• Aucun résultat trouvé

Chapitre 1 Connaissances, enjeux et problématique

I. La matière organique du sol : ses fonctions, sa dynamique, sa complexité

I. 2. Les concepts liés à la MOS : une boite noire à explorer

I.2.5. Stocks, chimie et stabilité de la MOS en milieux de montagne : des connaissances limitées

Les milieux de montagne sont caractérisés par une grande variabilité à l’échelle

spatiale (gradients altitudinaux, topographie complexe qui génère des microclimats locaux et

engendre une forte hétérogénéité des sols, différences marquées de substrat rocheux et de

conditions climatiques d’un massif à l’autre) et à l’échelle temporelle (fortes variations

journalières et saisonnières de température et d’humidité). Cette variabilité inhérente associée

à la faible accessibilité de ces milieux ainsi qu’au manque d’outils de mesure appropriés

limitent nos capacités de suivi et nos connaissances qui restent généralement très

fragmentaires en ce qui concerne la quantité, la structure chimique et la réactivité du COS

(Becker et al., 2007; Cotrufo et al., 2011; Sjögersten-Turner et al., 2011).

Du point de vue du stockage de C, les sols de montagne apparaissent comme

d’exceptionnels réservoirs de C, sur substrat calcaire particulièrement (ex. organosols et sols

humifères du Jura ; Gobat et al., 2010). Sjögersten-Turner et al. (2011), sur la base d’une

quinzaine d’études portant sur les sols de montagne, ont relevé des stocks compris entre 54 et

278 t C. ha

-1

avec une médiane située autour de 100 t C. ha

-1

sur l’ensemble du profil, ce qui

est comparable aux stocks des sols boréaux ou des sols de toundra (Jobbagy and Jackson,

2000 ; Fig 7). Localement, des facteurs tels que la végétation, la roche mère et le climat

peuvent fortement influencer ces quantités de COS (Garcia-Pausas et al., 2007; Sebastià and

Puig, 2008). Il apparait que ces stocks de C augmentent significativement avec l’altitude, de

l’ordre de 3.5 t C. ha

-1

/ 100 m pour les prairies et 4.5 t C. ha

-1

/ 100 m pour les forêts, horizons

organiques inclus (Sjögersten-Turner et al., 2011). Au contraire, la productivité primaire

diminue avec l’attitude et réduit de façon marquée les apports de C au sol. Ceci souligne

l’importance des facteurs limitant la décomposition de la MO (tels que les conditions

climatiques froides) pour le stockage de C en montagne.

Jusqu’à présent, la grande majorité des études conduites sur les sols de montagne se

sont concentrées sur l’estimation des stocks de C (ex. Garcia-Pausas et al., 2007; voir

Sjögersten-Turner et al., 2011 pour une synthèse) mais très peu de travaux se sont penchés sur

la caractérisation et la dynamique de ce C. Or ces stocks apparaissent comme très dépendants

43

de la qualité et de la stabilité du COS, et ces dernières informations sont essentielles pour

appréhender l’évolution des sols et de leur C dans le contexte actuel de changements globaux

(Sjögersten-Turner et al., 2011). De récents travaux ont mis en évidence une forte corrélation

entre altitude et labilité du COS : la MOS en altitude serait constituée de fortes proportions de

matière organique particulaire (MOP), non protégée et facilement décomposable par les

microorganismes (Leifeld et al., 2009; Budge et al., 2010, 2011). Budge et al. (2010, 2011)

relèvent ainsi des proportions de MOP de l’ordre de 40 à 60% entre 2200 m et 2700 m pour

des prairies alpines, contre des proportions deux fois moindre (10 - 30%) entre 400 m et 1600

m. Ceci suggère que l’évolution de la MOP libre en matière organique liée au minéral (c.à.d.

fortement stabilisée) est entravée en altitude. Les raisons de cette accumulation de POM et

absence de stabilisation forte peuvent être diverses : (i) diminution des taux de décomposition

liée à une suppression des organismes du sol du fait de conditions climatiques plus froides en

altitude (« stabilisation climatique »; Torn et al., 2009; Sjögersten-Turner et al., 2011), (ii)

litière de qualité plus récalcitrante (riche en cires et en composés aromatiques) qui limiterait

sa décomposition et son humification (Cornelissen et al., 2007; De Deyn et al., 2008; Baptist

et al., 2010), et/ou enfin (iii) apports de C au sol d’origine majoritairement endogée qui

limitent son turnover. Le C provenant des parties racinaires ou aériennes présente en effet des

taux de décomposition distincts, le carbone issu des parties endogées s’accumulant

préférentiellement dans le sol tandis le carbone issu de la litière épigée est plus rapidement

dégradé (Loya-Johnson and Nadelhoffer, 2004; Rasse et al., 2005; Garcia-Pausas et al., 2011).

Ce dernier mécanisme pourrait donc être particulièrement important pour le stockage de C

dans les écosystèmes alpins ou arctique (toundra) où la majeure partie de la biomasse des

plantes est endogée (Garcia-Pausas et al., 2011).

Quoi qu’il en soit, ces larges stocks de C labile en montagne impliquent une forte

vulnérabilité de ces sols face à des changements de conditions climatiques et des changements

d’usage (Sjögersten-Turner et al., 2011). Les sols de montagne sont ainsi classés comme «

hot-spots » potentiels d’émission de gaz à effet de serre (Jandl et al., 2007).

D’autres études apportent toutefois un éclairage différent. Des auteurs ont montré que

le CO de sols soumis à des précipitations importantes (Pansu et al., 2007) et en contexte

44

calcaire (Aranda and Oyonarte, 2006) pourrait être plus stable du fait d’un plus haut degré de

transformations microbiennes de la MOS (Grandy et al., 2007). Il est à noter que dans l’étude

de Grandy et al. (2007), contrairement à ce qui a été exposé précédemment, la MOP (fraction

légère) du sol, litière exclue, est remarquablement moins abondante dans les sites alpins

(arbustes et végétation herbacée) que dans les sites forestiers (forêt mixte) à plus basse

altitude.

Des recherches plus approfondies seraient nécessaires quant à la caractérisation du COS

en montagne et la compréhension des mécanismes de stabilisation du C en lien avec les

facteurs stationnels (Messerli and Ives, 1997).

Le développement de techniques analytiques et d’indicateurs fiables et applicables à

large échelle pour mesurer et suivre ces caractéristiques du sol s’avère essentiel.

Ces outils permettraient de mieux appréhender la vulnérabilité des ces milieux face aux

changements globaux actuels et attendus.

Fig. 7. Carte des stocks de COS dans

les sols de surface (0-30 cm) en

Europe (Jones et al., 2004, 2005).

Les stocks de C en montagne peuvent

être comparables aux stocks des sols

boréaux ou aux sols de toundra

(Jobbagy and Jackson, 2000).

45

I. 3. Les outils : quelles approches analytiques pour étudier la MOS à