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E STIMER LES FLUX DE GÈNES POUR COMPRENDRE LES INTERACTIONS ENTRE LES POPULATIONS

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 127-132)

CHAPITRE III : DES POPULATIONS LOCALES À L’AIRE DE RÉPARTITION GLOBALE

III.1. E STIMER LES FLUX DE GÈNES POUR COMPRENDRE LES INTERACTIONS ENTRE LES POPULATIONS

Les études de populations locales de L. amethystina permettent de mieux connaître la biologie et la dynamique locale de ce champignon, mais que se passe-t-il à plus grande échelle ? Cette espèce a une aire de répartition géographique large, et la multiplication d’études locales, concernant des conditions environnementales très particulières et non un continuum d’habitats, ne permet pas d’accéder aux facteurs structurant les populations et leurs interactions.

L’étude des flux de gènes entre populations est un moyen de décrire les échanges entre les populations (Chapitre I). Chez les champignons basidiomycètes, les migrations ne sont, en général, pas réalisés par les individus d’une génération donnée, mais par leur descendance sous forme de basidiospores. L’estimation des flux de gènes permet donc aussi de décrire les capacités de dispersion des basidiospores, alors que cette capacité est difficile à estimer par l’observation directe des spores (James et Vilgalys 2001 ; Millington et Corden 2005).

Les facteurs structurant les populations peuvent être liés { la biologie de l’espèce (son régime de reproduction, le mode de dispersion de ses spores, par exemple), mais aussi à son environnement (des barrières géographiques, des milieux plus ou moins favora bles à l’établissement des spores). À des échelles modérées, les conditions environnementales peuvent jouer un rôle dans la structure entre les populations ectomycorhiziennes. Jany et al.

(2002) ont par exemple observé, entre populations de mêmes sites, un niveau de différenciation suggérant un effet des caractéristiques édaphiques sur la structure des populations. Chez S. luteus en revanche, des conditions édaphiques particulièrement contrastées (sites pollués ou non par des métaux lourds) ont un effet limité sur la structure génétique des populations (Muller 2004, 2007). Les auteurs suggèrent l’importance de la reproduction sexuée et des flux de gènes entre populations, qui permettrait l’évolution rapide de la tolérance à la pollution tout en maintenant des niveaux élevés de diversité génétique au sein des populations. Le niveau de perturbation de l’habitat peut aussi influer sur la structure locale des populations, comme chez H. cylindrosporum (Guidot et al. 2003 ) ou Tricholoma sp.

(Gryta et al. 2006 ; Tableau 6).

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Les populations d’espèces ectomycorhiziennes montrent ainsi des capacités d’adaptation locale à des facteurs environnementaux abiotiques. Leur association symbiotique pourrait également être impliquée dans leur structure fine. Même si la plupart de ces espèces sont considérées comme généralistes (Smith et Read 2009), les peuplements d’hôtes sont variables, notamment en âge et en composition en espèces, et pourraient impliquer une spécialisation de leurs partenaires ectomycorhiziens, invisible morphologiquement.

Un autre facteur de différenciation par l’environnement, potentiellement plus puissant et plus constant que les variations biotiques et abiotiques du milieu, est l’isolement par la distance entre les populations. Comme nous le soulignons dans l’article de revue des études de génétique des populations de champignons ectomycorhiziens (Douhan et al. en préparation), bien que la migration, par la dispersion des spores pour les champignons ectomycorhiziens, soit un processus majeur façonnant la structure génétique des populations et participant au maintien de leur diversité, peu d’études sont consacrées aux flux de gènes entre les populations de ces espèces fongiques. La plupart s’intéressent { des populations distantes de moins de 1000 km, décrivant leur structure génétique spatiale sur une petite partie seulement de l’aire de répartition des espèces (Tableau 7).

Les premières études ne donnent pas toujours d’estimateurs de flux génique, mais analysent les distances entre les populations par la méthode Unweighted Pair Group Method with Arithmetic mean (UPGMA), regroupant hiérarchiquement les individus les plus proches génétiquement et permettant de faire ressortir des groupes géographiques plus ou moins évidents (Jany et al. 2002 ; Wu et al. 2005). Par la suite, les analyses de données ont estimé les flux géniques { l’aide d’indices de différenciation entre paires de populations (FST, ФST, θST ; Chapitre I ; Tableau 7) ; l’isolement par la distance a été testé sur des distances variées, par autocorrélation spatiale pour une échelle locale (Kretzer et al. 2005), ou par des tests de Mantel, recherchant des corrélations entre les distances génétiques (FST/(1-FST)) et les distances géographiques (Tableau 7). Amend et al. (2009b), de façon originale, utilisent même la recherche d’isolement par la distance entre des populations de T. matsutake dans les lits du Mekong et du Yangtse (Yunnan) avec une l’approche de génétique du paysage (Encadré 1). Les auteurs comparent les impacts respectifs des distances euclidiennes (en ligne droite entre

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deux points donnés) et des « distances du paysage » (des distances géographiques pondérées par la topologie du paysage) sur la distance génétique des populations ; ils montrent une absence d’isolement par la distance géographique simple, mais un test de Mantel significatif pour les distances du paysage (r=0,57, p=0,002). Cette étude suggère une dispersion efficace (dispersion puis établissement) des spores de T. matsutake possible à longue distance, mais limitée aux couloirs formés entre les montagnes par les lits des deux fleuves. Les quelques études de structure génétique spatiale de populations ectomycorhiziennes font émerger des patrons de flux géniques variés, reflétant la dispersion des spores par les mycophages ou le vent généralement (voire les avalanches pour C. geophilum, Wu et al. 2005 ; Tableau 7). Ces études mettent également en évidence certaines barrières à la dispersion ; la distance géographique limite rapidement la dispersion des spores pour des espèces dispersées par les animaux, comme C. geophilum (Jany et al. 2002), R. brevipes (Bergemann et al. 2006), ou Rhizopogon sp. (Kretzer et al. 2005). Des barrières géographiques peuvent aussi créer des obstacles à la dispersion de spores par le vent et à leur établissement dans un milieu favorable, comme les Montagnes Rocheuses isolant des populations américaines de R. brevipes (Bergemann et Miller 2002) ou les montagnes du Yunnan en Chine pour T. matsutake (Amend et al. 2009b).

L. amethystina est une espèce décrite en Europe et en Asie, considérée comme généraliste, car observée sous une large gamme d’hôtes et des forêts de diverses maturités. Les différents suivis de fructifications montrent une forte diversité génétique des populations, qui pourrait refléter une spécificité cryptique locale, par exemple liée { l’espèce hôte ou { l’âge de la forêt.

Au cours de ma thèse, l’étude de Roy et al. (2008) a testé l’existence d’une structure génétique entre les populations de L. amethystina liée au peuplement, et l’importance des flux géniques entre ses populations françaises à une échelle modérée (450 km). Puis nous avons élargi notre fenêtre d’étude aux populations du continent européen (de l’Espagne { la Finlande, 2900 km) jusqu’{ l’autre extrémité de l’aire de répartition théorique de L. amethystina, le Japon. Cette approche nous a permis de caractériser des processus structurant les populations, locaux et inter-populationnels, en prenant en compte les potentielles barrières à la dispersion et aux flux de gènes, comme les distances géographiques mais aussi des facteurs environnementaux.

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Tableau 7 : Principales caractéristiques de structure géographique spatiale entre populations de champignons ectomycorhiziens. En gras : cas de différenciation significative entre des populations éloignées

Étude Ectomycorhize / hôte et

zone géographique Répartition des

populations Marqueurs génétiques

et échantillons Diversité

intra-populations Flux de gènes Isolement par la

distance Dispersion

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