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Chapitre III : DE LA REEDUCATION A LA THERAPIE DU LANGAGE ECRIT

III. Spécificités de la thérapie du langage écrit

Nous l’avons vu en première partie de ce travail, l'écrit est un langage à part entière présentant certaines caractéristiques qui lui sont propres. Apprendre à écrire, c'est donc apprendre des pratiques langagières nouvelles, construire une autre relation au monde et adopter une attitude énonciative propre à l'écriture. En outre, écrire c'est penser et construire du sens pendant l’acte d’écriture : « l'écriture conditionne et nourrit la pensée. Ecrire n'est donc pas mettre par écrit ce qui existe déjà par oral, écrire permet de formaliser ces formes orales et par là de les transformer en quelque chose de nouveau » (Frumholz, 1997, p. 354).

Ecrire est donc une activité complexe dans son apprentissage. Mais la situation de rééducation est une situation particulière, plus complexe encore : lorsque l’enfant se présente à nous en rééducation, le langage écrit a déjà fait l'objet d'un apprentissage, qui a le plus souvent conduit à un échec. Par conséquent, l’écrit est « connu » mais il est le plus souvent perçu de façon péjorative et mobilisable uniquement dans l’appréhension voire la douleur. Notre intervention n’est pas à bâtir sur un terrain vierge : il ne s’agit pas de reprendre un apprentissage à ses débuts, mais de s’appuyer sur ce que le patient sait déjà, sur ses représentations, pour l’amener à en changer. Il convient donc d’aborder la rééducation du langage écrit par un détour par rapport aux apprentissages, celui-ci consistant d’abord en l’évitement de la violence exercée contre le symptôme. Estienne (1991) illustre cette idée par la métaphore suivante:

« Rééduquer le langage écrit, ce n'est surtout pas doubler la dose sous prétexte que l'enfant n'est pas parvenu à digérer à l'école. C'est d'abord essayer de comprendre avec l'intéressé pourquoi il y a eu indigestion. Le plat n'était-il pas approprié parce qu'il était mal préparé ou qu'il a été avalé trop rapidement ou que la ration était trop abondante pour un petit "appétit" ? L'organisme de l'enfant n'était-il pas en état d'assurer la digestion parce qu'il fonctionnait ou fonctionne encore mal, faute d'éléments essentiels, parce que le convive n'avait pas encore faim ou qu'il avait faim d'autre chose, ou encore parce qu'on lui a servi un même mets à tous les repas, si bien que sursaturé, l'enfant s'est senti dans l'impossibilité d'avaler une bouchée de plus ? » (pp. 31-32)

Rééduquer le langage écrit, c'est donc avant tout aider le patient à percevoir l’écrit comme un outil, un moyen supplémentaire permettant d’établir une relation solide au monde, « parce que lisible, re-lisible et presque palpable entre soi, les autres et les choses » (IPERS, 1999, p. 26). C’est aussi lui donner l’envie et la possibilité de s’en saisir, de l’utiliser efficacement et avec plaisir.

Il s’agit, bien avant tout, que les mots fassent sens, prennent sens pour et par celui qui les écrit. Ecrire, c’est s’affirmer en tant que sujet ; c’est s’exprimer, prendre la parole de manière singulière. Pour autant, il ne s’agit pas de négliger les aspects concernant la forme des mots : l’étape de « correction » a bien lieu d’être. Le terme de correction, ici, est entendu au sens large ; dans la thérapie du langage, cette correction consiste généralement en une réelle réflexion sur les mots, sur leur sens et donc sur leur construction. Toutefois, cette correction a pour effet de déplacer le travail sur le temps qui suit l’écriture, celui de la « mise aux normes », le temps d’après. Si la correction est effectuée dans le même temps que l’écriture elle-même, alors le temps de l’écriture s’en trouve impacté. Le plaisir de l’expression écrite, de la créativité peut s’en trouver diminué, le « bien écrire » devenant une priorité. C’est pourquoi cette étape de correction n’intervient souvent que dans un second temps, dans ce temps d’après auquel elle appartient justement.

Devenir acteur, artisan de son désir d’apprendre, implique bien une nécessité et, par conséquent, une contrainte d’un autre ordre. Cette contrainte est celle qui oblige tout être humain à passer par la LOI pour échapper à l’instinct. La contrainte est la face négative et vécue comme insupportable ou impossible par l’enfant en échec. Mais il existe aussi une face positive, qui est celle de la liberté que permet le décollage de l’instinct et de l’instant, et qui libère l’accès à la représentation, à la symbolisation. C’est cette liberté… que le thérapeute du langage va tenter de créer AVEC lui. Ce travail… est une maïeutique qui permet à l’enfant en difficulté d’accoucher de ce qu’il porte en lui de savoirs et de connaissances plus ou moins intériorisés, de sa conception plus ou moins implicite du langage, de ses stratégies plus ou moins efficaces. En déroulant tout cela dans un discours parlé, écrit, joué ou dessiné, en nous le révélant, il se le révèle à lui- même, et c’est cela qui est important. (Oustric & Bellone, 2000, p. 205).

Voici donc posés les principes fondamentaux de toute thérapie du langage écrit telle que nous l’appréhendons. Parce que nous aurons accepté le patient avec ses difficultés, il n’aura plus à se défendre contre ce qui lui est reproché dans sa façon de traiter l’écrit et pourra progressivement se rendre disponible pour réaménager son rapport à l’écrit et laisser libre cours à sa créativité. Nous pourrons l’aider à « vivre une relation autre à l’écriture… à accéder à une parole écrite qui lui soit authentique afin qu’un jour il puisse enfin être à même de recevoir et de faire sien ce que l’école a à lui proposer. » (IPERS, 1999)

I.

Présentation de la démarche de travail