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Chapitre 1 – Revue de la littérature 4

B.   Structuration du marché du travail 20

L’implantation sur un nouveau territoire pousse l’EMN à être en capacité de coordonner efficacement sa stratégie avec celle d’un large éventail d’acteurs. Une des sphères d’activité dans laquelle les entreprises se voient dans l’obligation de développer certaines relations est la sphère des relations industrielles (Hall et Soskice, 2002 : 53). La structuration du marché du travail de la province du Québec (régime des relations de travail, politique de main- d’œuvre et de formation, systèmes sociaux de protection, etc.) façonne le type de relations qu’une EMN peut développer avec les acteurs du marché du travail régional.

La fragmentation des modes de production (section 1.1) a bousculé les systèmes des relations industrielles et notamment les « patterns » classiques de la négociation collective (Murray, 2010 : 36).

La localisation des établissements est clairement identifiée comme un enjeu stratégique pour les employeurs dans l’article important de Kochan et ses collègues (1984) présentant la notion de choix stratégiques en s’appuyant sur l’exemple de certaines entreprises américaines ayant transféré leurs capacités productives hors des

usines syndiquées et vers des régions sur le territoire américain où les coûts de main- d’œuvre étaient faibles afin d’améliorer leur situation concurrentielle. Ainsi, depuis des décennies, la sous-traitance et les délocalisations font partie des moyens à la disposition des employeurs pour opérationnaliser une stratégie d’évitement de la négociation collective, à laquelle ils ont recours lorsqu’ils évaluent que les profits ou les rendements ne peuvent être maximisés dans un environnement syndiqué ou lorsqu’ils veulent renforcer une stratégie de négociation axée sur la contrainte visant à forcer des concessions économiques et des changements dans les règles de travail (Walton et al 2000) (Jalette, 2013 : à paraître).

Selon Hall et Soskice (2002 : 54), le problème des EMN consiste à savoir coordonner les négociations portant sur les salaires, les conditions et le climat des relations de travail avec leur main-d’œuvre, les organisations représentatives de cette main-d’œuvre et les autres employeurs. Dès lors, l’étude comparative de Poulin et Prud’homme sur la rigueur de la législation sur l’emploi dans les pays de l’OCDE prend tout son sens. Les sièges sociaux des entreprises portent un regard attentif sur les éléments structurant le marché du travail dans la future zone d’investissement.

À notre connaissance, l’analyse comparative la plus récente est celle de l’OCDE qui a construit un indice de rigueur de la législation sur l’emploi10 des pays industrialisés pour l’année 2003 (OCDE, 2009). […] Il est intéressant de constater que parmi l’ensemble des pays de l’OCDE, le Canada se classe dans la moyenne, au même titre que l’Australie, la Hongrie, la Norvège, le Royaume-Uni, les États-Unis et les Pays- Bas. […] Le Québec se classe parmi les pays où la législation sur les licenciements collectifs est la moins contraignante pour les entreprises, c'est-à-dire au même rang que la Corée, devant la Nouvelle-Zélande et le Japon […] (Poulin et Prud’homme, 2010 : 9).

La capacité des EMN à conserver une flexibilité et un droit de gérance dans l’organisation de leur production est un enjeu vital à l’ère de la mondialisation. L’étude de Bognanno et ses collègues (2005) appuie cet argument :

10 Les indicateurs pris en considération sont les suivants : quatre indicateurs portent sur les

licenciements collectifs, ceux-ci s’ajoutant à la législation applicable aux licenciements individuels, les obligations de notification supplémentaires, les délais supplémentaires à respecter avant les préavis en vigueur et les autres coûts spécifiques incombant à l’employeur (Poulin et Prud’homme, 2010 : 9).

US MNC production location decisions : US MNCs prefer to locate production in foreign host countries with a decentralized bargaining structure and without appreciable restrictions on layoffs. […] We find that both wages and the IR environment are important, it is worth emphasizing that by far the most important determinant of MNC production location decisions appears to be simply host country GDP (that is market size) (Bognanno, 2005 : 194).

Au Québec – en phase de réduction importante d’employés ou bien même de fermetures d’entreprises – les acteurs sociaux11 disposent de très peu de temps pour réagir aux mises à pied et ainsi tenter de sauvegarder les emplois (Poulin et Prud’homme, 2010 : 13). Dès lors, la compétitivité des régions d’accueil des investissements devient de plus en plus féroce au détriment des travailleurs et des travailleuses.

Par ailleurs, Holmes (1998) avance que la mise en place d’une loi de droit au travail (right-

to-work) aux États-Unis influence positivement l’attraction des industries et encourage ainsi

la croissance économique :

By classifying a state as being pro-business if it possesses a right-to-work law and anti- business if it does not have one, Holmes (1998, p. 669) discovered that the share of total employment devoted to manufacturing increased by approximately one-third upon traversing “the border from an anti-business state to a pro-business state” (Devinatz,  2011  :  292).

Stevans (2009) évoque les limites de cet argument en constatant que la présence d’une loi de droit au travail n’a aucun effet significatif sur le taux de croissance de l’emploi ou sur la relocalisation de nouvelles entreprises. La multiplication des politiques d’attraction des entreprises par l’intermédiaire des réductions d’impôts, des subventions et l’assouplissement des règlementations doit aussi être prise en considération dans l’impact global des politiques étatiques sur l’investissement. Les lois de droit au travail à elles seules ne pourraient donc pas être à l’origine de ces différences (Devinatz, 2011 : 293).

Cependant :

11 Par acteurs sociaux, nous entendons les employés, les syndicats, le gouvernement et les municipalités

il n’y a pas seulement la réglementation du travail qui peut améliorer la situation des travailleuses et travailleurs visés par les mises à pied. À l’exemple des pays nordiques, les politiques actives du marché du travail, en particulier les services publics d’emplois, sont aussi un bon moyen d’améliorer la situation des travailleurs mis à pied selon Torres (2005) (Poulin et Prud’homme, 2010 : 13).

Concernant la politique active en lien avec le marché du travail et l’emploi, Phelps et Raines (2003) mentionnent que la création de valeur de la part des institutions est représentée par les efforts déployés pour former et éduquer les travailleurs locaux, la promotion des start-ups et des réseaux de fournisseurs tout en facilitant la formation de capital-risque et en encourageant les activités entrepreneuriales (Coe et al. 2004 ; Phelps et Raines, 2003). La mobilisation des acteurs autour des enjeux de la formation et de l’emploi est soutenue par les politiques publiques ministérielles. Ainsi, les efforts de formation, de développement de compétences favorisées par les lois de formation et d’éducation de la main-d’œuvre sont à identifier comme un avantage compétitif de la région.

Selon l’OCDE (2007), les politiques actives du marché du travail peuvent être considérées comme des « moyens d’action complémentaires » à la législation sur la protection de l’emploi, et ainsi, assurer une sécurité de l’emploi aux travailleuses et travailleurs visés par les mises à pied (Poulin et Prud’homme, 2010 : 13).

De plus, Rutherford et Holmes (2007) apportent un point intéressant quant à l’impact des politiques publiques en matière de relations industrielles. Certains soutiennent que le rôle positif des syndicats s’agissant d'innovation ne peut provenir que des partenariats avec les équipes de travail et les gestionnaires en entreprise. Rutherford et Holmes (2007) défendent un tout autre point de vue : « l'innovation est plus susceptible d'émerger et les intérêts des travailleurs sont mieux protégés lorsque les structures traditionnelles de la négociation collective et la législation de l'emploi progressiste jouent un rôle central » (Rutherford et Holmes, 2007 : 196).

Pour conclure, nous voyons bien que la structuration du marché du travail par l’intermédiaire du type de législation entourant la réglementation au travail, de la

négociation collective, l‘accès à la syndicalisation et le climat entourant les relations de travail sont des éléments importants à prendre en considération dans le choix de localisation des activités d’une entreprise. Ces facteurs modifient le comportement et la latitude décisionnelle des EMN sur le territoire d’accueil.

C. Bilan des facteurs influençant la décision d’investissement à

l’échelle provinciale

À l’échelle provinciale, l’EMN analyse le contexte institutionnel en présence. Le gouvernement et ses actions sont donc deux facteurs à considérer. Le gouvernement et notamment la stabilité politique des institutions de la région d’investissement sont déterminants pour attirer les investissements étrangers. De plus, les enjeux socio- économiques auxquels doit répondre le gouvernent au pouvoir peuvent dissuader les investisseurs dans leur décision d’investir, et ce à cause de l’incertitude du climat d’affaires que cela engendre. A contrario, un contexte économique et social propice peut s’avérer être un atout pour la région. Les politiques publiques mises en place au sein de la province répondent à la même logique d’attractivité. Comme démontré au sein de la section B, la structuration du marché du travail façonne les comportements des EMN. Les politiques actives sur le marché du travail améliorent la situation des travailleurs tout en participant à la création de valeur pour le bassin de recrutement des EMN. Les négociations collectives, l’accès à la syndicalisation et le climat entourant les relations de travail sont d’autres aspects de la sphère des relations industrielles avec lesquels les EMN doivent interagir. Les sièges sociaux des entreprises portent donc une attention particulière aux éléments structurant le marché du travail (notamment les institutions), afin de sélectionner les régions potentielles d’investissement. Malgré tout, les institutions provinciales et les structures encadrant l’exercice des activités économiques des EMN ne sont pas les seuls facteurs qui influencent les choix de localisation des investissements.

L’ouverture des marchés a réduit de manière sensible la capacité des États à intervenir de manière autoritaire et unilatérale pour influencer la décision d’investissement des entreprises, autant nationales qu’internationales. Comprendre et tenir compte des dynamiques économiques qui s’imposent aux firmes, et notamment des logiques concurrentielles qui dominent un secteur économique donné, semble essentiel pour ceux qui veulent avoir une influence constructive sur les décisions d’investissement direct étranger (Hafsi et Faucher, 1996 : 74).

Ces dynamiques économiques n’ont pas été encore abordées à une échelle « micro » : c'est- à-dire locale. La troisième partie de cette revue de la littérature abordera donc les atouts de la localité accueillant la filiale de l’EMN.

1.3 – Les facteurs influants à l’échelle locale

L’échelle locale constitue notre dernière échelle d’analyse. Après avoir examiné les facteurs issus des deux échelles précédentes (internationale et provinciale), le siège social de l’EMN s’intéresse aux caractéristiques plus « micro », c'est-à-dire à l’échelle des localités accueillant la future filiale ou bien le futur projet d’investissement. Les facteurs locaux qui influencent les investissements des EMN seront étudiés à l’aide de la classification des facteurs de Merrene-Schoumaker (2011 : 153). Notre étude tend à mettre au jour les liens entre les territoires et les entreprises. Nous remarquons que le choix de localisation d’une activité se fait en fonction des caractéristiques des territoires locaux (section A) et des caractéristiques des entreprises ou de la filiale (section B). La figure 1.2 illustre cette dynamique.

Figure 1.2 : La problématique des choix de localisation

Source : Merrene-Schoumaker (2011 : 154)