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a Pole-dance, New Burlesque : l’art-thérapie post-féministe

PARTIE II. STRIP-TEASE ET EFFEUILLAGE DANS UNE ERE POST-LIBERATION

II. 1 « R AUNCH AND S TRIP TEASE C ULTURE »: U N CORPS ET UNE SEXUALITE MARCHANDS

II.3. a Pole-dance, New Burlesque : l’art-thérapie post-féministe

Des cours de poledance aux stages d’effeuillage pour se réconcilier avec ses formes et surprendre son -sa- conjoint-e, le striptease n’est plus réservé, comme autrefois, aux « femmes de petite vertu », mais se fait paradoxalement l’allié de celle que les médias nomment aujourd’hui péjorativement « la ménagère de moins de cinquante ans ».

The presentation of contemporary pole dancing draws on a range of signifiers which are already understood as acceptably feminine: dancing, display, an interest in shoes, a concern with health, exercise and self-development. Its visibility in women’s media and in its association with female celebrities who represent an acceptably raunchy version of femininity in the public eye also works to position it as an acceptable feminine practice1.

1

ATTWOOD, Feona, HOLLAND, Samantha, « Keeping Fit in Six Inch Heels: The Mainstreaming of Pole Dancing » in Mainstreaming Sex, op. cit., p179.

Développée en même temps que les pratiques du go-go dancing et du top-less dans les bars américains des années 70, la pole-dance était encore, jusqu’à cette dernière décennie, le symbole d’une discipline vouée au commerce sexuel. L’article de Feona Attwood et de Samantha Holland, qui s’intéressent à la métamorphose d’une

pole-dance « politiquement incorrecte » en une pole-dance gymnastique, à même de

concilier effort musculaire, ludisme et développement personnel, met en évidence le lien qu’entretient la pole-dance avec les idéologies post-libération sexuelle et post- féministes. Le succès international des Madonna, Beyoncé, Lady Gaga et autres divas professionnelles du scandale habilement exploité, mais également le courant du porno- chic, déjà évoqué, qui déshabille vedettes du grand et petit écran dans ses publicités suggestives, la nudité des actrices dans les magazines1, ont encouragé l’association entre pouvoir érotique et célébrité.

Si, manifestés par un-e anonyme strip-teaseur-se, l’affichage de sa lascivité et sa propre constitution en « objet sexuel » pouvaient encore charrier des connotations péjoratives, l’aura des stars estampille l’ « opprobre » d’un glamour hollywoodien. La transaction entre dévaluation et légitimation s’effectue selon l’implacable logique du « star-system » : « the women on displays are ‘somebodies’ rather ‘nobodies’. »2 Shakira exploite ainsi la pole-dance dans ses chorégraphies ; dans l’un de ses clips, Enrique Iglésias se consume pour une pole-danceuse, Jenifer lui consacre une chanson, et la gamme de lingerie Aubade propose en leçon de charme n°133 de « mettre la barre un peu haut »3, les fesses d’un top-model en string, rivées à un snorting-pole, illustrant le conseil.

La pole-dance bénéficie également des idéologies post-féministes dans leur acception courante de la séduction féminine comme « pouvoir féministe ». La femme libérée moderne est à l’aise dans son corps, ose explorer sa sexualité et sa sensualité, en faire la monstration. Cette nouvelle économie féministe permet de « nettoyer » la pole-

dance de ses origines populaires et vulgaires. Elle se développe donc aujourd’hui dans

des réseaux qui n’ont plus rien en commun avec le monde de la nuit et des lieux de

1

Une publicité pour le parfum Oh ! Lola de Marc Jacobs mettait ainsi récemment en scène la jeune actrice Dakota Fanning, en robe de petite fille, la bouteille de parfum entre les cuisses. La couverture de

Elle Magazine, avec Emmanuelle Béart nue, a boosté les ventes du mensuel, en 2003. Keira Knightley et

Scarlett Johansson posent nue pour la couverture du Vanity Fair en mars 2006. Dans le hors-série des

Inrockutibles, spécial sexe 2010, la miss-météo devenue actrice, Louise Bourgoin, pose nue avec l’acteur

de films pornos gays François Sagat. Etc.

2

ATTWOOD, Feona, HOLLAND, Samantha, « Keeping Fit in Six Inch Heels: The Mainstreaming of Pole Dancing » op. cit., p167.

3

plaisirs semi-interdits, puisqu’elle fait désormais partie des activités proposées dans certaines écoles de danse, aux côtés du tango argentin ou du hip-hop, et compte dans ses rangs étudiantes, mères de famille, retraitées et cadres supérieures, qui viennent, dans un même mouvement, muscler leurs fessiers et développer leur sex-appeal. Car la pole-

dance est acrobatique : à la complexité des figures gymniques qu’elle comprend,

s’ajoute la difficulté de les effectuer en escarpins, reliquats-mêmes de sa filiation avec la sexploitation. Les Etats-Unis et la Grande Bretagne comptent maintenant leur fédération nationale de pole-dance et une pétition circule sur le net pour que la pratique soit inscrite dans les compétitions des Jeux Olympiques.

L’effeuillage du New Burlesque bénéficie d’un engouement similaire. A l’instar des amatrices de pole-dance, les participantes des ateliers d’effeuillage souhaitent lier pratique sportive et exploration de leur sensualité, comme Della « amoureuse de danse, [qui cherchait] (…) un lieu où elle pourrait apprendre à regarder en face ses ‘grosses fesses’. »1 L’effeuillage fait donc désormais partie des outils de développement personnel et nombres de professionnel-le-s orientent leur discours en ce sens : « J’ai réalisé combien la scène pouvait être une thérapie, qui permet de s’aimer, de se mettre en valeur »2, explique Juliette Dragon ; le Bordeaux Collectif Burlesque travaille en réseau avec des associations de lutte contre le cancer du sein, dans un objectif « de reconstruction de l’estime de soi après la maladie »3 ; Jo « Boobs » Weldon en fait de même aux Etats-Unis, dans son programme Pink Light Burlesque et je ne recenserai pas ici tous les intitulés de stage de New Burlesque qui annoncent « bien être », « désinhibition » et « réconciliation avec son corps ». La confusion entre pratique artistique et art-thérapie est telle que certaines professionnelles sont amenées à s’inscrire en faux contre cet amalgame4. En tout état de cause, pole-dance et effeuillage ont amplement acquis, dans l’opinion publique, le statut de disciplines acceptables, voire encouragées, puisqu’ils font partie à présent des incontournables des enterrements de vie de jeune fille ou des bons-cadeaux.

1

BALLET, Virginie, « Désinhibez-moi », Libération, 26 avril 2011.

2

Ibid.

3

Site du collectif BCB, http://www.bordeauxcollectifburlesque.fr/qui-sommes-nous/

4

Eva Montes, par exemple, rappelle qu’« il faut être portée par une vraie implication artistique » pour monter sur scène, et non par une volonté de « défi ou pour s'affirmer » Entretien avec Chris Do Carmo, blog Beburlesque, http://beburlesque.com/entrevues/entrevue-avec-ema-mont-s. Wanda de Lullabies conseille, elle, de « ne pas chercher [dans le New Burlesque] un remède décomplexant pour surmonter sa timidité, ses complexes physiques, mais un vrai amusement et le faire par passion ». Entretien avec Romain, blog Soburlesque, http://www.soburlesqueblog.com/2011/09/pour-ce-nouvel-article-de-la- rentree-je.html

Considéré autrefois comme une pratique licencieuse à destination des hommes, le strip-tease s’enseigne et se réalise aujourd’hui dans un cercle paradoxalement féminin. Les stigmates-mêmes de son ancienne inscription dans une économie patriarcale sont détournés : si la praticienne souhaite être sexy et désirable, c’est avant tout pour elle-même et dans un souci d’estime de soi ; la valeur érotique des escarpins de la pole-dance s’efface devant leur dimension gymnique. Selon Attwood et Holland, en excluant les hommes des séances de pole-dance, on « désexualise » la discipline qui n’est plus une entreprise de séduction, mais un moyen, pour la femme, de se sentir forte et belle, sous les encouragements de ses comparses.

Se constituer « objet de désir » en revendiquant conjointement une émancipation de la domination masculine, constitue cependant un paradoxe difficile à résoudre : entérine-t-il les logiques sexistes qu’il prétend déstabiliser ou opère-t-il une production de nouvelle(s) identité(s) féminine(s), en retournant les stigmates des anciennes définitions (patriarcales) de la féminité ?