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a « From Strip-tease to Strip-please »

PARTIE II. STRIP-TEASE ET EFFEUILLAGE DANS UNE ERE POST-LIBERATION

II. 1 « R AUNCH AND S TRIP TEASE C ULTURE »: U N CORPS ET UNE SEXUALITE MARCHANDS

II.1. a « From Strip-tease to Strip-please »

Le strip-tease –du moins le strip-tease parisien- est fondé sur une contradiction : désexualiser la femme dans le moment même où on la dénude (…) On aura donc dans le strip-tease toute une série de couvertures apposées sur le corps de la femme, au fur et à mesure qu’elle feint de le dénuder (…) La fin du strip n’est plus alors d’expulser à la lumière une profondeur secrète, mais de signifier, à travers le dépouillement d’une vêture baroque et artificielle, la nudité comme habit naturel de la femme, ce qui est retrouver finalement un état parfaitement pudique de la chair1.

L’article de Roland Barthes est à la jonction des métamorphoses du strip-tease de la seconde moitié du XXe, puisque sa parution est, de quelques années à peine, antérieure à la libéralisation du commerce sexuel de la fin des années 1960. Les effeuillages du Burlesque et du Music-hall commencent à décliner, bientôt remplacés par les premières formes d’un strip-tease moderne, dont Barthes donne l’exemple en commentant les concours de strip-tease amateur. La démonstration qu’entreprend Barthes me permet ici d’établir des points de comparaison précis entre les deux formes de strip-tease se succédant.

Selon Barthes, les procédés de mystification du striptease permettent paradoxalement de domestiquer l’érotisme, en créant un rituel rassurant, puisque connu, qui ôte au dénudement sa subversion. Mise en scène, accessoires, danse et technicité des

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BARTHES, Roland. Mythologies, article « Strip-tease », Editions Points, Collection Essai. (Première parution en 1957)

praticiennes sont autant de moyens de placer la femme dans un lointain symbolique, suggérant la sexualité et la conjurant à la fois, et de révéler l’insignifiance de leur finalité, à savoir le dévoilement du corps. La nudité garde en filigrane le souvenir de ses parures magiques ; « habit naturel de la femme » que l’artifice masquait, elle recouvre sa pureté originelle. En comparaison, les concours de striptease amateur, en vogue à l’époque, « rétabli[ssent] incontestablement le pouvoir érotique du spectacle »1 par la maladresse visible des filles et l’absence de magie des numéros. C’est justement sur ces points d’analyse que s’opère la mutation entre le striptease que Barthes a connu et défini dans son article et le striptease lui succédant et prédominant aujourd’hui.

Première distance de la série de couvertures décrite par Barthes, le mythe disparaît. Vamp hollywoodienne, almée, pin-up de l’après-guerre ou héroïne d’opérette deviennent synonymes d’un genre désormais désuet. Sans ambitionner de dresser une liste exhaustive des clubs de striptease actuels et de leurs propositions scéniques, une recherche sur Internet, notamment sur le site de l’Hustler Club, chaîne internationale dont le fondateur est le célèbre Larry Flint, mais aussi sur les sites de clubs moins prestigieux, montre des mises en scène peu soucieuses de créer un imaginaire2. Seules concessions à un traitement esthétique de la nudité, peaux huilées et projecteurs rehaussent l’aspect sculptural du corps ; plus rarement, strass et paillettes réfèrent à un glamour orientaliste ou hollywoodien, dans un kitsch souvent involontaire.

Le déshabillage semble également superflu. String, tanga et tuniques transparentes ont remplacé « le rayon entier de la parure » que Barthes énonce (fourrures, éventails, gants, plumes, bas-résille, etc.) et qu’il définit comme deuxième procédé de distance. Aucun cache-sexe, élément incontournable des numéros de striptease jusque dans les années 1960, ne « barre le sexe comme une épée de pureté » : au contraire, la vulve et l’anus sont souvent offerts au regard, par un écartement plus ou moins prolongé des jambes.

La réduction de l’espace scénique, voire sa suppression, sont une des modifications les plus importantes du striptease moderne. Quand la danseuse du Burlesque présentait ses charmes sur une scène surélevée, dans un rapport principalement frontal, la stripteaseuse moderne ne dispose souvent que d’un espace réduit, une plateforme d’environ deux mètres de diamètre entourant le snorting-pole ou

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Toutes les citations entre guillemets de la partie II.1.a sont extraites de l’article « Striptease » de Barthes.

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une petite rampe à laquelle sont accoudés, comme à un bar, les consommateurs. Certains numéros, notamment les numéros de lapdance, s’effectuent dans la plus grande proximité avec l’assistance, au corps à corps1.

La danse, enfin, que Barthes considère comme la clôture la plus efficace, a subi de nombreuses transformations. Si le go-go dancing des années 1970 exagère déjà les mouvements pelviens du bump and grind du Burlesque, la lapdance et la poledance d’aujourd’hui figurent les impulsions du bassin lors d’un coït. La danse n’ambitionne plus l’art, ou sa caution dénoncée par Barthes, mais le sensationnel et la forte connotation sexuelle.

La disparition de l’ensemble de ces distances ne révèle pas uniquement la fragilisation du protocole du striptease qui n’a plus personnages, scénographie, accessoires, parures et séparation physique pour se prémunir des débordements, elle démontre également une transformation de l’idéologie du métier. Le striptease n’est plus un numéro de déshabillage, mais présente tous les critères d’un service érotique tarifié et particulier. Les pratiques des ventes de tips, billets que le consommateur dépose dans la jarretière ou la culotte de la stripteaseuse (l’art de celle-ci consistant à éviter tout attouchement), de la lapdance où la danseuse effectue des mouvements de bassin sur les genoux du spectateur assis, moyennant rétribution, des peepshows enfin, où le client paie la vision d’une femme, derrière une vitrine ou un judas, alimentent une ambiguïté entre striptease et prostitution. S’il ne faudrait pas accuser de proxénétisme l’ensemble des directeurs des clubs actuels ni oublier qu’existe un cadrage très strict du protocole du striptease2, on ne peut nier en revanche que certaines pratiques actuelles proposent davantage des entraîneuses que des stripteaseuses.

Il me semble y avoir, dans cette évolution du striptease, un indicateur possible des conséquences de la sexploitation. La banalisation de la pornographie dans les médias et son essor commercial ont conditionné en partie les modalités de réception des représentations du corps nu et de la sexualité. L’accès à la dimension sexualisée du corps se fait plus immédiat et sans retardement, dans ce que l’on pourrait identifier comme une relation consumériste au corps représenté : on exige, et ce qui constitue son intimité la plus forte, et que cette intimité soit de plus en plus spectaculaire.

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Voir ICONOGRAPHIE, images 3 et 4, p126.

2

Le client de la danseuse de lapdance n’a aucunement le droit de la toucher, malgré la forte proximité ; tous gestes ou paroles déplacés d’une stripteaseuse sont interdits dans les clubs qui revendiquent un certain standing.

Loin de m’établir en censeure du porno et d’un strip-tease commercial, puisque nous verrons dans un prochain chapitre comment peepshow et industrie pornographique sont investis par les féministes du sex-positivism américain1, je souhaiterais principalement dégager ici certains rapports contemporains à la monstration du corps, de l’érotisme et/ou de la sexualité, façonnés par le développement de la sexploitation, et analyser comment ils participent, des manifestations d’un nouveau féminisme. Par voie de conséquence, j’observerai comment ces rapports contemporains au corps et à la sexualité, doublés d’une certaine idéologie post-féministe, influencent le New Burlesque. Les deux prochaines sous-parties nous éloigneront donc du New Burlesque, mais elles m’apparaissent nécessaires à sa mise en perspective dans certaines mutations sociologiques ou idéologiques.