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2.2. LE MARCHÉ DE L’ART

2.2.4. STATUT DE L’OBJET

Les maisons de ventes aux enchères sont des entreprises par lesquelles un flot constant d’argent et de biens matériels circule et c’est la maison Sotheby’s qui obtint le mandat de liquider la collection d’objets précolombiens de Jean-Paul Barbier. Mais quel statut pouvons- nous accorder à ces masques, vases, objets anthropomorphiques qui composaient cette collection exposée à Barcelone? Est-ce que ce sont des œuvres d’art, des objets usuels avec une esthétique intentionnelle ou est-ce que ce sont des artefacts à fonction esthétique? Lorsque les musées acquièrent des œuvres provenant de cultures différentes de la nôtre, comment la valeur que nous leur accordons diffère-t-elle de celle que leur accorde la culture d’où elles proviennent (Bernier 2002 : 38)? Ont-ils une valeur esthétique, religieuse, artistique et

culturelle? Répondre à ces questions s’avère difficile car la frontière est parfois floue et mobile entre ce qui sépare l’œuvre d’art du bibelot (Fingerhut 1996 : 4). Quoi qu’il en soit, ce statut, selon Gérard Genette (1994), est variable, bien qu’il demeure au minimum objet de musée, puisqu’il y est entré. En effet, les objets de collection, quelle qu’elle soit, sont sémiophores, c’est-à-dire qu’ils sont porteurs de significations. Les statuts et fonctions d’objets d’une collection sont toujours « virtuellement » variables, car ils peuvent passer d’objet esthétique à artefact à effet esthétique éventuel (Genette 1994 : 14), tandis que l’aspect physique demeure immuable.

Ainsi, la fonction pratique ou esthétique peut changer selon les circonstances, notamment pour le marché de l’art. Aux yeux des galeristes, ces objets seraient d’abord des objets esthétiques, qui deviendront des objets de collection. L’aspect esthétique n’est pas en tout lieu prioritaire, la valeur culturelle de l’objet peut dominer sur son aspect physique. Là encore, il s’agit d’une donnée fluctuante, comme le confirme Ridha Fraoua : « Un bien ayant une fonction purement utilitaire peut acquérir avec le temps, une valeur culturelle. Il est alors considéré comme le témoignage d’une civilisation passée, digne d’être conservé et protégé » (1985 : 4). L’inverse est tout à fait possible également, l’objet peut perdre de sa valeur culturelle et redevenir un objet sans intérêt culturel, selon un effet de mode. Pourtant, lorsqu’ils sont intégrés à la collection d’un musée, ces biens ne sont plus ordinaires. « La législation internationale leur confère un statut particulier et les lois nationales assurent leur protection. Ils font partie du patrimoine mondial, naturel et culturel, meuble ou immeuble […]. Ce sont aussi des éléments significatifs pour la définition de l’identité culturelle, tant à l’échelon national qu’international » (Geoffrey 2006 : 1).

Les zones floues entre le rôle du collectionneur et son propre musée raniment des dilemmes auxquels sont confrontées les disciplines de l’histoire de l’art et de la muséologie, souligne Christine Bernier dans L’art au musée, de l’œuvre à l’institution publié en 2002. En effet, dans cet écosystème du monde de l’art, ce que le musée reconnaît comme ayant une valeur culturelle, artistique, historique ou autre, peut modifier la valeur monétaire de l’objet car les musées sont de puissants agents culturels ayant une influence considérable sur le marché de l’art. Comme l’explique Raymonde Moulin :

Il appartient au musée de désigner ce qui est art et ce qui ne l’est pas […]. En organisant des expositions collectives ou individuelles, souvent itinérantes, accompagnées d’un superbe et savant catalogue, les responsables des musées contribuent, au-delà de la découverte, à la confirmation des artistes […]. [L]es responsables des musées se situent à l’articulation de deux univers et ils ont la possibilité d’intervenir sur toutes les dimensions, au demeurant interdépendante de la valeur de l’œuvre et de l’artiste (Moulin 1997 : 64-65).

Cependant, si l’institution muséale agit comme une instance discursive indispensable pour déterminer les critères de distinction entre ce qui est art et ce qui ne l’est pas (Bernier 2002 :16), nous sommes actuellement dans une ère où les collectionneurs privés possèdent un budget d’acquisition plus important que de nombreux musées publics. Le budget des musées publics demeure stable, voire gelé, tandis que celui des collectionneurs privés décuple rapidement. Les institutions doivent à présent composer avec cette nouvelle réalité. Actuellement, bon nombre de collectionneurs privés fondent leur propre musée et peuvent se permettre d’employer une main-d’œuvre qualifiée. Ces derniers les assistent en manipulant la roue de fortune du marché. Velthuis dénote un effet pervers de cette pratique. Le rôle des musées, comme l’a expliqué précédemment Raymonde Moulin, est de « désigner ce qui est art de ce qui ne l’est pas » (Moulin 1997 : 64). Or, ce rôle risque de changer au cours des prochaines années vue la multiplication d’établissements privés qui ouvrent leurs portes, résultats de collectionneurs achetant à tout vent, suivant les phénomènes de modes indistinctement de leur goût personnel. Bien que leur pouvoir économique paraisse énorme, leur pouvoir culturel semble limité (Velthuis 2012 : 6). Si le phénomène d’ouvrir son propre musée n’est pas nouveau, il atteint au cours des dernières années des proportions inégalées. Des architectes de renoms sont souvent sollicités pour créer des édifices grandioses tel le Guggenheim de Bilbao, le musée Soumaya au Mexique, ou encore, ouvert récemment, celui de la Fondation Louis-Vuitton au bois de Boulogne à Paris. À ce propos, une nouvelle hiérarchisation des objectifs des institutions muséales serait un sujet passionnant à développer, cela n’est toutefois pas notre propos ici.

CHAPITRE 3