtone.  H3 : Le réseau trophique est contrôlé par les prédateurs.

L’hypothèse n°1 est testée en laissant Ecosim estimer les biomasses de l’ensemble des compartiments, en ajustant le modèle par le seul paramètre de vulnérabilité. Par ailleurs, en comparant cet ajustement à celui réalisé en jouant, en plus, sur la fonction de forçage relative à la production primaire, il s’agira de mesurer l’influence de celle-ci sur la dynamique du réseau trophique et ainsi de discuter son degré d’hétérotrophie.

Afin d’explorer l’influence de la dynamique des poissons marins sur le fonctionnement du réseau trophique estuarien, les biomasses de ces derniers sont forcées et l’ajustement du modèle se fait sur le reste du réseau trophique. Dans cette hypothèse, on considère que ce sont les facteurs environnementaux, telle que la salinité, et/ou d’habitats qui conditionnent la dynamique des poissons marins dans l’estuaire. Idéalement, il faudrait contraindre l’évolution des poissons marins par une fonction de forçage. Cependant l’implémentation de telles fonctions dans le logiciel s’est avérée difficile et les données disponibles non suffisantes. Nous avons donc forcé directement les biomasses des poissons pour simuler le fait que leur dynamique est contrôlée par des contraintes extérieures au réseau trophique estuarien.

Enfin, l’hypothèse que le réseau trophique est soumis à un « top-down control » est testée en forçant la biomasse de tous les prédateurs et en ajustant le modèle sur la production secondaire (benthique, supra-benthique et zooplanctonique).

observation. L’examen de l’AIC permet de mesurer la qualité de l’ajustement en tenant compte du nombre de paramètres dans le modèle.

4.2 Résultats

4.2.1 Hypothèse n°1

Les résultats de l’ajustement du modèle sont compilés dans la Figure 14. Cette figure représente l’ajustement de chacun des compartiments du réseau trophique. La somme totale des carrées des écarts pour l’ensemble du modèle ainsi que l’AIC sont inscrits dans le Tableau 1.

Figure 14 : Résultats de l’ajustement du modèle n°1. Les points représentent les biomasses observées et les courbes, l’évolution estimée par le modèle Ecosim. La somme des carrés des écarts (SS) entre les biomasses estimées et celles contenues dans les séries temporelles est renseignée pour chaque compartiment à la suite du nom de ce dernier.

Les compartiments sont repris de Chevillot (2016). Voir l’annexe n°1 pour le détail des nomenclatures.

Pour certains compartiments, l’ajustement est, visuellement et quantitativement, plutôt bon, comme pour les alosons (shad) par exemple, où le modèle reproduit assez bien la tendance des biomasses observées, se traduisant par une somme des carrés des écarts faible (6,9).

En revanche, pour d’autres compartiments, le modèle n’arrive pas à estimer des valeurs de biomasses proches de celles observées, c’est le cas notamment pour les syngathes (pipefish) dont la tendance estimée est assez loin de celle représentée par les valeurs observées. Le SS obtenu, 59, est assez important. La somme des carrés des écarts de l’ensemble de ce modèle est de 1 394.

Cet ajustement du modèle, qui a été obtenu en modifiant uniquement les valeurs de vulnérabilités auxquels les SS étaient sensibles, est comparé à l’ajustement suivant qui, en plus de

jouer sur le paramètre de vulnérabilité, s’intéresse à la fonction de forçage relative à la chlorophylle A, qui est un proxy de la production primaire.

Figure 15 : Résultats de l’ajustement du modèle n°2 dans lequel est implémentée et ajustée une fonction de forçage décrivant la dynamique de la production primaire.

En comparant ces deux résultats, on s’aperçoit que l’ajustement sur la fonction de forçage relative à la production primaire a un fort impact sur l’ensemble du réseau trophique. En effet, pour la majorité des compartiments, les biomasses estimées sont bien plus proches de celles observées lors de ce deuxième ajustement, ce qui est confirmé par la somme des carrés des écarts de l’ensemble du modèle, 1 094, qui est bien inférieure au modèle précédent (cf Tableau 1). La réduction de la somme des carrés des écarts la plus frappante concerne le benthos subtidale passant de 101,1 à 11,8. Mais visuellement, l’exemple des syngnathes est plus parlant avec une tendance des biomasses estimées qui passe par une majorité de points observés (le SS passant de 59 à 18,4).

4.2.2 Hypothèse n°2

Pour explorer cette piste, c’est l’ensemble des séries des prédateurs marins, à savoir : merlans, bars, maigres, poissons plats, anchois, syngnathes, sprats et raies, qui sont contraintes par le modèle et ce sont les ajustements sur les espèces de niveau trophique inférieur qui sont analysés, d’après la Figure 16.

Figure 16 : Résultats de l’ajustement du modèle n°3. Les séries des poissons marins sont forcées pour simuler l’effet de contraintes externes sur leur dynamique et analyser l’impact sur le réseau trophique estuarien.

Au vu de ces courbes, l’ajustement du modèle semble meilleur mais pas de manière significative en forçant les prédateurs marins. En effet, si l’on s’intéresse au compartiment des poissons d’eau douce (freshwater fish), par exemple, la tendance de sa biomasse estimée est plus proche de la réalité lors du précédent ajustement de modèle avec une somme des carrés des écart égale à 45,7 contre 73,7 pour ce cas. Le benthos subtidal, le mesozooplancton, les mysidacés, les mulets, l’esturgeon et les alosons connaissent un meilleur ajustement mais dans une moindre mesure avec des réductions de SS allant de 1,3 à 4,9. Le compartiment des crevettes, malgré une augmentation de sa somme des carrés des écarts, est mieux décrit puisque sa tendance correspond plus à celle suivie par les valeurs de biomasses observées.

La somme totale des carrées des écarts pour l’ensemble de l’ajustement ainsi que l’AIC sont inscrits dans le Tableau 1.

4.2.3 Hypothèse n°3

L’hypothèse d’un « top-down control » est testée en contraignant toutes les séries de biomasses des prédateurs (niveau trophique supérieur à 3) du réseau trophique, les résultats sont les suivants :

Figure 17 : Résultats de l’ajustement du modèle n°4. Les séries de biomasses des prédateurs (niveau trophique supérieur à 3) du réseau trophique sont forcées.

Ce modèle est le mieux ajusté, jusqu’à présent, aux séries temporelles avec un SS de 114,4 et un AIC de 464,2, qui sont les plus bas de l’ensemble des modèles Ecosim réalisés (cf Tableau 1).

En effet, si l’on regarde au cas par cas, le compartiment des crevettes est celui dont les biomasses estimées sont les plus fidèles à celles observées avec une tendance passant par presque tous les points de la série temporelle et inscrivant ainsi un SS de 2,7. De plus, l’ensemble de la production secondaire (benthique, supra-benthique et zooplanctonique) est plutôt bien décrite même si le groupe des mysidacés conserve un SS relativement élevé de 23,3.

Une variante de cette hypothèse est testée, concernant les espèces autochtones ou non de l’estuaire de la Gironde. Ainsi, le seul changement apporté au modèle précédent est le fait de laisser libre la série chronologique du groupe gobie. Voici les résultats :

Figure 18 : Résultats de l’ajustement du modèle n°5. La série de biomasses du Gobie (Goby) est laissée « libre » dans le modèle.

A la vue de ces résultats, le modèle ne se distingue pas énormément du modèle précédent. En effet, la somme des carrés des écarts globale et l’AIC sont très proches des valeurs obtenues précédemment (cf Tableau 1). De plus, les tendances des biomasses des compartiments ainsi que le SS de chacun d’entre eux ne diffèrent pas significativement de ceux du modèle précédent. Pour le compartiment gobie, son ajustement est très bon avec un SS de 1,7, représentant le plus petit jamais obtenus dans les modèles précédents.

Tableau 1 : Récapitulatif du SS et de l'AIC pour chacun des modèles. Somme des carrés des écarts (SS) AIC

Modèle n°1 1394,0 596,2 Modèle n°2 1094,0 635,8 Modèle n°3 377,2 554,9 Modèle n°4 113,7 463,8 Modèle n°5 119,0 467,2

4.3 Discussions

Le modèle n°1 révèle un ajustement moyen sur l’ensemble de l’évolution des compartiments du système étudié, voire très moyen pour les groupes de poissons marins. La conclusion qui se dégage de cette première exploration est que les flux trophiques à l’intérieur de l’estuaire ne permettent pas d’expliquer la dynamique des poissons marins.

Une seconde hypothèse est alors émise : si l’on considère que notre description du réseau trophique est bonne, cela suggère que ce sont d’autres paramètres (environnementaux, d’habitats) qui structurent l’évolution des poissons marins. C’est l’hypothèse qui a donc ensuite été testée. Cependant avant de tirer les conclusions relatives à la modélisation de cette hypothèse, un autre résultat intéressant découle de la première partie.

Le modèle n°2 est exactement le même que le modèle n°1 hormis dans la procédure d’ajustement où une différence apparait. En effet, l’impact de l’ajustement des biomasses estimées sur la fonction de forçage relative à la production primaire a été testé. C’est-à-dire que le logiciel a été autorisé à modifier le paramètre de vulnérabilité et les valeurs de la fonction de forçage, à savoir la concentration en chlorophylle A, pour obtenir des biomasses estimées les plus proches de celles observées. En faisant cela, la somme des carrés des écarts a été réduite de plus de 20%. Cependant, il est difficile de conclure quant à un meilleur ajustement du modèle car le SS n’est pas le seul élément à prendre en compte pour le quantifier. En effet, l’AIC (Akaike’s Information Criterion) est un critère de sélection lors de comparaison de modèles puisqu’il intègre le nombre de paramètres renseignés dans ces modèles, permettant ainsi de prendre en compte le problème de sous ou sur- paramétrisation d’un modèle. L’AIC de ce deuxième modèle est supérieur (635,8) à celui du premier (596,2) : l’ajustement est donc meilleur mais moins parcimonieux puisque l’on a ajouté dans le modèle des paramètres relatifs à la fonction de forçage. En termes purement de modélisation, le deuxième modèle n’est pas meilleur pour la simulation mais il est très informatif sur le fonctionnement du réseau trophique. En effet, le résultat que révèle la comparaison de ces deux ajustements est que la production primaire peut expliquer des variabilités au sein du réseau trophique. Ce qui est surprenant, puisque l’estuaire de la Gironde est un des estuaires les plus turbides empêchant ainsi le développement d’une importante production primaire.

La deuxième hypothèse testée conduit à un modèle n°3 dont l’ajustement aux séries temporelles est meilleur avec un SS global de 377,2 et un AIC de 554,9. La réduction importante du SS total s’explique tout d’abord par la contrainte de 8 séries temporelles, ce qui induit un SS pour ces 8 compartiments de 0. Ensuite, pour une partie des groupes du réseau trophiques, la tendance des biomasses estimées correspond plus à celle observée. Dans ce cas de figure, on postule que la dynamique des poissons marins n’est pas liée au fonctionnement du réseau trophique dans l’estuaire. Ces dynamiques pourraient par exemple être contrôlées plus vraisemblablement par l’environnement, l’habitat et/ou des paramètres de la dynamique intrinsèque des populations (taux de croissance, fécondité, …). Ce postulat est assez cohérent avec la littérature sur les estuaires (Elliott and Hemingway 2002, Lobry et al. 2006, Pasquaud et al. 2012) et avec les conclusions récentes de Chevillot et al. et Chevillot (2016). Si la dynamique des poissons marins est bien contrôlée par des facteurs externes au réseau trophique, les ajustements du modèle semblent par contre montrer qu’ils ont bien une influence sur la production biologique à l’intérieur de l’estuaire via le réseau trophique.

La troisième piste explorée lors de cette modélisation dynamique du réseau trophique de l’estuaire de la Gironde est celle du contrôle régissant cet écosystème : s’agit-il des prédateurs, des proies ou est-ce un peu les des deux qui dictent les cascades trophiques ? C’est l’hypothèse d’un « top-down control » qui a été testée. Ainsi, en forçant toutes les séries chronologiques de biomasses

particulier pour les compartiments crevettes et benthos subtidal. Le SS et l’AIC confirment un bon ajustement du modèle avec des valeurs faibles, respectivement 113,7 et 464,2. Ces résultats attestent la thèse d’un « top-down control » puisque l’évolution de biomasse des prédateurs du réseau permet de décrire la dynamique des autres compartiments de niveau trophique inférieur du réseau trophique.

Une sous-hypothèse a pu être testée concernant l’impact des espèces non autochtones sur le réseau trophique. Le modèle 5, obtenu en forçant toutes les séries de biomasses des compartiments non autochtones de l’estuaire, révèle un bon ajustement aux séries observées, quasiment identique à celui du modèle 4. Cela signifie que les espèces non autochtones de l’estuaire exercent un rôle trophique important sur les espèces natives.

5. Discussion générale

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