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Stratégies transversales

Dans le document Engagement paternel et vie militaire (Page 60-64)

Chapitre 4 : Résultats

4.4 Stratégies utilisées

4.4.1 Stratégies transversales

4.4.1.1 Famille en priorité sur la carrière

Une carrière dans les Forces armées canadiennes peut nécessiter de nombreux sacrifices familiaux en raison du service envers leur pays pour lequel les militaires prêtent serment au moment de leur enrôlement (Gouvernement du Canada, 2017). La carrière militaire est donc supposée prévaloir sur les aspects de la vie personnelle du membre en raison de ce devoir professionnel, par exemple en s’absentant de sa famille pour de longues périodes, ou encore en étant muté dans une ville différente de celle où sa famille demeure. Six participants sur dix ont toutefois rapporté tenter de mettre leur famille en priorité sur leur carrière, malgré les impacts négatifs que certaines décisions peuvent avoir sur l’avancement de celle-ci. Ils visent donc, en prenant certaines décisions professionnelles qui mettront leur famille en priorité, à minimiser l’impact de leur carrière sur leurs enfants.

Les pères militaires essaient d’abord de limiter le nombre d’absences ainsi que la durée de celles-ci lorsque cela est possible. Ils n’accepteront pas, par exemple, de suivre un cours qui n’est pas nécessaire ou bien de passer du temps supplémentaire en théâtre opérationnel malgré les avantages financiers pouvant venir avec ces types d’engagements. Ils sont conscients de l’impact que leur absence a sur leurs enfants et ne veulent pas empirer la situation en partant plus longtemps ou plus souvent. Certains pères font également des choix stratégiques quant au moment propice afin de s’investir dans leur carrière en fonction de l’âge des enfants. C’est le cas d’Alexandre, père de trois filles : « Je souhaite repartir

justement prochainement. C’est sûr que je vais en parler à mes filles un peu. Mais je me dis c’est peut-être mieux plus jeune, parce qu’à l’adolescence ça va être pire, c’est là qu’elles vont être plus désagréables. C’est pour ça que là je veux faire un blitz et après ça je vais ralentir un peu ».

Dans les Forces armées canadiennes, les mutations sont imposées et la plupart du temps non négociables. Les mutations peuvent être une source importante de stress pour des hommes ayant une famille qui doivent imposer une nouvelle ville et parfois même une nouvelle province à leurs enfants. Les pères sont conscients de l’impact des déménagements sur leurs enfants et parfois même du lieu de mutation qui pourrait être négatif pour eux, comme l’explique Mathieu qui n’a pas apprécié sa dernière mutation dans une autre province : « (…) j’ai détesté ça pour mourir, mais pas tant parce que la place était

plate. C’est vraiment parce que c’est une place que ça ne me tentait pas d’élever mes enfants. C’est ça qui a fait que je suis revenu au Québec. J’ai un petit peu mis ma carrière en jeu parce que ça s’est presque rendu au niveau des menaces ». Mathieu, tout comme

d’autres participants, a donc pris une décision qui aurait pu avoir des impacts négatifs importants sur l’avancement de sa carrière afin de mettre le bien-être de sa famille en priorité. Certains militaires tels que Jérôme refuseront de monter en grade tout au long de leur carrière, puisqu’avec un grade plus élevé viennent des responsabilités plus élevées. Celui-ci considère qu’en demeurant au bas niveau de la chaîne de commandement, il a davantage de contrôle sur les décisions qui lui sont imposées puisque d’autres collègues peuvent pallier son absence sur son lieu de travail, si par exemple il avait une urgence familiale. Il renonce à un grade plus élevé pour la suite de sa carrière afin de limiter ses responsabilités professionnelles et ainsi demeurer le plus disponible pour sa famille. Jérôme se questionne également sur le temps qu’il donnera à l’armée en raison de l’impact que sa carrière militaire a sur sa famille et puisqu’il désire voir ses enfants grandir.

D’autres participants rapporteront faire davantage preuve de prudence en théâtre opérationnel puisqu’ils sont conscients de l’impact que leur perte aurait sur leurs enfants. Ils mettent donc leur famille en priorité sur leur carrière en ne prenant pas des risques qu’ils auraient peut-être pris avant de fonder une famille.

4.4.1.2 Organisation familiale

Une famille canadienne dont le père est militaire nécessite une organisation particulière adaptée à sa réalité, qui peut s’avérer différente d’une famille nucléaire civile dans laquelle les deux parents sont présents à temps plein. Le couple met souvent en place une organisation permettant au père de demeurer le plus engagé possible auprès de ses enfants, malgré l’instabilité de sa présence auprès d’eux :

Elle je dirais qu’elle s’occupe beaucoup des enfants. Moi je m’occupe de la cuisine, beaucoup du ménage et de l’entretien de la maison. Mais en dehors de ça, vu qu’on a 3 enfants et qu’ils demandent beaucoup de temps, ça fait quand même une bonne distribution des tâches de ce côté-là. Je l’aide toujours à s’occuper des enfants quand même. Mais avec mon horaire de travail et mes départs fréquents, c’est plus facile pour elle si elle s’occupe de leur routine, pis que moi j’assiste, mais je ne prenne pas en charge rien là-dedans (Olivier).

Cette organisation permet également de faciliter la vie familiale ainsi que les périodes d’adaptation entourant les absences prolongées, ce qui peut soutenir indirectement le père dans son rôle.

Plusieurs familles choisissent que la mère demeure à la maison afin qu’elle soit le plus disponible possible à accomplir les tâches ménagères et parentales. Le père dont la conjointe demeure à la maison s’engage alors dans un rôle de pourvoyeur, puisque c’est lui seul qui subvient aux besoins financiers de la famille. D’un autre côté, les participants concernés rapportent que c’est grâce à leur conjointe que les tâches plus monotones liées à la famille sont accomplies au cours de la journée. Le soir, cela leur permet donc de passer du temps agréable avec leurs enfants : « Elle, ça lui donne la journée pour faire ses affaires,

faire le magasinage, l’épicerie, des affaires de même. (…) Le temps que les trois sont à l’école elle a eu le temps de faire tout ça et le temps que moi j’arrive les devoirs sont faits. C’est plus le fun aussi, t’as pas besoin de te casser la tête les fins de semaine à se dire on va aller magasiner, faire l’épicerie, faire ci, faire ça. On fait plus d’activités » (Alexandre). Un

père dont la conjointe est femme au foyer aura donc davantage d’occasions d’être en interaction avec son enfant, au lieu d’être coincé dans une routine plus soutenue que connaissent les familles où les deux parents sont sur le marché du travail.

Tous les pères militaires ayant participé à l’étude décrivent leur conjointe comme étant la « gestionnaire » de la vie familiale. Pour eux, cela signifie que c’est elle qui s’occupe des tâches administratives de la famille ainsi que de leur suivi, telles que la gestion de la santé des enfants ou bien de leurs rendez-vous. Les pères ont l’impression qu’ils viennent plutôt en soutien à leur conjointe dans cette dimension des responsabilités familiales, puisqu’il serait difficile pour eux de tenir un suivi à distance lorsqu’ils quittent pour une période d’absence prolongée. Il est possible de croire que tenir cette responsabilité de « gestionnaire

familiale » est demandant pour la conjointe et que le fait d’être femme au foyer la rendrait

plus disponible à ce type de tâches. Selon les participants concernés, avoir une mère au foyer pourrait minimiser le risque d’épuisement de la conjointe et alléger les responsabilités du père, ce qui faciliterait son engagement auprès des enfants.

Certains participants rapportent qu’un bon équilibre entre les méthodes disciplinaires des deux conjoints peut également être bénéfique au maintien du lien avec leurs enfants. En effet, comme il a été élaboré dans la précédente section sur les défis de la paternité, les

pères militaires présentent bien souvent une discipline plus rude et plus rigide que leurs conjointes. Cette discipline « militaire » pouvant nuire au lien affectif qu’ils entretiennent avec leurs enfants, la conjointe, souvent plus souple dans cette dimension, viendra tempérer le père dans ses interventions et ses méthodes disciplinaires, tel que l’explique Philippe : « Moi

je suis moins tolérant, ça fait que c’est sûr qu’à la base ça peut créer des discussions. Déjà là qu’elle (la conjointe) avait sa façon de fonctionner depuis le mois que j’étais parti, moi j’arrive et je suis un peu plus rigide. Je ne veux pas non plus mettre ma petite fille à dos, alors c’est peut-être bon qu’elle me dise de slaquer, de choisir mes batailles ». Ainsi, une

bonne entente dans l’équipe parentale ainsi qu’une communication efficace à cet effet aiderait le père militaire à assouplir la discipline qu’il applique auprès de ses enfants. En contrepartie, le père peut soutenir la mère par ses interventions, particulièrement si elle a de la difficulté à se faire obéir de son côté. Un bon équilibre dans la discipline entre les deux parents serait ainsi bénéfique à l’engagement paternel puisque cela éviterait qu’il soit perçu comme la seule figure autoritaire et le tyran de la famille par ses enfants.

4.4.1.3 Passer du temps avec l’enfant

Les pères militaires tenteront le plus possible de passer du temps avec leurs enfants lorsqu’ils sont présents, et même plus qu’un père civil selon certains participants. Il est important pour eux de s’investir dans la dimension de l’engagement paternel de l’interaction lorsqu’ils sont à la maison, puisqu’ils savent que c’est dans cette dimension qu’ils auront le plus de défis à long terme en raison de leur carrière. Mathieu explique bien sa position face à son engagement dans cette dimension de l’interaction : « Quand je suis à la maison,

j’essaie de maximiser le temps que j’ai avec mes enfants, j’essaie de maximiser le temps que j’ai en famille en gros. Pour… je ne dirais pas compenser parce que je trouve que compenser c’est lourd comme mot. Mais un peu pour contrebalancer les effets de quand je ne suis pas là ».

Lorsqu’ils sont présents, les pères mettent l’accent sur la qualité des moments passés avec leurs enfants et non sur le caractère grandiose de ceux-ci. Ils ne basent pas la satisfaction des moments passés avec leurs enfants sur la quantité de voyages ou encore des activités sortant de l’ordinaire, mais plutôt sur les souvenirs qui se créent dans des moments banals tels qu’une discussion sur le divan ou encore lors d’une marche avec eux. Les pères se concentrent donc à jouer le plus souvent possible avec eux, à les emmener jouer dehors lorsqu’ils s’occupent du terrain, à avoir le plus de discussions possibles avec eux, ou bien à

s’impliquer dans leurs activités parascolaires. Les pères ont l’impression que cette implication dans les activités des enfants lorsqu’ils sont présents allège la tâche de la conjointe en plus de montrer aux enfants que leur père s’intéresse à ce qu’ils font.

Les pères militaires ne passent donc pas autant de temps qu’ils le voudraient avec leurs enfants dans une année complète. Toutefois, plusieurs considèrent le temps qu’ils passent avec leur enfant comme équivalant et même surpassant celui passé par les pères civils qui, selon eux, ne mettraient peut-être pas l’interaction avec leur progéniture en priorité sur leurs autres responsabilités personnelles et professionnelles. Plusieurs définitions de l’engagement paternel recueillies dans la présente étude soulevaient le concept d’interaction avec les enfants et il est possible de croire que les participants mettent une grande partie de leur temps et énergie en dehors du travail à s’engager dans cette dimension.

4.4.2 Stratégies ponctuelles

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