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Chapitre  1   : La lecture partagée dans le contexte familial 16

2.   Chapitre 2 : La construction de la paternité 34

2.1   Les stéréotypes de genre et la socialisation différenciée 35

Pour comprendre comment se construit la masculinité puis la paternité – l’une et l’autre étant interreliées dans la mesure où les hommes sont des hommes avant d’être des pères - il convient d’abord de s’intéresser à la manière dont les enfants sont élevé-e-s et quelles normes leur sont transmises, en fonction de leur genre. En effet, la manière dont les enfants sont éduqué-e-s va, dans une large mesure, induire ou influencer la façon dont ils ou elles se comporteront quand ils ou elles seront adolescent-e-s, puis adultes.

2.1.1. Les stéréotypes de genre et la théorie des rôles sexuels

Tout d’abord, les stéréotypes sont des croyances - socialement partagées et sans fondement scientifique – qui consistent à attribuer à tous les membres d’un groupe des caractéristiques communes (Guimond, 2010). Le genre, quant à lui, est défini par Bereni et son équipe (2012, p.10), comme un « système de bicatégorisation hiérarchisée entre les sexes (hommes/femmes) et entre les valeurs et représentations qui leur sont associées (masculin/féminin) ».

Ainsi, selon la théorie des rôles sexuels (Demetriou, 2019), les stéréotypes de genre se basent sur la distinction entre hommes et femmes, d’abord au niveau des différences biologiques puis au niveau social (rôles et attentes différenciés). Si les stéréotypes sont le résultat cognitif d’un tri d’informations pour réduire la complexité du monde qui nous entoure, le désavantage d’un tel mécanisme est qu’il tend justement à simplifier les informations de manière trop systématique. En outre, Williams et son équipe (1986, cité par Guimond, 2010, p.150) se sont justement intéressé-e-s aux stéréotypes de genre et ils avaient demandé à des étudiant-e-s dans différents pays, de classer 300 caractéristiques en fonction de s’ils/elles les associaient plutôt à des hommes ou à des femmes. Il ressort de cette étude que la majorité des étudiant-e-s ont considéré que l’homme était davantage « ambitieux, vantard et dominateur », tandis que la femme était perçue comme « affectueuse, tendre et sensible ». De plus, plus récemment, Liogier (2018, p.79) identifie que la société distingue encore la « Vertu des femmes » – associée à la « pureté, la douceur, le don de soi » - et la « Virilité des hommes », en lien avec la force et la violence notamment.

Enfin, précisons que cette dichotomie hommes/femmes ne rend pas compte de la diversité de la réalité sociale - par exemple des individus non binaires ou intersexués par exemple. Certes,

il est utile d’avoir en tête que le monde social n’est pas si clivé en réalité, mais mon travail n’échappe - évidemment - pas à cette hétéronormativité. D’ailleurs, il s’agira de voir comment les normes de genre, résultant de cette vision binaire, sont reproduites et/ou reconfigurées par les pères de famille interrogés. Précisons que ces normes ne sont pas seulement sociales, mais elle sont incorporées, incarnées, dans les individus qui les performent, et ce dès leur plus jeune âge – notamment à cause de la socialisation différenciée (Darmon, 2010).

2.1.2 La socialisation différenciée

Par ailleurs, le processus par lequel la société inculque ces représentations du masculin et du féminin aux enfants s’appelle la socialisation différenciée (Darmon, 2010). Effectivement, la socialisation correspond aux différentes manières dont les normes sont apprises et transmises d’une génération à l’autre (Bereni et al., 2008) à travers diverses institutions comme la famille (socialisation primaire), l’école ou encore les médias (socialisation secondaire). Par ailleurs, elle est qualifiée de différenciée dans la mesure où les garçons sont élevés et éduqués différemment des filles tout au long de leur développement.

Cette socialisation se déroule en plusieurs étapes. Elle débute en expliquant aux enfants la différenciation entre hommes et femmes, afin qu’ils et elles apprennent progressivement à les distinguer. Selon Kohlberg (1966, cité par Bereni et al. 2008, p.84), vers ses deux ans, l’enfant commence à catégoriser les hommes et les femmes en deux classes distinctes à partir de « caractéristiques socioculturelles » (les habits ou la longueur des cheveux par exemple). Cependant, ce n’est qu’à partir de quatre ans, qu’il ou elle comprend la « constance de genre » (Idem), à savoir que le sexe est une donnée biologique et invariante et que les caractéristiques socioculturelles (apparence, comportements, rôles sociaux) ne sont que la manifestation extérieure de ce dernier - cette distinction sexe/genre reflétant d’ailleurs la définition de la sociologue féministe Ann Oakley (1972).

Ensuite, les parents et les autres institutions inculquent aux enfants les « comportements sexués » qui sont attendus de chacun d’eux ou d’elles dans la société (Darmon, 2010, p.38). Par exemple, il est moins toléré pour les filles de parler très fort ou de se battre, alors qu’on les laisse volontiers pleurer, tandis qu’on permet aux garçons d’être bruyant et brusque, mais moins d’exprimer leur tristesse ou leur peur. Par ailleurs, au niveau des activités, les pratiques

sont également souvent différenciées. Les garçons sont notamment encouragés à être dehors, à avoir des amis et à faire du sport et ils sont valorisés quand ils s’engagent dans ce genre d’activités. En revanche, les filles sont plutôt encouragées à rester à l’intérieur, à faire des jeux calmes basés sur l’apparence, le soin et l’échange relationnel – par exemple à jouer avec des « poupées ou des ustensiles de cuisine » (Ibid, p.40). Le but, plus ou moins explicite, de telles pratiques différenciées est de préparer les enfants à leur-s future-s focntion-s dans la société - à savoir principalement le sport, les relations sociales et le travail pour les hommes, et la maternité et le travail domestique pour les femmes (Dafflon Novelle, 2002 ; De Beauvoir, 1949, éd. 1976).

Les valeurs traditionnellement associées au masculin

Il me semblait nécessaire de me concentrer sur les valeurs associées aux hommes, car c’est sur les pères que j’ai focalisé ma recherche. La sociologue féministe Despentes (2006, p.27), dans son ouvrage King Kong Theory, énumère les « valeurs viriles » qui s’expriment notamment à travers : la répression des émotions et la manifestation de sa vulnérabilité, l’indépendance et l’autonomie, la compétition, le courage et la force (voire l’agressivité) ainsi que la réussite sociale. En outre, Falconnet & Lefaucheur (1977, p.22), dans La fabrication des mâles, identifiaient déjà le fait qu’être un homme correspondait avant tout « à ne pas se comporter comme une femme » - c’est-à-dire à ne pas se montrer fragile, délicat, à ne pas prendre soin des autres ou de son corps par exemple. Ces auteur-e-s ont d’ailleurs élaboré une liste des adjectifs qui sont associés aux hommes, aux « mâles », soit des adjectifs comme « actif, autoritaire, viril et puissant » (Ibid, p.24). Ainsi, la virilité semble correspondre à la valeur principale associée à la masculinité, comme un but à atteindre pour être un « vrai » homme.

Finalement, lorsque l’on étudie les rapports de genre, il n’est pas simplement question d’une simple séparation entre hommes et femmes, mais bien d’une ségrégation, c’est-à-dire de rapports « de domination » entre eux (Bereni et al., 2008, p.81). En effet, selon De Beauvoir (1949, éd. 1976, p.40), « tout contribue à confirmer aux yeux de la fillette cette hiérarchie » - à savoir la domination des hommes sur les femmes. Cependant, la théorie des rôles sexuels mentionne rarement que ces normes et ces rôles sexués différenciés sont notamment modelés par la norme de l’hétéronormativité et largement véhiculés dans les sociétés patriarcales – définies comme des formes d’organisation sociale et familiale fondée sur la puissance « masculine et paternelle » (Le petit Robert 2013, p.1830).