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CHAPITRE 3 : Trajectoires professionnelles des immigrés d’Afrique subsaharienne vivant

V. Implications

V.1. Stratégies pour améliorer la situation d’emploi parmi les PVVIH

V. Implications

Si les résultats de ces travaux ont leurs limites, ils se veulent néanmoins d’avoir des implications. Nous discutons donc dans cette section les pistes à envisager et les obstacles pour améliorer la situation d’emploi des personnes vivant avec le VIH.

V.1. Stratégies pour améliorer la situation d’emploi parmi les PVVIH

Une des hypothèses sous-jacentes de nos travaux était que l’amélioration des traitements, et en conséquence de l’état de santé des individus, allait peut être améliorer la situation d’emploi des PVVIH. Si dans nos études, les informations concernant la « capacité à travailler »11 des PVVIH n’étaient pas disponibles, une étude récente à partir d’une cohorte suisse montre que la mise

11 La capacité à travailler, définie par le jugement médical sur les capacités de l’individu à effectuer son travail

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sous traitement des personnes vivant avec le VIH améliore rapidement leurs capacités à travailler, amélioration qui ne se traduit cependant pas sur le marché du travail, les taux d’emploi restant faibles (Elzi et al. 2016). Alors comment enrayer la situation d’emploi défavorable des personnes vivant avec le VIH, en partie décrite par nos résultats, alors que l’état de santé ne semble plus être le seul frein à l’emploi ?

Une revue Cochrane de 2015 a évalué les interventions ayant pour objectif de maintenir et d’améliorer l’emploi des personnes vivant avec le VIH (Robinson et al. 2015). Trois approches ont été identifiées pour atteindre ce but : la première vise à utiliser les multithérapies pour empêcher la maladie et ses symptômes de se développer ; la deuxième vise à mettre en place des adaptations de poste de travail ou des aménagements du temps de travail ; et la troisième vise à offrir un soutien psychologique aux individus pour qu’ils puissent mieux faire face aux difficultés rencontrées. L’étude conclut qu’il existe des preuves, mais de faible qualité, sur le fait que les thérapies antirétrovirales pourraient améliorer l’emploi des PVVIH. Aucune étude avec un schéma d’étude d’essai randomisé n’a été faite sur l’apport de soutien psychologique. Les auteurs de la revue promeuvent donc des essais randomisés de bonne qualité afin de déterminer si les interventions sur le milieu du travail, le soutien psychologique ou les traitements peuvent améliorer la situation d’emploi des personnes vivant avec le VIH. Les résultats de cette revue de la littérature, malgré la haute précision et la rigueur des analyses, a cependant certaines faiblesses : premièrement, le fait qu’elle inclut des contextes socioéconomiques et épidémiologiques très différentes, les cinq études inclues provenant de l’Afrique du Sud, de l’Inde, de l’Ouganda, du Kenya et des Etats-Unis d’Amérique. Deuxièmement, l’exclusion des études non randomisés, alors que la littérature, avec ces schémas d’étude, montre notamment les bénéfices, en termes d’emploi, sur les personnes vivant avec le VIH des approches combinant soutien psychologique et aide à l’insertion professionnelle (Escovitz & Donegan 2005; Conyers 2004). Il apparait notamment difficile, voire même non éthique, de mettre en place dans le milieu du travail des essais randomisés alors que la grande majorité des PVVIH ne parlent pas de leur séropositivité sur leur lieu de travail.

Une piste d’intervention, qu’exclut cependant la revue de la littérature Cochrane, est la mise en place de politiques publiques pour l’insertion des personnes malades ou handicapées. Si aucune étude, à notre connaissance, n’a été réalisée dans le champ du VIH pour évaluer l’impact de l’implémentation de mesures en faveur du maintien des personnes malades dans l’emploi, une étude a estimé l’effet de la première « loi handicap » de 1987 sur l’emploi des travailleurs handicapés. Cette dernière, en utilisant la méthode des doubles différences, montre que la loi de 1987 aurait été contreproductives pour l’emploi des travailleurs handicapés, les employeurs ayant préféré payer les contributions à l’Agefiph plutôt que d’embaucher des travailleurs handicapés (Barnay et al. 2016). Cependant, cette étude s’arrête en 2006, peu de temps après

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que la loi handicap de 2005 ait été adoptée, et qui a notamment augmenté les pénalités à payer en cas de non-embauche de travailleurs handicapés. Les statistiques publiques ont suivi l’évolution de l’emploi de personnes handicapées suite à l’instauration de la loi Handicap de 2005. Les premières années suivant la mise en place de la loi semblent s’être accompagnées d’une augmentation de l’emploi direct des travailleurs handicapés entre 2006 et 2010(Amrous 2012). Cependant, depuis 2010, on observe une baisse de l’emploi direct de travailleurs handicapés, combinée à une augmentation de l’embauche en CDD au détriment de l’embauche en CDI (Babet 2014). Cette baisse des embauches de travailleurs handicapés semble s’expliquer par une baisse des embauches dans l’emploi en général. Si les récents retournements économiques semblent freiner l’application de la loi, continuer les politiques en faveur de l’insertion des personnes handicapés et malades semble être une voie prometteuse pour augmenter la participation au marché du travail des malades chroniques.

Au vu de nos résultats cependant, il semble que globalement cette loi n’a pas permis d’augmenter la participation au marché du travail des personnes vivant avec le VIH. Le conseil national du SIDA et les rapports des experts sur la prise en charge des personnes vivant avec le VIH donnent des pistes de compréhension de ce moindre fonctionnement (Celse & Geffroy 2009; Morlat 2013a).

Dans un premier temps, il convient de revenir sur la loi du 11 février 2005, qui définit ainsi la notion de handicap : « Constitue un handicap (…) toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement, par une personne en raison d’une altération substantielle, durable ou définitive d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d’un polyhandicap ou d’un trouble de la santé invalidant. »12 Il faut reconnaitre à cette loi la vision novatrice du handicap qu’elle instaure, dans le sens où elle déplace la notion prévalant en France jusqu’alors du handicap centré sur les caractéristiques de la personne pour passer à la notion de « situation de handicap ». « Le handicap n’est plus un attribut inhérent à la personne et provoqué par une lésion physique ou une maladie, il est produit par un environnement inadapté. Ce n’est donc pas tant la personne qui est handicapée, mais la société dans laquelle elle évolue qui se révèle handicapante» (Celse & Geffroy 2009). Si la loi est novatrice dans les textes, le Conseil national du sida constatait en 2009 des difficultés de transcription dans les pratiques.

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V.1.1. Mieux lier le monde du handicap au monde du VIH/SIDA

Ces difficultés apparaissent notamment du fait que le monde du handicap est peu familiarisé aux spécificités du VIH. Afin d’obtenir l’accès aux différentes prestations de compensation du handicap (AAH, exonérations fiscales, RQTH, etc.), le handicap est évalué par une équipe pluridisciplinaire au sein des MDPH (Maison départementale des personnes handicapées). A partir d’un certificat médical établi par le médecin traitant (formulaire normalisé) et en fonction d’un guide-barème pour l’évaluation des déficiences et des incapacités des personnes handicapées, le médecin instructeur de la MDPH détermine le taux d’incapacité de la personne (Celse & Geffroy 2009). Alors que la notion de taux d’incapacité est entendue au sens large, on observe dans la pratique que l’information contenue dans le dossier médical « s’attache exclusivement aux bilans biologiques et cliniques de la pathologie elle-même – souvent très favorables grâce aux traitements efficaces disponibles aujourd’hui – et sous-estime les manifestations invalidantes induites ou néglige de les décrire précisément, notamment les effets secondaires des traitements, les effets psychologiques, la fatigabilité, etc. »

En 2013, dans le rapport des experts sur la prise en charge des personnes vivant avec le VIH, ces derniers appellent notamment à inscrire les spécificités de la problématique « VIH et Handicap » dans les programmes régionaux et interdépartementaux d’accompagnement (PRIAC) des handicaps et de la perte d’autonomie (Morlat 2013b).

V.1.2. Promouvoir un meilleur accès aux dispositifs

De plus les experts listent également les obstacles au recours aux dispositifs en place : « multiplicité et manque de lisibilité des dispositifs et des acteurs, accompagnement insuffisant ou inadapté, difficultés à faire reconnaitre des effets invalidants du VIH dans des cadres avant tout conçus pour la prise en charge de formes plus traditionnelles de handicap et auprès d’instances peu sensibilisées »(Morlat 2013b)

Enfin, la crainte de la stigmatisation reste un obstacle important dans le cas du VIH : «bien que le recours aux différents dispositifs n’implique pas de révéler la nature de la pathologie, sauf au médecin du travail, de très nombreuses PVVIH demeurent réticentes à faire valoir auprès de leur employeur ou des acteurs du service public de l’emploi, des droits en lien avec une pathologie au long cours par crainte de conséquences négatives. »(Celse & Geffroy 2009)

Dans nos données, nous n’avions pas d’informations concernant les taux d’incapacité pour les individus qui l’avaient demandé, ni le nombre de personnes ayant obtenu la reconnaissance en qualité de travailleur handicapé (RQTH). Cependant, le faible nombre de personnes ayant eu des aménagements, que ce soit sur leur poste ou sur leurs horaires de travail, que nous rapportons dans le premier chapitre montre que le chemin vers un monde du travail qui s’adapterait aux

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capacités de ses salariés est encore long. Alors qu’une étude française sur l’impact de l’aménagement des conditions de travail sur la reprise du travail après un cancer, montrent justement que ces aménagements augmentent la probabilité de retour au travail et améliore l’état de santé autoévalué (Clainche 2016).

Nos résultats sur les aménagements au travail mériteraient d’être plus investigués afin d’évaluer précisément les freins à l’utilisation des dispositifs relatifs aux travailleurs handicapés parmi les personnes vivant avec le VIH. Une étude portant sur les déterminants des demandes de taux d’incapacité faites par les personnes vivant avec le VIH et les déterminants des taux d’acceptation permettrait de donner des pistes de changements concrètes.

Par ailleurs, il semble qu’il serait important de plus sensibiliser les équipes qui assurent le suivi VIH sur la thématique de l’emploi. Le bilan annuel, recommandé par les experts, offre un cadre privilégié pour suivre la question de l’emploi. A la fois, car cela a à voir avec la gestion de la maladie au sens médical, l’emploi ayant été mis en évidence comme un facteur positif indépendant d’observance parmi les PVVIH (ILO et al. 2013); mais également dans la gestion de la maladie, nos résultats sur les conditions de travail montrent des situations d’emploi contraignantes qui peuvent être un frein au suivi des recommandations en terme de prévention et de suivi clinique. De plus, outre l’aspect médical, les médecins pourraient prévenir les sorties de l’emploi ou, tout du moins, informer sur les dispositifs possibles et encourager les individus à s’en saisir.