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La fin des années 1960 est marquée par l’introduction du stationnement payant sur voirie dans les villes françaises25. Cette mesure a pour objectif de fluidifier la

circulation et de favoriser la rotation des places en chassant les voitures ventouses (Belli-Riz, 2001). Soumise au contrôle et sujette à sanction, la tarification de la voirie est perçue par certains pouvoirs locaux comme la meilleure solution pour remettre de l’ordre dans la situation anarchique du stationnement qui règne alors dans les centres urbains (Certu, 2000b). En comparaison avec la zone bleue, l’avantage de ce système est l’autofinancement.

L’introduction du stationnement payant sur voirie suscite des réactions très vives et des protestations fortes de la part des différents groupes d’acteurs (idem). Pour les automobilistes, c’est une question d’habitude et de droit. Pour les lobbies automobiles et pour les commerçants, c’est une question d’intérêts26. En 1967, le syndicat des

automobilistes remet en cause la légalité du stationnement payant, pourtant institué depuis 188427. Pour lever la confusion, le législateur édicte l’arrêté du Conseil d’État du 26 mai 1969 garantissant la possibilité pour le maire de percevoir une redevance sur le stationnement des véhicules en bordure des voies publiques (JMJ, 2003). Aux enjeux économiques et sociaux s’ajoutent des enjeux politiques. Certains élus se révèlent complètement contre cette solution. C’est le cas du maire de Lyon (L. Pradel) qui refusera catégoriquement la mise en place du stationnement payant en 1969. Pour autant, la tarification de la voirie s’impose en 1972 comme incontournable pour remédier aux problèmes de stationnement sur la Presqu’île.

Pour toutes les raisons citées, la mise en place du stationnement payant s’amorce donc avec une extrême prudence de la part des pouvoirs publics locaux. Les villes de province sont les premières à l’adopter. Par peur des réactions du public, l’installation est progressive, portant sur une zone d’essai limitée dans un premier temps, avec

25 Le paiement du stationnement sur voie publique est introduit pour la première fois à Montpellier,

puis il est assez rapidement adopté par les villes de Nice, Saint-Raphaël et Menton, puis par des villes plus grandes comme Nantes et Marseille en 1969, par Lyon en 1970 et par Paris en 1971 (JMJ, 2003 ; Certu, 2000b).

26 La tarification de la voirie fait office de taxe supplémentaire du domaine public, considéré comme

gratuit aux yeux de la population. De leur côté, les commerçants se mobilisent également, à travers les syndicats et les associations, pour exprimer leur mécontentement et leur désaccord avec cette mesure, en avançant les conséquences négatives sur leurs intérêts économiques. Pour les lobbies automobiles, qui sont contre toute forme de paiement, le stationnement payant sur voie publique est même qualifié de coup redoutable. Pour illustrer, contentons-nous de citer quelques exemples : en 1957, le périodique L’Auto-Journal titrait : « Pas de ça chez nous » en faisant référence aux évolutions américaines en matière de stationnement payant. Les oppositions étaient très fortes, sous prétexte que cette mesure risquait de mettre en péril l’industrie française. Au lobby industriel, Maurice Grimaud, préfet de Paris de 1966 à 1971, répond par une démonstration empirique : « Ni les États-Unis, ni l’Angleterre, ni la Suède, n’ont

vu péricliter le moins du monde leur industrie automobile après l’application du stationnement payant, et M. Ford n’a jamais eu l’idée de faire campagne contre l’adoption d’une telle mesure dans les villes américaines » (selon l’article du

Monde, 14-15 décembre 1969, cité dans Certu, 2000b, p. 9).

32 ensuite une étendue sur un périmètre plus large, effectuée de diverses manières pour répondre au contexte spécifique de chaque ville (Certu, 2000b). Pour favoriser l’adhésion du public, les élus avancent souvent un argument infaillible : les recettes recueillies seront utilisées pour construire des parcs en ouvrage28. Dans cette même

logique, la tarification de la voie publique est, dans la plupart des villes, accompagnée ou précédée par une offre alternative en parcs hors voirie (idem). Toutefois, par souci d’acceptabilité, les tarifs sur voirie sont beaucoup plus faibles29.

Le bilan des premières années du stationnement payant dans les villes françaises est très positif. Les objectifs de rotation sont atteints et les effets de ce dispositif sont perceptibles sur les conditions de trafic et de stationnement (ibidem). Il n’en reste pas moins que certains effets secondaires apparaissent. Au fil du temps, le respect de la réglementation se dégrade. L’incohérence de la tarification des places sur voirie et hors voirie crée un phénomène de désertification des parkings en ouvrage, mettant en péril leur équilibre financier. Par ailleurs, des reports de stationnement aux franges de la zone soumise à la tarification sont aussi observés dans certaines agglomérations. Enfin, le stationnement payant s’avère vite incompatible avec les besoins spécifiques des résidents et des commerçants. Dans ce contexte, sont adoptés des régimes d’exception. C’est le cas de la ville de Paris qui mettra en place une tarification préférentielle pour les résidents dès 1978, bien que sa légalité ait alors été contestée.

1.2.3 Le passage du stationnement à un outil de gestion des

déplacements urbains (1980-2000)

En France, la fin du XXe siècle ouvre la voie à des évolutions significatives en matière de stationnement, portées principalement par son cadre réglementaire. Pour la première fois, l’État français affiche le stationnement comme un outil de gestion des déplacements. En revanche, ce changement dans la conception du stationnement est lent à se dessiner. En conséquence, le modèle fondé sur l’hégémonie de l’offre va se maintenir dans le temps au gré des revendications, ne permettant pas à une approche de gestion de s’imposer véritablement dans la pratique. Ces inflexions découlent du changement de la pensée urbaine.

Au cours des années 1980, l’automobile devient un objet incontournable de la vie quotidienne, à la ville comme à la campagne. La multimotorisation prend de l’ampleur et renforce cette tendance. Les modes de vie se fondent sur l’usage presque exclusif de la voiture particulière, au point de conduire à un état de dépendance30 (Dupuy, 1999).

28 Dans les faits, les revenus du stationnement payant font partie du budget communal et n’obéissent à

aucune affectation particulière.

29 Une précision mérite d’être apportée. Au début du stationnement payant, tout comme le tarif, la

fixation du montant de l’amende est à la charge du maire par arrêté municipal et le contrôle s’effectue directement par les collectivités. Au début des années 1970, le recouvrement des amendes bascule du droit civil au droit pénal avec l’apparition du timbre-amende (Certu, 2000b). Ce changement de nature juridique du contrôle a pour objectif de renforcer l’efficacité de celui-ci. Désormais, le montant de l’amende est fixé à l’échelle nationale et le circuit de recouvrement est le même que celui du stationnement illicite. C’est d’ailleurs encore le cas aujourd’hui.

33 Le « monopole radical31 » de l’automobile s’impose, mais il se fait au prix d’une perte de la

qualité de l’environnement, d’une transformation profonde de la morphologie urbaine et d’une détérioration du cadre de vie. Prenant conscience de ces externalités et des limites du modèle du « tout automobile », les autorités publiques visent alors une utilisation plus rationnelle de la voiture particulière et prônent une politique globale des déplacements. C’est dans ce contexte que se situe la transformation du statut du stationnement dans l’opinion publique.