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Les caractéristiques des pères militaires

Dans le document Engagement paternel et vie militaire (Page 77-80)

Chapitre 5 : Discussion des résultats

5.3 Les caractéristiques des pères militaires

À la lumière des résultats de l’étude, l’utilisation de la division du cycle de déploiement de Logan (1987) s’est avérée pertinente puisque, comme l’auteur l’avait soulevé dans son étude, la période entourant un déploiement est particulière et empreinte de défis. Les défis identifiés par les pères incluent la pression de devoir prendre de l’avance sur les tâches familiales avant de partir, le sentiment de culpabilité de laisser sa conjointe avec une charge importante, l’anticipation du retour, ou bien les défis de réintégration aux nouvelles routines au retour. Les résultats de la présente étude viennent supporter cette théorie, puisque les participants soulèvent ces défis spécifiques à la période entourant le déploiement, mais également des stratégie mises en place à ces moments clés également. Les participants soulèvent toutefois des défis liés à leur paternité en général ainsi que certaines stratégies qui peuvent être appliquées non seulement ponctuellement, mais également à long terme. Ces stratégies se réfèrent par exemple à une organisation familiale plus traditionnelle où la mère demeure à la maison, à passer le plus de temps possible avec les enfants lorsqu’ils sont présents ou bien à mettre la famille en priorité sur la carrière lors des prises de décisions.

Les résultats de la présente étude quant à la réalité des pères militaires rejoignent ceux de la littérature actuelle sur certains points et se différencient sur d’autres. L’étude d’Andres et Moelker (2011) a démontré que les pères militaires vivent de l’anxiété face à l’impact de

leurs absences fréquentes sur leurs enfants, mais également par rapport à la pression d’être à la fois un pourvoyeur ainsi qu’un père présent pour eux. Ce défi quant à la prise de conscience de l’impact que leur métier a sur les enfants a également été soulevé par les participants, mais se présente davantage sous forme de culpabilité. Une certaine forme d’anxiété est tout de même soulevée dans les discours des pères, puisqu’en plus de s’inquiéter de l’impact de leurs absences passées (culpabilité), ils s’inquiètent du déroulement ainsi que des conséquences de leurs futures absences (anxiété). Les dix pères militaires nomment ces sentiments à la fois de culpabilité et d’anxiété en lien avec leur connaissance des impacts de leur absence sur leurs enfants. Ils sont bien conscients des conséquences que leur métier impose à leurs enfants et sont même en mesure de distinguer les différentes réactions selon l’âge de ceux-ci, ce qui avait également été démontré par Flake, David, Johnson et Middleton (2009). Les participants ont donc soulevé des réactions d’extériorisation chez leurs enfants plus jeunes, tandis que les plus vieux auraient tendance à se renfermer et à intérioriser leurs réactions. Cela démontre qu’ils sont attentifs à ce que vivent leurs enfants, ce qui entraîne chez plusieurs participants un fort sentiment de culpabilité, d’anxiété et d’impuissance puisqu’ils anticipent ces réactions négatives de leurs enfants et ont le sentiment de ne rien pouvoir faire.

Une forme de culpabilité est également reliée chez les pères militaires aux responsabilités supplémentaires qu’ils imposent à leur conjointe lorsqu’ils quittent pour une absence prolongée, en plus de la charge habituellement plus élevée qu’elle doit assumer en tout temps en raison de l’instabilité de leur présence. Ils sont également conscients des conséquences de leur absence sur leur conjointe tels qu’un niveau de stress plus élevé ainsi qu’un épuisement marqué. Les défis pour une conjointe de militaire avaient également été documentés dans l’étude américaine de Burton, Farley et Rhea (2009) et sont semblables à ceux relatés par les participants de la présente étude. Certains militaires canadiens rapportent toutefois vivre de la culpabilité face au fait que dans leur famille, il serait plus commode pour la mère de demeurer femme au foyer lorsque les enfants sont en bas âge. Les participants ayant fait part de ce sentiment de culpabilité considèrent que par leur métier, ils empêchent leur conjointe de travailler pendant plusieurs années même si ce n’est pas nécessairement le premier choix de celle-ci. Certaines femmes désirant travailler se voient confrontées à une analyse des coûts et bénéfices de suivre un modèle de vie familiale plus traditionnel en demeurant à la maison, en laissant leur conjoint être le seul pourvoyeur afin de combler adéquatement les besoins des enfants. Cela peut être difficile pour certaines

conjointes étant donné l’évolution de la place de la femme sur le marché du travail, qui place aujourd’hui la femme et l’homme dans une situation davantage égalitaire quant à la contribution financière familiale (Lamb, 2000). Les études américaines recensées ne soulèvent pas ce sentiment de culpabilité des pères militaires face au fait que leur métier limiterait leur conjointe dans sa carrière personnelle. Cette divergence entre la présente étude et la littérature américaine pourrait, hypothétiquement, être liée à une distinction de la place de la femme sur le marché du travail entre le Canada et les États-Unis. La proportion de femmes sur le marché du travail aux États-Unis est actuellement en déclin, ce qui n’est pas le cas au Canada (Toosi, 2016). Selon ces données, aux États-Unis un possible retour aux valeurs traditionnelles où la femme demeure à la maison afin de s’occuper des enfants pendant que l’homme travaille est envisageable. Il est donc possible de penser que d’un pays à l’autre, la place de la femme sur le marché du travail peut varier et par le fait même teinter la perception des pères des rôles que eux et leur conjointe entretiennent.

Afin de diminuer cette culpabilité ressentie à l’égard de leur conjointe ainsi que de leurs enfants, les pères tenteront de compenser à l’avance le temps « perdu » avec leur famille, avant de partir. Alors que l’étude de Louie et Cromer (2014) soulève le fait que les pères augmenteront significativement le temps passé avec leur famille dans les semaines précédant le départ pour une absence prolongée, les participants de la présente étude rapportent quant à eux qu’ils ont la préoccupation constante de devoir passer plus de temps avec leurs enfants. En plus de créer des souvenirs positifs avec eux, les participants estiment qu’ils soulagent leur conjointe d’un fardeau lorsqu’ils passent du temps avec les enfants puisque cela lui donnerait du repos en lui permettant de se concentrer sur d’autres tâches familiales sans avoir à s’occuper des enfants à la fois. Cette stratégie de passer le plus de temps possible avec leurs enfants lorsqu’ils sont présents est donc mise en place afin de diminuer leur culpabilité, mais peut ajouter une certaine pression au père. C’est sur cet aspect de leur paternité que les participants de la présente étude convergent avec ceux de l’étude d’Andres et Moelker (2011), qui peuvent ressentir de l’anxiété face à leur paternité. En effet, les pères militaires peuvent ressentir une certaine anxiété de performance quant aux moments passés avec leurs enfants. Étant donné que ces moments sont rares et précieux en raison de leurs absences fréquentes, les pères désirent que ceux- ci soient parfaits afin de ne pas « manquer leur coup » (Antoine). Cette anxiété face aux attentes qu’ils se mettent quant à ces moments passés en famille est donc présente dans les discours de certains participants.

Devoe et Ross (2012) décrivent la paternité en contexte militaire comme étant une réalité difficile qui requiert des adaptations autant au niveau professionnel que familial. Une carrière militaire entraîne en effet des changements fréquents, que ce soit au niveau de la chaîne de commandement, des fonctionnements, des mutations, ou encore des déploiements. Les capacités d’adaptation des militaires sont fréquemment mises à l’épreuve et ceux-ci sont entraînés afin de bien réagir face aux changements. D’un autre côté, être un père nécessite selon les auteurs une bonne capacité d’adaptation également afin de faire face aux changements et aux défis familiaux. Les participants soutiennent cette constatation en faisant référence aux changements fréquents dans les routines familiales ou bien dans les réactions des enfants lorsqu’ils reviennent d’une absence. La dimension familiale ainsi que la dimension professionnelle, nécessitent donc une grande capacité d’adaptation, ce qui peut être difficile et demandant pour un père militaire qui est appelé à changer fréquemment dans ces deux sphères de sa vie. L’étude de Devoe et Ross (2012) soulève une ambivalence pour les pères militaires qui doivent prendre des décisions quant à leur carrière qui peuvent avoir des impacts négatifs sur leur famille, ou bien des décisions familiales qui peuvent avoir un impact tout aussi négatif sur leur carrière. Cette ambivalence est également présente dans les discours des participants. Toutefois, les résultats démontrent que certains pères de l’échantillon ont choisi de mettre leur famille en priorité sur leur carrière, malgré le serment qu’ils ont fait de servir leur pays d’abord, par exemple en refusant des mutations imposées, des prolongations de déploiement ou encore des montées en grade. Ces pères prennent des décisions familiales qui peuvent avoir des conséquences négatives sur leur carrière, puisque leur famille est primordiale. Devoe et Ross (2012) ont observé une tension entre les obligations familiales et professionnelles chez les militaires, sans toutefois rapporter que ceux-ci priorisent les obligations familiales. Cette différence peut s’expliquer par le fait que l’échantillon de la présente étude était constitué exclusivement de volontaires motivés à parler de leur paternité et possiblement plus enclins à prioriser leur engagement paternel.

Dans le document Engagement paternel et vie militaire (Page 77-80)