• Aucun résultat trouvé

Chapitre  1   : La lecture partagée dans le contexte familial 16

2.   Chapitre 2 : La construction de la paternité 34

2.4   Le modèle des nouveaux pères 45

2.4.1 La reconfiguration du modèle du père traditionnel

Il semble donc que la répartition des tâches éducatives et domestiques est inégalitaire et reflète les rapports de pouvoir entre les hommes et les femmes (Brugeilles & Sébille, 2013). Ainsi, traditionnellement, il semble que le père de famille – le pater familias - est : celui qui assure la sécurité financière de la famille (Modak & Palazzo, 2002) et qui est garant de l’autorité, celui qui fait des jeux stimulants avec les enfants et qui se charge de la socialisation de ces derniers (Paquette, 2004) et finalement, celui qui participe peu – voire pas - aux tâches ménagères et éducatives (Brugeilles & Sébille, 2013). Par conséquent, ce modèle traditionnel du père renvoie à une vision « pessimiste de la construction de la paternité » qui pointe les déficits et l’inadéquation des pères à la vie familiale (Gregory & Milner, 2011, p.2).

Sauf que depuis les révolutions féministes des années 1960-1970, les rôles classiques familiaux se voient – en partie – reconfigurés, selon une aspiration plus égalitariste. En effet, avec l’arrivée des femmes sur le marché du travail (Brian, 2018 ; Johansson & Klinth, 2008) et la perte de stabilité du mariage pour la vie, le statut de l’homme et du père perd de son prestige et cette reconfiguration familiale lui donne l’opportunité, l’encourage ou le contraint à s’investir davantage. Ainsi, de nouvelles responsabilités émergent pour les pères qui, pour certains, ne peuvent ou ne veulent plus avoir le rôle fonctionnel de « pourvoyeur de la

famille » (Yogman, 1985, p.140) que le droit, « la tradition et leur statut » d’homme leur ont imposé jusqu’à lors (Modak & Palazzo, 2002, p.13).

2.4.2 L’émergence du modèle des « nouveaux pères »

Par ailleurs, en 1980, le film américain Kramer et Kramer illustre un père de famille qui, après que sa femme soit partie, s’occupe seul de son fils Bryan (Kelen, 1986). Il gère donc à la fois son activité professionnelle, les tâches ménagères et l’éducation de son fils unique. Ce film semble avoir participé à engendrer un nouveau modèle, celui des « nouveaux pères » (Jami & Simon, 2004 ; Kelen, 1986). Le nouveau père correspond à un père moderne, qui abandonne l’image de l’homme viril – tel qu’il est décrit dans les stéréotypes de la théorie des rôles sexuels et dans le concept de la masculinité hégémonique notamment. Cette nouvelle figure du père regroupe des pères impliqués dans la vie familiale qui, malgré leur emploi, aspirent à « entretenir des relations proche avec leur-s enfant-s » et qui participent aux tâches ménagères (Brian, 2018, p.178). De même que selon McGill (2014, p.108), ces nouveaux pères sont considérés comme des partenaires plus égaux dans la parentalité et le soin des enfants « by performing both interactive and phyisical caregiving ».

En outre, dans le monde anglo-saxon, le modèle des nouveaux pères est traduit par « new fatherhood » (Gregory & Milner, 2011 ; McGill, 2014) ou « caring father » (Johansson, 2011, Johansson & Klinth ; 2008). D’ailleurs, Johansson (2011) a interrogé des pères au foyer suédois pour comprendre leur-s motivation-s à rester à la maison pour s’occuper des enfants – les pères au foyer incarnant de la manière la plus complète le modèle du « nouveau père ». Il a identifié chez les participants, une tendance à vouloir développer a « more caring attitude » (Johansson, 2011, p.113), an « emotional intelligence, social competences and communication » (Ibid, p.120) - qui sont traditionnellement des valeurs associées au féminin. Ces considérations permettent de mettre en lumière des changements contemporains qui s’opèrent au niveau de la masculinité et de la paternité, que ce soit au niveau de l’identité, des valeurs, des styles de vie et de l’organisation de la vie familiale dans sa globalité.

Par conséquent, il s’avère que contrairement à ce que prônait – à tort - la théorie des rôles sexuels, les pères sont aussi capables que les mères de prendre soin et d’interagir avec le bébé (Kelen, 1986 ; Yogman, 1985), même s’ils ne font pas forcément comme elles. La division sexuelle, apparemment naturelle, ne l’est donc définitivement pas (Tabet, 1979) et les

revendications féministes ont participé à sortir du « destin biologique » et à promouvoir le partage parental des tâches (Jami & Simon, 2004, p.51). Par conséquent, cette figure des nouveaux pères vient bouleverser les normes traditionnelles de la masculinité – en effet, « hegemonic masculinity is thus being renegociated » (Johansson, 2011, p.114). Il semble que cette nouvelle forme de paternité offre aux hommes une reconnaissance des valeurs conventionnellement associées au féminin – telles que la sensibilité et l’expression des émotions (Brian, 2018 ; Kelen, 1986). Elle semble également leur permettre de s’émanciper des valeurs de virilité qui pèsent sur eux depuis des siècles. Pour résumer, il semble que le « nouveau père » est un père présent, attentionné et impliqué, « libérant sa sensibilité », sa tendresse et ses émotions (Kelen, 1986, p.269).

2.4.3 Les limites de ce modèle

Ce modèle des « nouveaux pères » mérite d’être nuancé parce qu’il peut être problématique à plusieurs égards. Tout d’abord, il est important de noter que cette figure du père tendre et affectueux, qui prend soin des enfants et qui prend part aux tâches ménagères peut permettre à ces hommes de gagner un « nouveau prestige » (Kelen, 1986, p.244). En effet, dans la mesure où ils honorent leurs obligations professionnelles en même temps qu’ils s’investissent dans le foyer, ils peuvent donner l’image de pères « parfaits ». Or, il ne s’agit pas de sacraliser ces pères parce qu’ils participent à leur vie de famille, tandis que les mères l’ont toujours fait, de manière gratuite et invisible – sans jamais avoir été félicitées ou remerciées pour cela (Delphy, 2009). D’ailleurs, si les hommes sont considérés comme des nouveaux pères dès qu’ils font un câlin, qu’ils lisent une histoire à leur enfant ou qu’ils aident à faire la vaisselle de temps en temps, cela ne traduit pas une réelle prise de conscience et de changements notoires dans les mœurs.

Par ailleurs, il est important de préciser que cette image des « nouveaux pères » donne une vision idéale du père, qui ne correspond pas forcément à la réalité et qui participe à renforcer les pressions qui pèsent sur les hommes. En effet, depuis l’émergence de ce modèle dans les années 1980, la société « expects a man to be more involved in the home as well as at the workplace » (McGill, 2014, p.1090). Or, tous les pères ne peuvent pas agir comme des nouveaux pères. En effet, si les pères au foyer ont l’opportunité de pouvoir s’investir davantage dans les tâches de soin et d’éducation, les pères qui travaillent peuvent avoir du mal à concilier leurs obligations professionnelles et leur investissement dans la vie familiale.

D’autre part, sortir du modèle de masculinité hégémonique peut ne pas être facile, car cela revient à rejeter en partie les normes conventionnelles, et certains hommes, pour des raisons d’éducation et de socialisation notamment, peuvent avoir du mal à se détacher de ce modèle. Enfin, notons que ce nouvel investissement des pères peut être vu d’un mauvais œil par les femmes, dans la mesure où il s’agit là d’une sorte de « récupération de la maternité par les hommes » (Kelen, 1986, p.240). En effet, si les hommes ont commencé à s’investir davantage dans les tâches éducatives et ménagères, c’est en partie parce que les femmes ont investi le marché du travail salarié et l’espace public du même coup. Ainsi, les pères se sont vus contraints et/ou encouragés à être des hommes « nouveaux » et à « envahir le territoire des femmes », à savoir l’espace domestique (Ibid, p.244).