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Liste des tableaux Tableau 1 : Effectifs des dents prélevées par types dentaires

1.6.2 A LTÉRATION DES TISSUS ET DÉGRADATION DES PERFORMANCES

Afin de lever une ambiguïté courante concernant l’emploi des termes

taphono-mie et diagenèse, nous commencerons ce paragraphe par une brève présentation

du contexte dans lequel ils ont été introduits.

TAPHONOMIE, DIAGENESE ET BIOSTRATINOMIE

L'histoire de l’étude des modifications post mortem est étroitement liée au déve-loppement de la paléontologie. Au début du XXe siècle, les analyses fondées sur des enregistrements fossiles ont bénéficié d’avancées théoriques essentielles avec les travaux de Weigelt (1927) qui introduit le concept de biostratinomie pour désigner les facteurs altérant les restes organiques depuis leur mort jusqu’à leur enfouissement. Ce concept est ensuite élargi par Efremov (1940) qui introduit la notion de taphonomie qui étymologiquement énonce les lois qui régissent l’enfouissement d’organismes et leur transition de la biosphère à la lithosphère. En-fin, Müller (1951) dénomme diagenèse l’ensemble des transformations subies par la matière organique après son enfouissement définitif. Ainsi, l’histoire post

mortem d’un organisme implique des étapes successives. La première

corres-pond aux processus subis par l’organisme, depuis sa mort jusqu’à son enfouis-sement dans les sédiments, i.e. la biostratinomie. La seconde correspond aux transformations chimiques et physiques affectant l’organisme après son en-fouissement, i.e. la diagenèse. La première phase peut inclure une succession de cycles enfouissement/exhumation et la seconde phase s’achève avec la mise au jour des restes enfouis. Biostratinomie et diagenèse sont donc deux champs de la taphonomie, ayant leurs propres concepts, objectifs et méthodes, mais la li-mite entre ces champs n'est pas clairement établie (Fernández-López et Fernández-Jalvo, 2002).

Ce phasage distingue les processus essentiellement biologiques avant l’enfouissement des processus géologiques après l’enfouissement. Dans le cas d’activités anthropiques où l’inhumation peut être rapide et volontaire, la limite correspondant à l’enfouissement est donc bousculée et la confusion devient compréhensible. La distinction entre les processus pré- et post-enfouissement se révèle d’autant plus ambiguë et arbitraire s’il l’on considère que certains fac-teurs biologiques, au-dessus ou au-dessous du sol, agissent de manière iden-tique. Ainsi en archéologie puis en anthropologie, des approximations ont po-pularisé le terme taphonomie et un sens large lui a été donné pour désigner les

- Etat de l’art

altérations physiques, chimiques ou biologiques de la composition originale d’un organisme ou d’un objet et conditionnant sa conservation (Behrensmeyer et Kidwell, 1985).

Ainsi, dans ce travail, nous utiliserons le terme taphonomie car il est souvent délicat de se prononcer sur la chronologie d’apparition des altérations.

HISTOTAPHONOMIE DU CEMENT

Il est évident que les altérations taphonomiques, qu’elles affectent le corps entre la mort et l’enfouissement ou qu’elles surviennent longtemps après l’enfouissement, conditionnent la nature des observations requises pour estimer un âge au décès (Haglund et Sorg, 2002). Il est également clair que ces modifica-tions, si elles atteignent les indicateurs biologiques, peuvent influencer la préci-sion de l’estimation des techniques traditionnelles et conduire à des intervalles qui s’étendent avec l’ampleur des altérations (Ubelaker, 2010).

Par leur forte minéralisation, les dents offrent une grande résistance aux proces-sus de dégradation et se présentent comme le support idéal ou comme une bonne alternative lorsque les altérations rendent l’interprétation de la morpho-logie osseuse difficile. L’intérêt suscité par la cémentochronomorpho-logie résulte donc des performances de la technique mais aussi de la conservation préférentielle des tissus dentaires. Toutefois, le cément est le moins minéralisé des trois tissus composant la dent. De plus, même si il n’est pas vascularisé et donc peu poreux, il est à l’interface entre le milieu extérieur et la dentine dont les tubules de dia-mètre similaire aux canalicules osseux le relient au système vasculaire (Hillson, 2005). Le cément est donc susceptible d’être altéré malgré sa protection au sein de l’alvéole. Ces altérations sont d’ailleurs désignées par l’intégralité des études consacrées à du matériel ancien comme la principale limitation de la cémento-chronologie et les auteurs recommandent unanimement d’en faire l’étude ap-profondie. Comme le soulignent Geusa et ses collaborateurs (1999) le bon état de préservation macroscopique peut dissimuler les altérations de la microstruc-ture. Ainsi, même si la sélection d’une dent en vue de préparations histolo-giques doit évidemment privilégier un support bien préservé, ce n’est qu’après les phases de préparation que la préservation des tissus peut être évaluée. L’intérêt doit donc être porté sur l’histotaphonomie (Bell, 2012) qui, en plus d’apporter des informations sur la qualité et la proportion des tissus préservés, permet d’accéder aux modifications peri mortem et post mortem elles-mêmes pré-servées. Ces altérations peuvent avoir trois origines : i) la modification biolo-gique ou bioérosion (i.e. attaque microbienne) ; ii) la modification chimique des composés organiques (i.e. hydrolyse) ; iii) la modification chimique des compo-sés inorganiques (i.e. dissolution) (Child, 1995 ; Hedges, 2002 ; Hedges, Millard et Pike, 1995 ; Millard, 2001 ; Turner-Walker, 2008). Même si l’histotaphonomie concerne tout type de tissu et a fait l’objet de nombreuses études sur l’os, nous

- Etat de l’art

concentrerons notre propos sur les tissus dentaires avec une attention particu-lière portée au cément.

La première description d’une invasion microbienne post mortem est relatée par Wedl (1864) qui a immergé des coupes de dents fraîchement extraites dans de l'eau non traitée. Après une dizaine de jours, Wedl a mis en évidence un réseau de tunnels de 7 à 8 µm de diamètre qui aujourd’hui portent son nom et dont l’origine est depuis attribuée à l’activité fongique (Marchiafava et Ascenzi, 1974). Cette expérience, même prolongée, a établi que ces altérations affectaient le cément et la dentine mais que l’émail en était dépourvu. Des tunnels simi-laires ont alors été mis en évidence dans des os et des dents fossiles (Roux, 1887 ; Schaffer, 1889, 1890). Sur un échantillon couvrant de larges périodes his-toriques, Sognnaes (1955) a observé que ces tunnels pénétraient les tissus den-taires depuis la cavité pulpaire et depuis la surface externe du cément. Une fois encore, ces observations ont montré que l'émail n'était pas affecté. Bien que la proportion de dents affectées soit différente entre les groupes étudiés, Sognnaes a estimé qu'il n’existait pas de corrélation entre les altérations et la chronologie et a suggéré que ces tunnels apparaissaient peu de temps après le décès. La chronologie d’apparition de la bioérosion a rapidement fait l’objet d’une étude par Syssovena (1958) qui a conclu que les modifications post mortem se produi-saient au-delà de 70 ans après l'inhumation. D’autres recherches (Clement, 1958, 1963) ont démontré que les mécanismes responsables de la présence et l’étendue de ces changements sont indépendants du délai post mortem et des travaux plus récents montrent que l’apparition de micro-organismes peut sur-venir à l’échelle de quelques mois (Bell, Skinner et Jones, 1996). Les études his-totaphonomiques ont ensuite préférentiellement ciblé le tissu osseux et ont eu pour objectif principal de caractériser les altérations (Hackett, 1981 ; Jackes et al., 2001 ; Jans, 2005 ; Poole et Tratman, 1978). Turner-Walker (2008), dans une étude portant sur l’os et la dent, a montré que l’agencement des altérations bio-logiques dépend de la microstructure des tissus. Ces travaux révèlent que les micro-organismes suivent l'orientation des fibres de collagène et exploitent les plans de faiblesse des tissus. Ainsi, la structure alternée du cément que traver-sent des fibres extrinsèques est propice à ces altérations taphonomiques. Cependant, si des études se sont intéressées aux altérations du cément (Bell, Boyde et Jones, 1991 ; Hollund, Jans et Kars, 2014 ; Turner-Walker, 2008), elles ont, chez l’Homme, été totalement dissociées de la fiabilité de la cémentochro-nologie. Chez l’animal, Stutz (2002) a établi sur des dents paléolithiques que des recristallisations de l’Ha peuvent fausser le nombre d’anneaux décelés. Cette étude qui ne considère pas la bioérosion rappelle toutefois que la dégradation des composés organiques et la recristallisation de la fraction minérale ne doi-vent pas être négligées dans les études cémentochronologiques.

L’association de la matière organique et minérale est, en effet, capitale pour la compréhension des processus de dégradation. Les cristaux d’Ha composant le

- Problématiques de la recherche

cément sont, comme pour l’os, intimement associés aux fibres de collagène et leur agencement entraîne des espaces réguliers. Le collagène, stable in vivo, peut selon les conditions environnementales se dénaturer après la mort. Cette dé-gradation du collagène provoquée par l'activité biologique (Balzer et al., 1997 ; Grupe, 1995 ; Jans et al., 2004) ou une déstabilisation thermique (Leikina et al., 2002) crée des espaces favorables à la circulation des fluides et des micro-organismes conduisant, à terme, à la dissolution de la phase minérale (Keenan, 2016). Ainsi, même si les mécanismes par lesquels les micro-organismes dé-composent le collagène ne sont pas élucidés (Keenan, 2016), la bioérosion et les modifications chimiques des matrices organiques et inorganiques sont étroite-ment liées.