• Aucun résultat trouvé

2. Recension des écrits

2.4 Stigmatisation

2.4.2 Stigmatisation des PVVIH: un obstacle aux efforts de santé publique

Même si elle semble diminuer avec le temps (Bruce & Walker, 2001), la stigmatisation des PVVIH continue d’engendrer plusieurs conséquences néfastes. Par exemple, elle affecte gravement leur santé mentale et la qualité de vie de ceux qui appartiennent aux groupes à risque (Aggleton, 2002; Aggleton & Parker, 2002; DesJarlais, Galea, Tracy, Tross, & Vlahov, 2006; Lee, Kochman, & Sikkema, 2002; Miller, Grover, Bunn, & Solomon, 2011) en provoquant notamment des sentiments de honte et de culpabilité (Aggleton & Parker, 2002). Elle peut également amener les PVVIH à s’isoler et à éviter de dévoiler leur statut sérologique ou encore, à se priver de services et de soins de santé de qualité qui pourraient leur être grandement bénéfiques (Aggleton, 2002; Chesney & Smith, 1999). Il s’agit là d’une des voies par laquelle la stigmatisation accentue les inégalités de santé entre personnes séronégatives et séropositives (Parker & Aggleton, 2003).

26

La stigmatisation des PVVIH constitue également un obstacle majeur aux efforts de santé publique, en contribuant à la sous-déclaration des cas (Chesney & Smith, 1999; Herek et al., 2003; Klein et al., 2002; Malcolm et al., 1998; Valdiserri, 2002). Plusieurs auteurs suggèrent que même si elles sont sensibilisées aux risques d’infection, plusieurs personnes évitent de passer un test de dépistage par crainte d’un résultat positif et de devoir affronter la stigmatisation liée à cette maladie (Aggleton et al., 2005; Aggleton & Parker, 2002; Chesney & Smith, 1999; DesJarlais et al., 2006; Fortenberry et al., 2002; Herek et al., 2003; Mawar, Sahay, Pandit, & Mahajan, 2005; Stall et al., 1996). Quant aux individus qui ont des comportements à risque pour le VIH, la stigmatisation (et la discrimination qui en découle parfois) peut les inciter à maintenir ces comportements, de peur qu’un changement sur ce plan éveille un doute chez leur partenaire quant à leur statut sérologique (Aggleton & Parker, 2002; Liu et al., 2005; Peretti-Watel et al., 2006, 2007). « Et enfin, [la stigmatisation fait] que les [PVVIH] sont considérées à tort comme une sorte de “problème” plutôt que comme une composante de la solution visant à contenir et à gérer l’épidémie » (p.5, Aggleton & Parker, 2002). C’est à travers ces conséquences néfastes que la stigmatisation des PVVIH contribuerait à la propagation du virus (Aggleton et al., 2005; Novick, 1997). L’impact de la stigmatisation sur la propagation du VIH demeure cependant mal compris en raison du manque de travaux empiriques à ce sujet (Obermeyer & Osborn, 2007).

2.4.3 Mesures de la stigmatisation

Dans le domaine du VIH, trois types d’études mesurent la stigmatisation : des comparaisons entre le stigma lié au VIH et le stigma lié à d’autres maladies, des évaluations de la stigmatisation perçue et vécue par les PVVIH et des

27

évaluations de la stigmatisation dans la population en général (Nyblade, 2006). Au sujet des évaluations de la stigmatisation dans la population en générale, les études abordent généralement deux dimensions, d’une part la distanciation sociale et le soutien aux mesures coercitives destinées aux PVVIH et d’autre part, elles portent sur les valeurs et attitudes envers les PVVIH. Au Québec, deux enquêtes téléphoniques provinciales ont porté sur les attitudes de la population en général par rapport aux PVVIH. Dans la première, menée en 1996, les attitudes envers les PVVIH étaient définies selon quatre dimensions : peur-crainte d’être infecté, préjugés négatifs, libéralisme ou rigidité des valeurs, soutien social. Dans la seconde enquête réalisée en 2002, les attitudes envers les PVVIH étaient expliquées par cinq dimensions : peur-crainte d’être infecté, contact personnel, préjugés-perceptions des groupes à risque, libéralisme, soutien social (Leaune, Adrien, & Dassa, 2003).

Bien que plusieurs auteurs aient tenté de mesurer la stigmatisation des PVVIH depuis une dizaine d’années, ces travaux comportent des lacunes majeures (Earnshaw & Chaudoir, 2009). Premièrement, il est rare que les chercheurs présentent explicitement les bases conceptuelles et théoriques du développement de leur instrument, ce qui fait que la majorité des instruments ne sont pas exhaustifs et ne couvrent pas toutes les dimensions de la stigmatisation (Earnshaw & Chaudoir, 2009). La plupart des mesures abordent les préjugés et la discrimination, mais rares sont celles qui ont documenté les croyances négatives stéréotypées dans le domaine du VIH. Deuxièmement, les chercheurs définissent souvent la stigmatisation de manière très vague (Link & Phelan, 2001; Parker & Aggleton, 2003), ce qui a pour conséquence de réduire le niveau de correspondance entre les définitions conceptuelles et opérationnelles des variables et limitant par ailleurs la validité des résultats (Earnshaw & Chaudoir, 2009). Par

28

exemple, Herek et ses collaborateurs (1998) définissent la stigmatisation comme les préjugés, la dévaluation, le discrédit et la discrimination des PVVIH, mais ils ne lient pas ces concepts avec une définition opérationnelle claire. Troisièmement, seulement une minorité d’auteurs ont décrit les méthodes de validation de la mesure (Earnshaw & Chaudoir, 2009). Et bien que la consultation d’experts constitue une excellente méthode pour évaluer la validité de contenu (Crocker & Algina, 2006), seulement quelques chercheurs y ont eu recours. En outre, certaines mesures de la stigmatisation des PVVIH n’ont pas été adaptées pour tenir compte des nouvelles réalités qui entourent le virus, particulièrement depuis l’avènement des traitements antirétroviraux. Elles s’avèrent donc dépassées et ne reflètent pas les préoccupations actuelles. Par exemple, pour mesurer le soutien aux mesures coercitives, on propose des énoncés portant sur la mise en quarantaine des PVVIH (Herek & Glunt, 1991; Herek et al., 2003) plutôt que d’aborder le dévoilement obligatoire du statut sérologique (Galletly & Pinkerton, 2006), ou la criminalisation des PVVIH, plus fréquente depuis quelques années (Symington, 2009). De plus, peu d’études ont mis en relation la mesure de la stigmatisation avec des mesures de concepts connexes pour en assurer la validité (Crocker & Algina, 2006; Nyblade, 2006). Les analyses qui évaluent la validité de construit se limitent généralement à la validité interne d’instruments de mesure et sont réalisées à l’aide d’analyses factorielles exploratoires. Or, des avancées méthodologiques, telles que les analyses factorielles confirmatives, permettent d’approfondir la compréhension des construits découlant des instruments de mesure. C’est ce qui sera proposé pour répondre au premier objectif de la présente étude.

29

Il existe quelques questionnaires publiés dans la littérature qui mesurent différents aspects de la stigmatisation des PVVIH partout dans le monde (voir tableau 1) (Adrien et al., 2013; Dijker & Koomen, 2003; Ekos, 2006; Green, 1995; Herek, 1999; Kalichman et al., 2005; Lau, Tsui, & Chan, 2005; Rutledge & Abell, 2005; Visser, Makin, & Lehobye, 2006). Les dimensions les plus fréquemment documentées sont respectivement le blâme des PVVIH pour avoir contracté le VIH, les procédures législatives ou de surveillance des PVVIH et les droits des PVVIH. D’autres dimensions de la stigmatisation sont plus rarement mesurées : degré d’aisance avec les PVVIH, préjugés envers les PVVIH, sentiments à l’égard des PVVIH et soutien social. Bien que ces questionnaires aient tous été publiés, quelques-uns seulement prennent la forme d’échelle de mesure. Parmi ces derniers, seulement deux ont fait l’objet d’analyses de validation rigoureuses (Adrien et al., 2013; Kalichman et al., 2005). L’échelle de Kalichman et ses collaborateurs (2005) a été développée pour mesurer la stigmatisation des PVVIH en Afrique du Sud, alors que celle d’Adrien et ses collaborateurs (2013) a été développée et utilisée au Canada et plus précisément, auprès de la population québécoise. C’est pour cette raison que cet instrument a été retenu pour servir de base au développement d’une nouvelle échelle de mesure des attitudes stigmatisantes envers les PVVIH.

30

Tableau 1. Mesures de la stigmatisation dans la littérature

Ad rien et al ., 20 13 Dijk er & Ko om en , 2 00 3 E ko s, 2 00 6 Gr ee n, 1 99 5 Her ek , 1 99 9 Kalich m an et al ., 20 05 L au et al ., 20 05 R utled ge & Ab ell, 2 00 5 Vis ser et al ., 20 06

Blâme des PVVIH X X X X X X X

Procédures législatives ou surveillance des PVVIH X X X X X

Droits des PVVIH X X X X

Degré d’aisance avec les PVVIH X X X

Préjugés X X X

Sentiments à l’égard des PVVIH X X X

Soutien social X X

Documents relatifs