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Liste des tableaux Tableau 1 : Effectifs des dents prélevées par types dentaires

1.2 E STIMATION DE L ’ ÂGE , ENTRE TRADITION ET INNOVATION

Alors que, sous l’influence de divers facteurs, le tissu osseux subit de nom-breuses modifications, les méthodes d’estimation de l’âge chez l’adulte se con-centrent traditionnellement sur quatre régions principales : la symphyse pu-bienne (Brooks et Suchey, 1990), la surface auriculaire de l'ilium (Lovejoy et al., 1985), l’extrémité sternale des côtes (İşcan, Loth et Wright, 1984) et les sutures exocrâniennes (Meindl et al., 1985). Ces préférences communes à l’anthropologie médico-légale (Garvin et Passalacqua, 2012) et à l’anthropologie d’une façon plus générale (Falys et Lewis, 2011) sont soutenues par un accès aisé aux indicateurs qui ne requièrent qu’une analyse visuelle. Cet avantage confère à ces techniques un ratio « accessibilité /performance » optimal. Ces préférences reposent aussi sur une longue tradition puisque les études décri-vant les changements liés à l'âge caractérisant ces régions anatomiques sont

- Estimation de l’âge, entre tradition et innovation

documentées dès le début des années 1920 (Todd, 1920 ; Todd et Lyon, 1924) et bon nombre de ces méthodes originales continuent d'être enseignées et donc diffusées. La reconnaissance des limites de ces approches traditionnelles con-duit à des examens toujours plus approfondis des indicateurs de la sénescence comme la surface auriculaire de l'ilium (Buckberry et Chamberlain, 2002 ; Hens et Godde, 2016 ; Igarashi et al., 2005 ; Schmitt, 2005) et des indicateurs de la maturation osseuse comme la symphyse pubienne (Hartnett, 2010 ; Stoyanova, Algee-hewitt et Kim, 2017) ou la synostose des sutures crâniennes (Boyd, Villa et Lynnerup, 2015). Cependant, des applications révélant des lacunes sur l’applicabilité des méthodes classiques et révélant quelques libertés méthodolo-giques conduisent Falys et Lewis (2011) à énoncer que les techniques employées deviennent aussi variables que les indicateurs biologiques eux-mêmes. Si l’on admet qu’un indicateur morphologique imparfaitement corrélé à l'âge chrono-logique implique une erreur lors de sa transcription en une variable chronolo-gique, on conçoit que les estimations aient de plus en plus recours à des procé-dures statistiques complexes (Boldsen et al., 2002 ; Hens et Godde, 2016). Une technique d’estimation de l’âge, en plus d’être fiable, testée et cernée, doit de-meurer accessible. La multiplication des ajustements et des correctifs méthodo-logiques couplés aux traitements statistiques sert ces méthodes traditionnelles autant qu’elle sert les autres approches en bouleversant ce ratio « accessibilité /performance ». Si à cela l’on ajoute le caractère jugé subjectif des examens morphologiques et de leur cotation, on comprend aisément que les recherches se lancent dans une course aux indicateurs mieux corrélés à l’âge chronolo-gique. Cet objectif détourne les études des indicateurs osseux traditionnels et oriente les recherches vers les indicateurs dentaires (Lamendin et al., 1992) mais aussi vers les techniques biochimiques (Greis et al., 2017 ; Zapico et Ubelaker, 2013), physiques (Navega et al., 2017 ; Nishida et al., 2015) et histologiques (Frost, 1987 ; Mnich, Skrzat et Szostek, 2017 ; Stott, Sis et Levy, 1982 ; Stout et Paine, 1992). À travers la corrélation, c’est la recherche de la linéarité de l’évolution de l’indicateur biologique ou biochimique et de l’âge chronologique qui s‘exprime. Bien que cette relation linéaire ait été mise en évidence pour de nombreux indicateurs, chacun souffre de limitations.

Les approches novatrices basées sur la réduction de la densité minérale osseuse estimée à 3-4% par décennie après 40 ans pour l’os cortical et à 7-12% après 30/35 ans (Nishida et al., 2015) permettent par densitométrie de construire des intervalles de prédiction* fiables (Navega et al., 2017). Néanmoins, l’accès à un densitomètre complique l’adoption de cette technique et comme l'admettent les auteurs, bien que reproductible, la méthode est influencée par les affections microstructurales et chimiques de l’os et se limite à des cas récents. Les mé-thodes biochimiques, qu’elles se basent sur la modification de molécules (e.g. racémisation de l'acide aspartique) ou sur l’accumulation de certains produits (e.g. produits de glycation avancée) souffrent de limitations analogues. Elles se caractérisent par des incertitudes acceptables mais au prix d’un lourd

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sement. En plus de faire appel à des techniques non familières à l’anthropologue, le privant aussi d’une utilisation en routine (e.g. chromatogra-phie en phase gazeuse, chromatograchromatogra-phie liquide haute performance, immuno-histochimie etc.), l’évolution des indicateurs est influencée par la cause du décès (e.g. calcination) et les facteurs taphonomiques* et peut être dépendante du tissu considéré (Zapico et Ubelaker, 2013). Même si certaines de ces approches sont maintenant reconnues, elles ne peuvent être envisagées qu’en combinaison avec d'autres méthodes osseuses ou dentaires. Les méthodes dentaires originelle-ment basées sur six indicateurs (Gustafson et Malmö, 1950) puis ramenées à trois variables (Lamendin et al., 1992), voire à une seule (Bang et Ramm, 1970), ont pour critères communs la transparence radiculaire. Conjuguée à d’autres indicateurs tels que la hauteur de l’attache du parodonte ou la longueur de la racine, la méthode Lamendin livre des estimations rapides et fiables et se carac-térise donc par un ratio « accessibilité /performance » très attractif. Cependant, les estimations peuvent s’avérer inexactes en cas de parodontopathies sévères (Baccino et al., 2014). Pour certains auteurs, la transparence radiculaire est mieux corrélée à l’âge lorsqu’elle est employée seule (Selvamani et al., 2013). Toutefois, en cas d’intervalle post mortem* [PMI] important, cette transparence peut être affectée par des effets taphonomiques et les limitations de la méthode la condamnent donc à n’être employée que pour des sujets récents. Ce critère de transparence bien corrélé à l’âge traduit la minéralisation progressive de l’hydroxyapatite* [Ha] au sein des tubules de dentine et montre l’importance d'approcher l’édification progressive des tissus minéralisés. L’enquête de Falys et Lewis (2011) menée sur trois revues scientifiques majeures montre que seul 1% des études publiées fait appel à des techniques histologiques. Cependant, les procédures de préparations histologiques sont bien moins lourdes et bien moins inaccessibles que bon nombre des approches précédentes et ouvrent jus-tement l’accès au dépôt périodique d’un tissu minéralisé : le cément.

1.3

D

E LA SCLÉROCHRONOLOGIE À LA CÉMENTOCHRONOLOGIE

L’estimation de l'âge ainsi que la détermination de périodes et de durées d'événements marquants de l'histoire d’un individu figurent au centre des objectifs de la schlérochronologie*. À l’instar des cernes de croissance des arbres qui représentent l’archétype de la structure de croissance ou des couches an-nuelles de dépôts glaciaires, sédimentaires et stalagmitiques (Baker et al., 1993 ; Petterson, Odgaard et Renberg, 1999 ; Rittenour, Brigham-Grette et Mann, 2000), le règne animal est caractérisé par des dépôts périodiques permettant d’estimer l'âge et d’accéder aux taux de croissance d’organismes et de struc-tures aussi variées que les coquilles de bivalves (Lutz et Rhoads, 1980), les sque-lettes coralliens (Dodge et Thomson, 1974), les mâchoires de vers annélides (Olive, 1980), les statolithes de méduses ou de calmars (Arkhipkin, 1997 ; Ueno, Imai et Mitsutani, 1995), les exosquelettes de criquets (Zuk, 1987), les squelettes d’ophiures (Gage, 1990), les écailles (Robillard et Ellen Marsden, 1996) et

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lithes* de poissons (Stevenson et Campana, 1992), les os d’amphibiens et de reptiles (Enlow et Brown, 1956) et les os et dents de mammifères (Klevezal, 1996). Il est admis que tout organisme constitué de tissus édifiés par appositions successives peut enregistrer un rythme (Scrutton, 1978). Ces structures périodiques dues à des variations du rythme de croissance sont sous l’influence de facteurs environnementaux biotiques et abiotiques et de facteurs endogènes. Elles ont été reconnues dans les tissus osseux et dentaires des mammifères au milieu du XXe siècle (Laws, 1952 ; Scheffer, 1950) et dès les années 1960, la présence de ces anneaux a été confirmée dans l’os, la dentine et le cément de mammifères de différents groupes systématiques et écologiques. Dès 1969, Klevezal et Kleĭnenberg affirment que la méthode d’estimation de l'âge des mammifères en fonction du nombre de couches dans les tissus de la dent et de l'os est la plus universelle et la plus précise. Aujourd’hui, l’estimation de l'âge par le décompte des anneaux de croissance est devenue une méthode appliquée en routine pour certaines espèces de mammifères marins et terrestres comme en témoigne le laboratoire Matsona avec à ce jour plus de 2 278 780 dents animales analysées.

Il est admis que les structures de croissance dentaires sont généralement les plus détaillées et qu’elles offrent différentes résolutions de l’enregistrement. La plupart des dents de mammifères est constituée de trois tissus et chacun est capable de livrer ses propres enregistrements.

L'émail — Bien que sujet à l’attrition occlusale, il est le matériau le plus couramment utilisé pour aborder la croissance chez les mammifères. L’émail est caractérisé par une organisation incrémentale résultant d’un changement de la composition minérale des prismes et permet d’accéder à une périodicité journalière et d’estimer la durée de formation de la couronne. Cependant, une fois cette dernière achevée, l’édification du tissu est arrêtée. Ainsi, en anthropologie, son application se limite aux jeunes individus et à l’étude de la variation de la croissance entre les populations ou les espèces (Ramirez Rozzi, 2005 ; Ramirez Rozzi et Bermudez De Castro, 2004).

La dentine — Protégée de l’attrition, elle est également caractérisée par un rythme de croissance journalier marqué par des lignes incrémentales appelées lignes de von Ebner (Klevezal, 1996 ; Rosenberg et Simmons, 1980 ; Schour et Steadman, 1935). Bien qu’elle permette d’estimer des âges de formation de la racine, la fin de l’édification radiculaire met aussi un terme à la formation du tissu. En conséquence, ce tissu ne permet l’estimation de l’âge que de sujets immatures. Pour les sujets adultes, la position de défauts de minéralisation au sein de la dentine permet de repérer et de dater des épisodes carentiels à

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condition qu’ils soient survenus pendant l’enfance (Brickley et al., 2017 ; D’Ortenzio et al., 2016).

Le cément — Egalement protégé de l’attrition, il est de loin le support le plus utilisé pour estimer un âge chez les mammifères. Ce tissu, qui désigne l’ensemble des tissus conjonctifs minéralisés recouvrant les surfaces radicu-laires, est constitué, comme le tissu osseux, d’une trame organique et d’une phase minérale, mais, contrairement à l’os, il ne subit aucun remaniement au cours de la vie de l’individu. Son apposition présumée annuelle qui débute à l’édification de la racine et perdure jusqu’à la mort de l’individu est le fondement de la cémentochronologie. Le dénombrement des dépôts de cément, caractérisés par des alternances de bandes claires et sombres, ajouté à l’âge de l’édification radiculaire de la dent considérée permet donc de déduire l’âge au décès du sujet (Figure 1).

Avant d’entrer dans le détail des analyses cémentochronologiques, il est impor-tant de s’attarder sur les rythmes biologiques à l’origine de ces structures in-crémentales. Si les mécanismes qui contrôlent les dépôts cémentaires restent à ce jour mal connus, l’universalité des rythmes biologiques et des enregistre-ments périodiques dans les tissus minéralisés ne peut être ignorée et l’état de nos connaissances de la cémentogenèse ne doit donc pas freiner les études cé-mentochronologiques. En effet, les recherches fondées sur l’édification cyclique de l’émail et de la dentine sont antérieures à l’élucidation de la régulation des rythmes biologiques impliqués dans la formation de ces deux tissus. Il nous semble donc pertinent de faire état de l’importance des études des horloges biologiques pour établir que la croissance du cément ne résulte pas de méca-nismes exclusifs mais que son édification est juste synchronisée sur un autre rythme que les deux autres tissus dentaires (Figure 2). Il nous apparaît aussi essentiel de revenir sur l’organisation du tissu à l’origine de l’expression optique des incréments de croissance. Cet état des connaissances de la biologie

+

Figure 1 : Âge au décès = âge de l’éruption de la dent + " anneaux cémentaires.

- Rythmes biologiques et structures alternées

du cément nous paraît d’autant plus essentiel que nous considérons que cer-tains résultats discordants des études cémentochronologiques chez l’Homme résultent d’interprétations histologiques inappropriées. Contrairement à l’animal où la distinction entre cément cellulaire* et acellulaire* peut ne pas être pertinente (Burke et Castanet, 1995) les différents types de céments chez l’Homme, par leurs propriétés différentes et leurs fonctions distinctes, ne peu-vent contribuer équitablement à l’estimation de l’âge au décès.